Notes de lecture d’un lecteur :
Peut-on résumer les écrits d’Alain Besançon d’une façon générale comme, plus particulièrement, ceux sur les rapports entre islam et religion catholique ? La question n’est pas une simple formalité, parce que A.Besançon est historien, philosophe, théologien, à la pensée ample, précise, profonde et exigeante. Ses textes sont longuement réfléchis, le vocabulaire en est riche, les références aux textes fondateurs fréquents, les formules souvent percutantes (« quand on coupait en morceaux un missionnaire en Chine ou quand on le mangeait en Afrique,… le persécuteur ne se préoccupait nullement de l’Incarnation, encore moins de la Trinité »). Il exprime toujours une sorte d’exigence pour le christianisme et en particulier le catholicisme, une inquiétude pour son avenir. Un résumé de sa pensée est difficile, au risque de l’amoindrissement du sens ou même du contresens.
Le meilleur conseil est donc, quand c’est possible, de se référer à ses deux textes (80 pages au total) inclus dans le volume Contagions (2018) qui regroupe certains de ses essais écrits de 1967 à 2015 : « La tentation de l’islam »[1] et « Vatican II a-t-il compris l’islam »[2].
La solution de repli est une présentation forcément simplifiée, organisée de façon comparative, factuelle, du contenu de ces deux textes. Elle part de la constatation que les musulmans n’ont pas de difficulté à penser le christianisme qu’ils voient comme une religion dépassée, une révélation trahie, que Dieu, par l’entremise de Mahomet, le sceau des prophètes, a tout à la fois abrogée, rétablie dans son vrai sens et portée sur un plan supérieur dans le Coran définitif.
L’islam au contraire trouble et désoriente le catholique qui paraît souvent attiré : attrait de la force de la croyance et de la vertu de religion des musulmans (à l’opposé d’une crise du catholicisme français) ; nostalgie d’une vie moins individualiste et plus communautaire ; aspect captieux des expressions fréquentes (associant la religion juive) : les « trois monothéismes », les « trois religions abrahamiques », les « trois religions du livre », les « trois religions révélées ».
Deux textes fondateurs sont issus des travaux du concile Vatican II :
- Lumen Gentium, la Constitution dogmatique sur l’Eglise. Le §16 parle des non-chrétiens (ceux qui n’ont pas encore reçu l’Evangile, sous des formes diverses). D’abord le peuple juif. Puis ceux qui reconnaissent le Créateur, « en tout premier lieu les musulmans ». Enfin ceux qui ignorent l’Evangile du Christ et son Eglise mais cherchent pourtant Dieu d’un cœur sincère.
- Et Nostra Aetate, déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes, « à notre époque où le genre humain devient de jour en jour plus étroitement uni et où les relations entre les divers peuples augmentent. » : au §3 : « L’Eglise regarde aussi avec estime les Musulmans qui adorent le Dieu un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre. ». De plus, ils se réfèrent volontiers à Abraham, vénèrent Jésus comme un prophète, honorent sa Mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jour du jugement.
Au total, dans une représentation concentrique des religions autour d’un christianisme catholique central, l’islam occupe une place « meilleure » que les paganismes.
Les deux religions sont des religions révélées : Dieu a voulu se manifester et communiquer à propos du salut des hommes. Chacune de ces religions a un livre saint. Et « il est indiscutable que l’islam adore le Dieu d’Israël » (formule qui serait certainement à creuser).
A partir de là, tout diverge sur le fond : place de l’histoire ; nature de Dieu, relation avec Dieu ; rapport entre religion, foi et raison ; nature des homonymes (Abraham, Moïse, Adam, Jésus, Marie) ; religion naturelle.
- Place de l’histoire: L’annonce du Coran est intemporelle. Le Coran est la Parole incréée de Dieu. Cette vérité est donnée tout entière dès le premier jour et dès le premier homme (Adam). Tous les hommes sont nés musulmans. Mais le message a été déformé, falsifié en particulier par les juifs et par les chrétiens. Et donc Mahomet a été le dernier « envoyé », le définitif réformateur, pour redresser les hommes par le message authentique qui lui a été transmis. Lui-même n’a joué aucun rôle actif : il n’a fait que recevoir des textes qu’il a répété. Au contraire, la Bible est le récit historique d’une Alliance, entre Dieu et son peuple qu’il libère, écrit par des hommes identifiables. Cette Alliance a progressé à travers plusieurs étapes. Les chrétiens (et les juifs, bien sûr) ont une histoire incarnée.
- Nature de Dieu: Dans l’islam, Dieu est Dieu. S’il a 99 noms, parmi ces noms, il n’y a pas celui de « Père ». Pour le catholique, Dieu est Père, nous sommes ses enfants. Jésus enseigne comme prière le « Notre Père ».
- Relation avec Dieu: Le musulman adore Dieu qui ne requiert pas l’amour et ne le dispense pas. Islam signifie « soumission ». Pour le catholique, l’amour est au cœur de sa foi. Le plus grand commandement est : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. »[3]. Et les prophètes sont souvent décrits en dialogue avec Dieu.
- Rapport entre religion, foi et raison : Pour le musulman, Dieu est évident. « Aussi évident que le soleil dans le ciel bleu ». C’est à la fois une croyance et une obéissance. Ne pas admettre l’existence de Dieu est renoncer à ce qui fait l’essence de l’homme, sa raison. L’incertitude n’est pas tolérée. C’est pourquoi le kafir (l’infidèle), aveugle au Dieu unique, insoumis, ne peut jouir des mêmes droits que les autres hommes parce qu’il n’en est plus tout à fait un. Il est légitimement promis à la mort ou à la servitude. Les musulmans ont la vertu de religion. Pour le chrétien, la foi est une vertu théologale, dépendant d’une grâce. La foi chrétienne laisse une incertitude dans la pensée : « la foi cherche l’intelligence »[4] et dialogue avec la raison, tout en acceptant une irrationnalité fondamentale. Et Saint-Thomas : « La connaissance que procure la foi n’apaise pas le désir de savoir, elle l’attise »[5].
- Nature des homonymies: Dans le Coran, la valeur exemplaire d’Adam, d’Abraham, de Moïse, de Jésus, est d’avoir été des « envoyés » et de confesser l’islam, qui contestent directement trois dogmes catholiques fondamentaux : l’Incarnation, la Rédemption et la Sainte-Trinité. Et quand les musulmans invoquent la Vierge avec piété, cette invocation s’adresse à une musulmane exemplaire.
- Religion « naturelle »: concept complexe, opposé par A.Besançon à la notion de religion révélée. La religion naturelle est celle des « païens ». Avec une notion d’évidence de Dieu, partout répandu ; de simplicité voire d’adaptabilité (ces mots ne sont pas de lui, ils essaient d’expliciter le concept[6]). Cette notion de simplicité se retrouve dans l’islam : il est demandé aux musulmans de rester dans les limites du « pacte dont les termes ont été fixés par Dieu ». L’ascétisme pour aller au-delà de ces limites n’est en rien recommandé. Le respect des 5 piliers est finalement adaptable. Et il y a un « bonheur musulman », un carpe diem La civilisation islamique est une civilisation de la bona vita. A contrario, le christianisme paraît au musulman anti-naturel : exigences morales, religion à mystères (N.B. : « Il est grand le mystère de la foi »…), irrationnelle.[7] L’islam est au final condensé par A.Besançon dans une sorte d’oxymore comme étant « la religion naturelle du Dieu révélé ». « Ce rapport à la nature fait la force de l’islam et la fragilité du christianisme ».
En 2018, l’Eglise catholique semble en rester vis-à-vis de l’islam à un mélange de bons sentiments, d’ignorance et de peur[8]. Et la demande de réciprocité que réclament les Etats laïques occidentaux comme le Vatican, est légitime en droit naturel, mais elle est aussi un « index de l’ignorance de ce qu’est l’islam ».
Soucieux de l’intégrité du dogme catholique, A.Besançon suggère la recherche de bons rapports entre musulmans et catholiques sur le terrain de la morale commune, des vertus communes, mais recommande d’éviter à tout prix de se placer sur le terrain religieux parce que c’est là que commence la confusion. Application de la prudence, vertu cardinale, et non pas effet gagnant de la stratégie de l’intimidation des « coupeurs de langue »[9] . A.Besançon n’y cède guère et rappelle à la fin de son texte de 2015 l’épisode des suites du discours de Benoît XVI à Ratisbonne en 2006 : « Dans la semaine on assassina quelques chrétiens pour bien montrer à quel point l’islam répugnait à la violence et se conduisait selon la raison ». Et, à rebours de ces hommes chargés d’Etat qui parlent de l’islam comme d’une religion de paix : « Il est téméraire d’affirmer que le « véritable islam » est l’ennemi de toute violence ». Il a déjà été dit qu’Alain Besançon avait le sens de la formule.
[1] Dans « Trois tentations dans l’Eglise », 1996
[2] Dans « Problèmes religieux contemporains », 2015
[3] Mt 22-37
[4] Saint Augustin, cité par A.Besançon
[5] Et aussi : la Patrologie latine publiée par l’abbé Migne au XIXème siècle compte 217 volumes sur deux colonnes (Problèmes religieux contemporains : l’intelligence a-t-elle déserté l’Eglise latine ?)
[6] Autre note personnelle : on pourrait introduire l’hypothèse, à discuter, qu’il n’y a pas de blasphème dans une religion naturelle.
[7] Autre note personnelle : Il serait peut-être possible de symboliser cette différence par la longueur des deux professions de foi : la profession de foi musulmane (17 mots) et le Credo -Symbole de Nicée (231 mots).
[8] Vatican II a-t-il compris l’islam ? Note introductive, 2018
[9] La stratégie de l’intimidation, Alexandre Del Valle, 2018
incongru
pourtant, il est facile de se faire une idée sur le sort que l’islam réserve au païen, à l’athée, au juif et au chrétien (pardon, à l’associateur) : des versets le disent clairement, et explicitement
bon, on n’est pas obligé de croire ce que l’on lit ….