Musulmans, chrétiens, laïcs et athées adressent une tribune au cheikh d'al-Azhar et au pape, publiée dans L'Orient Le Jour, pour demander l'abolition du statut de dhimmi. Extrait :
"[…] Aujourd'hui, une partie des musulmans est incapable de considérer des non-musulmans comme leurs concitoyens. C'est une crise sans précédent, qui nous oblige à expliquer des éléments problématiques de la tradition musulmane que Daech exploite pour justifier ses crimes.
« L'État islamique est à l'image du Ku Klux Klan. Nous l'avons déjà affronté en d'autres temps et d'autres cultures : l'Inquisition, l'esclavage, la ségrégation raciale, la violence misogyne et l'homophobie… Daech est ce fanatisme commun à toutes les sociétés oppressives, qui puise sa source idéologique dans l'islam. Nous devons faire comme hier l'Occident : il est temps de lancer une réforme de l'islam.
« Nous avons situé le problème là où il réside : dans la doctrine musulmane elle-même. L'islam s'est inventé des citoyens de plein droit, les musulmans, et les autres, de catégorie inférieure. C'est le régime de la dhimmât. De nombreux musulmans ont fini par reproduire cette discrimination dans leurs relations sociales et humaines avec les non-musulmans, ce qui a conduit des fanatiques à commettre des persécutions inouïes. En voici un exemple : la dhimmât permettait à des voyageurs musulmans d'occuper pendant trois jours la maison d'un non-musulman, et de se servir de ses biens. Dans une dérive évidente, Daech s'est permis d'exproprier les chrétiens de Mossoul de leurs maisons ancestrales. Mais cette contrainte à l'hospitalité était déjà une forme de dépossession pour pousser les chrétiens à la conversion ou à l'exil. Certes, la plupart des pays majoritairement musulmans ont renoncé à l'application de la dhimmât. Mais elle n'a jamais été formellement abolie dans la doctrine religieuse. La question posée aujourd'hui à l'islam est la suivante : comment la doctrine musulmane peut-elle s'adapter à nos sociétés profondément plurielles ? En Égypte, les chrétiens sont au moins 12 millions.
« Notre solution : abroger la dhimmât et reconnaître le principe de citoyenneté nationale. Tous les citoyens nationaux sont égaux en dignité et en droit, sans aucune distinction entre eux. […] La dhimmât est le socle religieux du projet mortifère de Daech. Et justifie d'expulser ou de massacrer les populations indigènes non musulmanes, à l'image de l'indigénat dans les anciennes colonies européennes. Bien heureusement, les chartes de Médine et Najran nous permettent de l'abroger. Mahomet lui-même est l'auteur de ces pactes oubliés qui interdisent la discrimination contre les juifs et les chrétiens de la péninsule Arabique.
« Dans l'esprit de ces chartes, nous prions le grand cheikh d'al-Azhar, guide universel des musulmans sunnites, d'abolir solennellement la dhimmât, qui est une législation impérialiste. L'ensemble des institutions religieuses sunnites dans le monde doivent participer à ses côtés à l'aboutissement de ce projet historique. D'ailleurs, le roi du Maroc en a lancé les bases dans sa déclaration sans précédent de Marrakech, en 2016. Deux ans après l'appel historique d'al-Azhar du président égyptien Sissi. C'est un enjeu planétaire, qui consiste à renforcer notre nouvel ordre mondial, fondé sur l'Onu, en faisant reconnaître les normes universelles de la citoyenneté pour que notre société internationale puisse connaître la paix, la justice et la liberté. La communauté internationale doit se tenir aux côtés des citoyens des pays majoritairement musulmans dans leur combat pour faire appliquer les normes du droit international. Nous sommes ces citoyens ! […]"