François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran, estime que les manifestations en Iran ne menacent pas, dans l’immédiat, l’existence de la République islamique mais elles aggravent ses contradictions internes qui pourraient, à terme, lui être fatales :
"Les six jours de manifestations et d’émeutes sporadiques qui viennent de se dérouler en Iran démontrent la persistance dans la population d’une souffrance diffuse et profonde, alimentée par le chômage, la pauvreté, l’absence de perspectives économiques et politiques, alors que prospère d’autre part une richesse insolente, soutenue par l’État et alimentée par la corruption.
« Occupez-vous de nous, crient les manifestants, plutôt que de vous occuper de la Syrie, du Yémen, du Liban, des Palestiniens ». Il s’agit donc d’un appel au secours, mêlée à la colère qui ose s’exprimer contre le gouvernement, et même contre le Guide suprême. Mais pas de figures de proue, pas de ligne directrice. On peut parier que la plupart des gens qui défilent n’ont jamais voté, ou, s’ils ont voté, le faisaient pour ne pas se faire remarquer. À noter que le Mouvement réformateur, qui aurait pu les soutenir, ou au moins leur marquer un peu de sympathie, n’a fait aucun geste en ce sens.
Entre France et Iran, petit air de famille ?
Mutatis mutandis, cette désespérance n’est pas sans évoquer celle de nos banlieues, de nos quartiers, alimentée par des phénomènes un peu comparables. Les images dramatiques des incendies et des destructions de 2005 avaient donné au monde extérieur le sentiment que notre République vacillait sur ses bases. Il n’en était évidemment rien. La République islamique n’a pas été plus ébranlée par ce qui vient de se passer, décevant tous ceux qui guettent avec constance les signes de son effondrement.
Une des grandes différences du mouvement avec nos propres troubles, c’est qu’il a provoqué une vingtaine de morts. C’était d’emblée faire apparaître la férocité du régime, qui n’a jamais lésiné pour garantir sa sécurité. Et faire apparaître aussi l’écart qui le sépare d’un État de droit. Encore n’a-t-il pas eu besoin de faire monter en ligne ses Basidji et ses Pasdaran. C’est dire la disproportion des forces en présence, qui condamnait les manifestations à l’échec, dès lors qu’après leur première diffusion à travers le pays, elles ne parvenaient pas à monter en puissance au-delà d’une ou quelques dizaines de milliers de participants, au mieux, pour l’ensemble de l’Iran.
Dans de telles circonstances, les tweets de Donald Trump ont atteint le grotesque et ont aidé le régime à dénoncer, comme il se plaît tant à le faire, la main de l’étranger. Ils ont donc nui au mouvement. La réaction mesurée des Européens a été plus adaptée. Mieux valait en effet, pour la protection même des protestataires, éviter de prendre des positions avantageuses devant leur propre opinion mais qui ne feraient qu’attiser les braises. Comme vient de l’écrire le chercheur et activiste irano-américain Reza Marashi : « les problèmes sont iraniens, les manifestants sont iraniens, et la solution sera iranienne ».
Et maintenant, l’avenir
Quid de la suite ? À l’heure qu’il est, la position du président Rohani n’est pas enviable. Ses marges de manœuvre sont limitées. Il est pris dans l’étau du mécontentement populaire, d’une part, et d’autre part de la surveillance tatillonne du cœur conservateur du régime, qui ne fait rien pour l’aider. Malgré des efforts louables et quelques succès, il ne parvient pas à faire émerger la prospérité que la conclusion de l’accord nucléaire laissait espérer, en raison du sabotage de son application par l’administration de Donald Trump.
Il est enfin confronté au chantier gigantesque de la rénovation d’un système économique sclérosé, atteint par la corruption, plombé par les ardoises laissées par Mahmoud Ahmadinejad. Certes, il va faire quelques gestes, en matière de subventions, de distribution de produits de première nécessité. Il a prononcé des paroles de compréhension et d’apaisement. Mais rien à l’horizon qui modifie la donne. On peut donc se préparer à l’idée que dans quelques mois, un an ou deux peut-être, les mêmes causes produiront à peu près les mêmes effets.
Un mot pour ceux qui guettent comme l’aurore la chute du régime. La société iranienne se détache peu à peu, de façon irréversible, des fondements de cette République islamique. Elle n’est cependant pas prête à ce jour à se lancer dans un nouveau cycle révolutionnaire. Celui qu’elle a vécu il y a bientôt quarante ans lui a trop coûté. Mais que le régime n’en retire pas un sentiment de sécurité. S’il ne parvient pas à évoluer, à profondément se réformer, il finira en implosant sous le poids de ses propres blocages, dissensions et contradictions, un peu comme l’Union soviétique ou encore le régime de Franco. À cet égard, le choix du prochain Guide de la Révolution, qui devrait intervenir d’ici à quelques années – Ali Khamenei, né en 1939, a aujourd’hui 78 ans – pourrait jouer un rôle décisif."
BETIS
D’après ce brave homme très certainement très savant, encore une révolte “spontanée”… Comme le printemps Arabes bien sur…
Que des puissances mal intentionnées aiguisent les rancoeurs pour servir leurs intérêts, ce n’est pas nouveau, c’est même le terreau que pour la révolution française. Quand à notre merveilleux Etat de Droit, je rigole, rue d’Isly en 62, plus de 100 morts pour un seul petit exemple, on oublie vite en politique… Mais que des gens sois disant intelligents fassent semblant de l’ignorer, cela me dépasse…
Je n’ai aucune affinité avec le gouvernement Iranien, mais a contrario j’ai l’intime conviction que ce n’est franchement pas le moment de laisser M. Trump et ses copains des puissances de l’argent (auxquelles il appartient corps et âme, il ne faut surtout pas l’oublier), déstabiliser encore un pays pour servir leur sales intérêts, qui ne sont absolument pas le nôtres. C’est bien gentil de protéger la vie des petits bébés Américains en n’ayant cure des autres, quitte à les envoyer à la morgue avec leurs parents. Drôle de conception du respect de la Vie. Ceci dit ça marche, il est quasiment béatifié par ce blog…
Quand aux émeutes de 2005, ce brave homme n’en connait pas grand chose, pour preuve, il était confortablement installé dans son bureau…Moi j’étais au milieu de la mêlée, avec soldats, femmes et enfants, et effectivement, il n’y a pas eu besoin de morts, les braves commerçants locaux ont fait la discipline tout seuls, ça devenait dangereux pour le business. En enlevant les fouille m.. pardon, les journaleux et autres activistes, la France aurait été tranquille bien plus tôt. La aussi, on pourrait en parler de la “spontanéïté”… J’ai de quoi écrire un livre.
Le problème est que ce n’est pas de livres dont la France à besoin, mais d’intelligence appliquée et de courage. Je peux vous garantir que le jour ou une action sera vraiment menaçante pour le dogme Républicain, ils feront tirer, sans aucun état d’âme, comme par le passé. C’est ça le vrai courage, mettre sa peau au bout de ses idées. Personne n’en a envie pour le moment, et ce n’est certainement pas encore le moment d’ailleurs. Une action doit être parfaitement calculée dans l’espace et le temps pour être vraiment efficace, mais ce sont des notions que les scribouillards logoriques de tout poils ignorent complètement.
Assez de ces analyses de troisième zone réalisées soit par des aveugles, soit par des ignorants, mais bien souvent par des menteurs.
Papon
Il est evident que la defaite americano/saoudienne en Syrie à laquelle l’Iran a participé n’est pas etrangère à ces manifestations “spontanées”.
patphil
iran, vénézuela etc. quand des gouvernements font tirer sur des manifestants à balles réelles, et que les manifestants continuent… ça donne à réfléchir, non?
alpha
On ne pourrait avoir le même raisonnement en France chômage, accueil de milliers d’immigrés, armée démunie en mission à l’étranger.
Les jeunes ah oui s’ils échappent à la Veil ils n’échapperont pas aux vaccins de la Buzyn.
Au moins ici on s’occupe d’eux…
Semper Fidelis
Je repense avec tristesse à ces années 70 où l’Iran disposait d’un état moderne, plutôt proche de l’occident, et bénéficiait de substantiels revenus grâce au pétrole…
Malheureusement, ces revenus ne redescendaient pas sur tout le monde ! A côté d’une caste de privilégiés, vivant à l’occidentale, trustant les “places” près du Shah, il y avait l’immense multitude du peuple iranien, pauvre, restée orientale et soumise à un clergé chiite qui ne souhaitait qu’une chose : se venger du Shah qui avait confisqué des terres traditionnellement réservées pour les imams…
Le brûlot Khomeyni, que nous avons bien stupidement accueilli en France, allié à l’incommensurable stupidité des progressistes occidentaux, et la criminelle naïveté de l’administration Carter ont fait le reste : vieilli, malade, abandonné par ceux qu’il avait pourtant comblé de largesses (ingratitude de la nature humaine), le Shah dut laisser la place à une théocratie arriérée et criminelle…
Quand on pense à ce que fut autrefois la Perse ! Alors je crois que oui, il faut aider les iraniens à sortir de ce régime ultra-religieux pour les aider à rebâtir un état iranien moderne et allié de l’occident, pour faire contrepoids à l’Arabie saoudite qui souffle sur le feu islamiste partout où elle le peut !
Et si un jour l’Iran redevient un empire, et qu’un nouveau Shah remette de l’ordre dans son pays par des méthodes peu conformes avec la morale classique et les usages démocratiques, eh bien il faudra détourner pudiquement (et hypocritement) notre regard…
Edgar Tirol
Il est particulièrement déplacé, de la part de cet ancien ambassadeur, de tracer un parallèle entre la révolte des Iraniens et les émeutes des banlieues françaises. Les Iraniens cherchent à se libérer de la dictature islamique ; les émeutiers de nos banlieues cherchaient à l’imposer… C’est juste le contraire, mais cet “expert” n’a pas l’air de s’en apercevoir !
Slogans entendus dans ces manifestations : “Nous nous sommes trompés quand nous avons fait la révolution islamique”, “Mort à la révolution islamique !”.