Lu sur Gènéthique :
L’affaire Manuela c. Salvador a été jugée le 30 novembre 2021 par la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Elle a fait l’objet d’une campagne de désinformation : certains médias ont laissé entendre que le Salvador avait emprisonné une femme en raison d’un avortement, volontaire ou spontané, voire que cette femme aurait été quasiment mise à mort, et que la Cour interaméricaine aurait condamné le Salvador du fait de cette situation. Or, cela est intégralement faux. L’ECLJ est intervenu en tant qu’amicus curiae dans cette affaire et tient à rétablir quelques vérités, à la suite du jugement. Nicolas Bauer, chercheur à l’ECLJ, fait le point sur l’affaire.
L’affaire n’a rien à voir avec l’avortement
Contrairement à ce que l’on peut lire dans la presse ou sur internet, l’affaire Manuela c. Salvador n’a rien à voir avec l’avortement. Voici les faits : Manuela a accouché d’un enfant, puis l’a tué. Elle a été condamnée pour homicide aggravé. En prison, elle est décédée d’un cancer. La Cour interaméricaine a condamné le Salvador en raison de sa négligence en matière de conditions de détention et de soins de ce cancer. Le jugement aborde également les droits de Manuela dans la procédure pénale dont elle a été l’objet. La Cour interaméricaine a reconnu explicitement dans son jugement que Manuela était enceinte et « a accouché » (§ 91) et que donc « la présente affaire ne concerne pas la survenance d’un avortement volontaire » (§ 92)[1]. Ce constat de la Cour est un échec pour les associations pro-avortement, qui instrumentalisaient cette affaire dans l’objectif d’obtenir la légalisation de l’avortement au Salvador. Ce que la Cour a décidé est d’ordonner au Salvador de diminuer les peines prévues pour un infanticide, sans remettre en cause le principe de pénalisation de l’infanticide et de l’avortement.
Les enfants à naître et les nouveau-nés continueront ainsi de bénéficier d’une protection légale au Salvador. L’avortement et l’infanticide restent interdits et pénalisés. C’était dans ce seul objectif que l’ECLJ est intervenu à la Cour interaméricaine dans l’affaire Manuela[2]. Le fait que le Salvador puisse améliorer sa procédure pénale ou son système de santé est une autre question.
Deux zones d’ombre persistent
Il reste deux zones d’ombre, en lien avec ce jugement. Plusieurs éléments font peser des soupçons sur l’impartialité de la Cour interaméricaine. La Présidente de la Cour, Mme Elizabeth Odio Benito, fait actuellement partie de la Commission Internationale des Juristes (CIJ), qui a soutenu les requérants en intervenant directement dans la procédure en tant qu’amicus curiae. Ce conflit d’intérêt s’ajoute à d’autres liens d’intérêts entre cette juge et les requérants. En particulier, la principale ONG requérante, le Center for Reproductive Rights, ainsi que la CIJ dont est membre Mme Benito, sont toutes deux financées par l’Open Society Foundations (OSF). Comment la Présidente de la Cour pouvait-elle trancher le litige en toute impartialité en ayant de tels liens avec les requérants et leurs soutiens ? Dans un souci d’éthique judiciaire, Mme Benito aurait dû se retirer de cette affaire. L’ECLJ avait envoyé une lettre à la Présidente de la Cour afin de lui faire part de ses inquiétudes en février 2021. Une lettre restée sans réponse, malgré la gravité de ce qui était mis en lumière.
La deuxième zone d’ombre concerne le rôle d’experts des Nations unies dans l’affaire Manuela c. Salvador. Un expert de l’ONU, Philip G. Alston, était aussi amicus curiae dans l’affaire. Et lui aussi reçoit un financement de l’OSF, d’un montant de 400 000 dollars en 2019. Il a focalisé son intervention à la Cour interaméricaine sur l’avortement, ce qui était hors-sujet. Pire, le 6 décembre 2020, d’autres experts de l’ONU ont fait une déclaration troublante. Ils prétendent s’appuyer sur le jugement de la Cour interaméricaine pour demander au Salvador de dépénaliser les fausses couches et les avortements volontaires. Les fausses couches n’étant évidemment pas pénalisées, cette demande est non seulement hors sujet mais également aberrante. Les deux principaux experts ayant signé ce texte,, Dr. Tlaleng Mofokeng et Mme Melissa Upreti, sont connus[3]. La première a pratiqué elle-même l’avortement, ce qu’elle présente comme « un acte radical d’amour de soi », la deuxième a travaillé au Center for Reproductive Rights. Les deux expertes ont également des liens financiers avec l’OSF. Confondre délibérément fausse couche et infanticide, ce n’est respectueux ni pour les femmes ayant vécu une fausse couche, ni pour les bébés.
D’autres cas similaires au Salvador
Mais malgré les forts liens d’intérêts entre la Présidente de la Cour interaméricaine et les requérants, la Cour n’a pas repris leur propagande pro-avortement. Les juges, contrairement à certains journalistes et experts de l’ONU, savent encore faire la différence entre une fausse couche, un avortement volontaire et un homicide. Au-delà du cas de Manuela, remarquons par ailleurs qu’aucune femme n’est actuellement en prison au Salvador en raison d’un avortement ou d’une fausse couche. Les autres affaires dont la presse se fait régulièrement écho concernent des infanticides néonatals, c’est-à-dire l’homicide de nouveau-nés. Manuela c. Salvador est un exemple de toutes ces affaires servant de prétexte à des militants pour faire du bruit médiatique, au détriment de la vérité des faits et au mépris du droit et de la justice.
[1] N.B. : Toutes les citations présentes dans ce texte ont fait l’objet d’une traduction libre vers le français.
[2] Avortement et infanticide : l’ECLJ intervient à la Cour interaméricaine des droits de l’homme
[3] Des activistes pro-avortement / “experts indépendants de l’ONU” interviennent à la Cour suprême des États-Unis