À l’approche de l’anniversaire de la prise de Qaraqosh dans la nuit du 6 août 2014, l’AED publie un Rapport détaillé sur la vie des chrétiens après l’État islamique. La conclusion de cette série d’enquêtes inédites est sans appel : 100% des chrétiens se sentent en insécurité et sans réaction politique immédiate, la plupart quitteront le pays sous peu.
L’AED a publié un rapport intitulé “La vie après l’Etat islamique : nouveaux défis pour le christianisme en Irak”, qui compile les résultats d’une série d’enquêtes menées sur une période d’un an. L’étude de 80 pages (en anglais) présente les défis actuels auxquels sont confrontés les chrétiens irakiens, qui sont retournés dans leur ville d‘origine après la prise de la plaine de Ninive par l’État islamique, durant l’été 2014.
Le rapport avertit que si la communauté internationale ne prend pas de mesures immédiates, l’émigration forcée pourrait réduire la population chrétienne de la région au cinquième de sa situation d’avant 2014. Cela ferait passer la communauté chrétienne de la catégorie des “vulnérables” à la catégorie critique des “menacés d’extinction”. Avant 2003, les chrétiens étaient 1.5 million et ils seraient maintenant autour de 150 000.
L’étude a été dirigée par le chef du département Moyen-Orient de l’AED international, le père Andrzej Halemba, et préparée par Xavier Bisits, collaborateur de l’AED en Irak en 2019.
Selon le rapport, 100% des chrétiens vivant dans la région éprouvent un manque de sécurité et 87% d’entre eux indiquent même qu’ils le ressentent « beaucoup » ou « considérablement ». Les enquêtes montrent que l’activité violente des milices locales et la possibilité d’un retour de l’État Islamique apparaissent comme les principales raisons de cette crainte. 69% indiquent que c’est la première cause d’une éventuelle migration forcée.
Ce sont surtout les milices Chabak, soutenues par l’Iran opérant dans la plaine de Ninive, qui ont fait l’objet de griefs. Elles agissent avec la permission du gouvernement irakien parce qu’elles ont aidé à vaincre l’État islamique, mais 24% des personnes interrogées disent que « leur famille a été affectée négativement par une milice ou un autre groupe hostile ». « Le harcèlement et l’intimidation, souvent liés à des demandes d’argent », sont les formes d’hostilité les plus couramment signalées.
Outre l’insécurité, les chrétiens avancent le manque de perspective d’emploi et de développement économique (70%), la corruption financière et administrative (51%) et la discrimination religieuse (39%) qu’ils ressentent au niveau social, comme les défis actuels qui continuent de pousser les chrétiens à migrer. Les différends entre le gouvernement central de Bagdad et le gouvernement régional du Kurdistan, notables dans certaines zones à majorité chrétienne, renforcent le sentiment d’insécurité.
“Le rapport n’est pas pessimiste, mais c’est un avertissement clair car sans action politique concertée et immédiate, la présence de chrétiens dans la région de la plaine de Ninive et ses environs sera éliminée”, assure le père Andrzej Halemba.
Cependant, malgré l’appel urgent à la communauté internationale, le chef de projet de l’AED note “une évolution positive” si l’on tient compte du fait que, dans la première enquête réalisée par l’AED en novembre 2016, seulement 3,3% des chrétiens de la plaine de Ninive avaient l’espoir de retourner dans leurs villes et villages, en raison de problèmes de sécurité et du manque de logements. “Aujourd’hui, 36,2% des chrétiens sont revenus”, affirme le père Halemba. Cet équilibre positif, selon lui, est dû au plan de reconstruction à long terme que l’AED a lancé au début de 2017 pour s’attaquer avec d’autres organisations à la réhabilitation des maisons chrétiennes dévastées dans la plaine de Ninive. « Le plan visait à restaurer les maisons et à créer des emplois. Toutes les Églises locales ont fait preuve de solidarité et se sont réunies au sein du « Comité de reconstruction de Ninive » (NRC), un organisme créé pour coordonner le processus de reconstruction », explique le père Halemba.
L’AED a contribué à hauteur de 6,5 millions d’euros pour la reconstruction de 35% des maisons, soit un total de 2 860 maisons dans six villes et villages. Ces efforts ont eu l’effet souhaité et un nombre important de familles sont rentrées chez elles. “En avril 2020, 45% des familles sont revenues. Cependant, de nombreuses familles se sont séparées, c’est pourquoi souvent seule une partie des membres de la famille sont revenus. Au total, 8 166 maisons endommagées et détruites ont été réparées”, résume le représentant de l’AED.
Malgré les chiffres, les dernières enquêtes de l’AED inquiètent la fondation car elles révèlent que même si les chrétiens irakiens ont désormais un toit, la peur et l’insécurité continuent à régner dans la région. “Les perspectives sont inévitablement sombres parce que les chrétiens ont le sentiment d’avoir atteint un tournant en termes de viabilité de leur présence dans la région”, déclare le père Halemba.
Outre les mesures favorisant le développement économique, le responsable des projets de l’AED au Moyen-Orient appelle à “une représentation permanente des chrétiens au sein des autorités nationales et locales pour assurer la défense de leurs droits fondamentaux, en particulier le droit à l’égalité de citoyenneté”, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
“De notre côté, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir. Les générations futures ne devraient jamais dire de nous : vous en avez fait trop peu, trop tard”, conclut le chef de projet de l’AED.