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Pays : Etats-Unis / Pays : Iran

Incorrigible Amérique

Incorrigible Amérique

D’Antoine de Lacoste dans Politique Magazine :

Donald Trump pourra dorénavant difficilement concourir pour le prix Nobel de la Paix. Certes, ce prix inutile est largement déconsidéré, atteignant même le grotesque lorsque le jury l’attribua à Barack Obama qui n’avait rien fait pour et qui participa ensuite massivement à l’agression contre la Libye, Etat souverain.

Pourtant, il se dit aux Etats-Unis que le président américain en rêve. Oui mais voilà, être aux commandes de la plus grande puissance militaire du monde finit par donner le vertige. Il faut être digne de ses prédécesseurs, assumer la « destinée manifeste », décider qui a le droit d’avoir une force nucléaire, épauler Israël, l’allié consubstantiel au rôle messianique tant mis en avant par les évangéliques américains, soutiens décisifs de Trump.

Alors il a frappé avec l’opération Midnight Hammer (marteau de minuit). Dans la forme avec habileté : les ruses et les leurres furent multiples. Des avions non destinés aux bombardements de l’Iran volaient vers le Pacifique, tandis que sept furtifs B2 traversaient l’Atlantique hors de vue des radars. Des discussions importantes devaient reprendre dimanche 22 juin avec les Iraniens, l’attaque eut lieu quelques heures avant.

Comme le Hamas avait endormi Israël, auquel il doit son ascension, l’Amérique a endormi les mollahs, déjà éprouvés par les bombardements israéliens qui ont anéanti leurs défenses aériennes, à défaut de leurs missiles balistiques d’attaque et de leurs centrifugeuses profondément enterrées. On ne sait pas encore si les fameuses bombes GBU-57 ont explosé suffisamment en profondeur pour détruire le site de Fordo, le plus enterré, mais peu importe, la démonstration est là.

Personne n’aurait parié sur cette décision il y a quelques mois. Trump avait tant critiqué les mauvaises habitudes américaines consistant à intervenir partout, à être le gendarme du monde ce qui coûtait une fortune et à décider quel régime avait le droit de vivre ou quel autre il fallait détruire, que l’on a un peu cru à une évolution salutaire de la géopolitique américaine. Le bilan parlait tellement de lui-même : le désastre des expéditions afghanes, irakiennes, libyennes, le soutien aux islamistes syriens, bosniaques, afghans, le bombardement honteux de la Serbie, l’abandon de multiples alliés comme le Sud-Vietnam, le Cambodge et le Laos, rien n’a marché, rien n’était moral, rien n’était intelligent. Et moins ça marchait, et plus on recommençait. L’écrivain Mark Twain a finement commenté (dès le XIXe siècle) l’amour de l’Amérique pour la guerre : « Dieu a inventé la guerre pour que l’Amérique apprenne la géographie. »

L’historien Philippe Conrad a décompté qu’en 249 ans d’existence l’Amérique a organisé plus de 400 interventions dans le monde et n’a été en paix que 20 ans. Trump n’a finalement pas échappé à cet ADN guerrier et impérialiste.

On s’en doutait depuis son départ précipité du G7, instance dont il n’a rien à faire et, cette fois, on ne peut que lui donner raison. Notre grand stratège, Emmanuel Macron, se crut obligé de se mettre en avant (une habitude pathologique) en affirmant que Trump partait négocier un cessez-le-feu entre l’Iran et Israël. Il n’en savait rien et s’est fait remettre à sa place comme un enfant : « Volontairement ou pas, Emmanuel se trompe toujours. » Reconnaissons que c’est assez savoureux. Il faut lire à ce propos l’excellent essai de Thomas Boussion, L’immaturité permanente, pour mieux comprendre le mode de fonctionnement du néant infantile au pouvoir dans notre pays, qui aura du mal à s’en relever.

La décision de Trump n’a pas été sans provoquer des réactions chez ses amis. L’ex-journaliste de Fox-News, Tucker Carlson, avait d’emblée durement critiqué les bombardements israéliens et l’éventualité d’une attaque contre l’Iran. Il s’est fait traiter de « dingue » par le président qui l’avait pourtant encensé lorsque Carlson avait réalisé un passionnant entretien avec Vladimir Poutine qui obtint le score peu commun d’un milliard de vues. Steve Bannon, un des idéologues de la branche avancée du Trumpisme a volé au secours de Carlson, en vain.

Même Tulsi Gabbard, la directrice du renseignement national, qui a mis en doute l’imminence de la fabrication d’une bombe nucléaire par l’Iran, s’est fait rabrouer : « Je m’en fiche de ce qu’elle dit » a aimablement déclaré Trump.

Pourtant, la question est légitime : voilà 30 ans qu’Israël et les Etats-Unis affirment que l’Iran est proche d’avoir la bombe sans en avancer la moindre preuve. Depuis la manipulation américaine sur les prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein, il pourrait tout de même être permis de s’interroger sur la réalité de la bombe iranienne. Mais non, poser la question, c’est être un ami des Mollahs : le droit à la nuance, à la réflexion équilibrée a disparu du monde occidental. Il faut choisir : entre le Hamas et Israël, entre Khamenei et Netanyahou. Et lorsqu’en Syrie, on ne peut dire ouvertement qu’on est pour les islamistes, il faut au minimum rappeler que Bachar el-Assad, « l’homme qui tue son propre peuple », doit partir. C’est ce qui s’est passé, avec la participation active d’Israël. Maintenant c’est Al-Qaïda qui est au pouvoir et c’est en effet bien mieux. Pas de débat donc.

La Corée du Nord a droit à sa bombe (c’est fait), mais pas l’Iran. Quelle différence ? La Corée est loin d’Israël, tout simplement. Par ailleurs les Soviétiques avaient donné la bombe à l’Inde, alors les Américains l’ont donné au Pakistan. Mais bien sûr il faut faire attention à la prolifération nucléaire. Quant à Israël qui a acquis la bombe dans des conditions assez obscures, il n’accepte aucun traité, aucune inspection de l’AIEA. Ça n’émeut personne, c’est Israël et critiquer cet Etat c’est être antisémite donc il faut se taire.

Indépendamment du dossier nucléaire, la petite musique habituelle se fait entendre : il faut que le régime des mollahs tombe. Fort bien, mais comment ? Ils vont partir d’eux-mêmes ? Être renversés par les Iraniens descendus en masse dans la rue ? Non, bien évidemment.

Ceux qui font le parallèle avec la révolution islamiste de 1979 où le Shah est parti à cause d’un mouvement populaire, oublient deux faits : il y avait un remplaçant dont le portrait était brandi par des manifestants extrêmement nombreux, l’Ayatollah Khomeini, réfugié en France, à la demande des Américains d’ailleurs. Et puis l’appareil sécuritaire iranien était plus que défaillant.

C’est bien différent dans l’Iran d’aujourd’hui. Qui ira affronter les gardiens de la révolution, 120 000 hommes solidement armés ? Ils ont de plus la mainmise sur des pans entiers de l’économie iranienne. N’espérez pas manger du caviar en Iran, la filière est intégralement confisquée par les gardiens de la révolution qui sont donc fort riches.

Le régime est cadenassé et ne semble pas près de tomber, à moins d’une attaque totale des Etats-Unis, comme en Irak. En réalité, ce scénario n’est guère crédible. Si les minorités kurdes, turkmènes ou baloutch applaudiraient, l’écrasante majorité perse se rangerait, par patriotisme, dans le camp des mollahs. Les Américains le savent bien et se contenteront éventuellement de bombarder encore un peu. Comme ça, pour montrer qui est le plus fort.

Il n’y a pas d’alternative au pouvoir théocratique actuel. Sortir de la naphtaline le descendant du Shah réfugié aux Etats-Unis depuis des décennies relève de la plaisanterie.

Alors il faut recommencer à discuter et essayer de faire ce que les Américains ne savent justement pas faire, sortir d’un conflit par le haut en démontrant que ce qu’on a fait était nécessaire et qu’un compromis est maintenant possible.

Mais Trump ne peut à la fois soutenir Benjamin Netanyahou dont la stratégie assumée est celle du chaos tout autour d’Israël et faire la paix avec l’Iran. C’est là que la Chine et la Russie peuvent jouer un rôle, mais Trump l’acceptera-t-il ?

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6 commentaires

  1. Les médias de grand chemin se gardent bien de nous montrer l’arrivée triomphale de l’ayatollah Khomeini à Téhéran en 1979. Le shahinshah a alors préféré prendre la poudre d’escampette. Cela détruirait leur discours sur le régime honni des mollahs. J’ai travaillé dans ce pays en 1976. On y trouvait une élite occidentalisée au milieu d’une masse de vanupieds bien encadrés par les mollahs chiites. Et cette élite elle-même n’était pas soudée autour du shah. Les mollahs vont faire comme en Syrie : se tailler la barbe. Quant à Trump, il faut lui reconnaître d’avoir cloué le bec à Netanyahou et de lui préparer une porte de sortie.

  2. Merci pour cet article.

    Vive l’Iran.

    https://youtu.be/Rr8ljRgcJNM?si=f9isQnHKBkC4uxNs

  3. Trump a déjà été nominé à plusieurs reprises et par plusieurs personnalités lors de son premier mandat, notamment par Shinzo Abe, l’ancien Premier ministre du Japon. Il a même été nominé en vain en 2020, année électorale, pour les accords d’Abraham…
    Je ne sais pas s’il recherche cette récompense, même si c’est ce qui se dit, sachant que l’on se trompe souvent sur lui et répète souvent ce que l’on entend à son sujet sans rien en savoir.

    Concernant l’intervention en Iran, elle n’a rien à voir avec les précédents en Irak ou en Libye : il ne s’agissait pas de renverser un régime (même si la chute du l’infect régime des mollahs libérerait le peuple iranien, dont une minorité seulement serait encore musulmane, et permettrait d’en finir avec le terrorisme d’État de Téhéran via ses proxys). Trump a toujours dit à son peuple qu’il refusait de renverser des gouvernements (même s’il a pu dire le contraire aux mollahs, mais il aime dire tout et son contraire à ses ennemis afin de les déboussoler – “The Art of the Deal” nous en dit pas mal sur cette façon de faire), il est profondément paléoconservateur et les néoconservateurs le méprisent et ont voté Clinton, Biden et Harris.
    Dans le cas de l’Iran, il s’est agi de pénaliser la marche du régime vers la bombe atomique, pas de se poser en force d’occupation.
    L’AIEA a parlé de recherche de l’arme nucléaire par l’Iran, son uranium a été enrichi bien au-delà de ce qu’il faut pour un usage civil, il a déjà dit que lorsqu’il aura la bombe atomique il anéantira Israël. Par ailleurs, contrairement à la Corée du Nord qui a eu sa bombe avant que l’on ne le sache, tant le pays est fermé, et parce qu’il y avait moins de moyens de surveillance à l’époque (cf. l’Afrique du Sud qui a avoué en 1991 posséder l’arme atomique depuis 13 ans, à la grande surprise des chancelleries), l’Iran a pour politique d’exporter sa révolution et utilise ses Houthis, son Hezbollah et a même cofinancé le 7 octobre perpétré par les sunnites du Hamas.

    Si cela fait 30 ans qu’Israël clame que l’Iran va avoir la bombe et qu’il ne l’a pas, l’explication n’est pas forcément le mensonge : cela fait aussi 30 qu’Israël sabote le programme iranien. Notamment avec des virus… Il n’y aurait aucune raison de saboter ce qui n’existe pas, pas plus qu’il n’y a de raison d’enrichir son uranium à 60 % (ensuite, ça prend peu de temps pour arriver à 90 %, c’est exponentiel) quand on prétend que l’on n’en fera qu’un usage civil pour lequel il suffit que l’uranium soit enrichi à 3 à 5 %.
    Que ferait un pays qui tente de déstabiliser la région avec l’arme nucléaire : il serait protégé par ce bouclier tout en attaquant les autres pays via ses proxys, voire directement.

    Par ailleurs, si Israël a l’arme nucléaire depuis les années 1960, il ne s’en est jamais servi même quand sa survie était en jeu en 1973.

    Enfin, je doute que “l’écrasante majorité perse se rangerait, par patriotisme, dans le camp des mollahs”, ce qui fait rire Abnousse Shalmani, journaliste franco-iranienne. On nous disait aussi que les Iraniens et le Proche-Orient seraient furieux après l’exécution du général Soleimani par Trump : ah ouais ! on s’est réjoui dans les pays arabes du Golfe persique, les iraniens refusaient de piétiner des drapeaux israéliens et américains. En 2006 déjà, j’avais vu un sondage selon lequel les jeunes iraniens espéraient une intervention américaine… Comme les Cambodgiens n’ont pas soutenu Pol Pot lors de l’intervention militaire vietnamienne ! Les Iraniens sont très largement hostiles à ce régime qui exécute leurs frères, sœurs, enfants, etc., les prive de toute liberté. Par patriotisme, les Iraniens se réjouiraient plutôt de voir le retour de leur drapeau orné du lion remplacé par un motif islamique en… arabe ! Or, les Iraniens, qui aiment rappeler qu’ils sont des Aryens, n’apprécient pas ce drapeau, n’apprécient pas d’être considérés comme arabes, peut-être par snobisme, mais aussi parce qu’ils sont conscients que leur patrie a plusieurs siècles, avec une référence morale, celle de Cyrus le Grand.

    • Oups : “’ils sont conscients que leur patrie a plusieurs millénaires”

      J’ajoute que l’auteur oublie la différence statutaire entre Israël et l’Iran : Israël n’est pas signataire du Traité de non prolifération nucléaire, l’Iran si. Donc Israël (comme l’Inde et le Pakistan, également non signataires) n’a aucune obligation sur le nucléaire contrairement à l’Iran. En soi, ça ne justifierait pas une attaque, mais je le précise parce que l’on ne peut comparer les deux situations sans en tenir compte.

      Et on a vu ce que pouvait donner un État signataire qui continuait à mener un programme secret : la Corée du Nord qui terrifie ses voisins, lançant des missiles dans leur espace territorial. Si l’Iran était honnête, il n’aurait pas cherché à obtenir la bombe atomique tout en prétendant ne pas le vouloir, rien ne l’obligeait à signer ce traité ou à ne pas s’en désengager.

    • “cf. l’Afrique du Sud qui a avoué en 1991 avoir possédé l’arme atomique jusqu’en 1989”

  4. Pendant des années on nous a seriné que la possession de la bombe atomique par les gendarmes du monde était un gage de stabilité politique et de paix éternelle. Arrière les canons, plus jamais la guerre, le monde il veut la paix, etc… Mais alors attention, les gendarmes, les vrais, pas des rigolos comme la Corée du Nord, le Pakistan, Israël, l’Afrique du Sud, et maintenant l’Iran. Peut-être quelques grands garçons tolérés comme la France ou l’Angleterre, mais c’est tout. On appelait cela l’équilibre de la terreur. Et puis patatras, ça se met à péter de partout, sans raison logique apparente, parce qu’un père Ubu veut imposer à des Russes de parler le patois ruthène, parce que des rabbounis à grands chapeaux noirs ont des rêves de gross terre promise, parce que les descendants de Mahboub Ali ont des vieux comptes à régler avec les brahmanes, parce que Xi lorgne sur les restes de Tchang, etc … La bombe atomique est devenue une source d’emmerdes. Bientôt on vous la vendra sur Temu. Chaque fois que la France la propose aux Européens c’est un refus poli. Maintenant, que Trump postule au prix Nobel de la Paix, pourquoi pas ? Il risque de transformer ça en show hollywoodien avec grenadiers d’opérette, majorettes et pompom girls.

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