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Pays : Syrie

«Islamiste un jour, islamiste toujours»

«Islamiste un jour, islamiste toujours»

De Sonia Mabrouk dans le JDD :

Suffit-il de raccourcir sa barbe de quelques centimètres et de porter une cravate pour devenir fréquentable ? Les chancelleries occidentales veulent tellement croire en la reconversion d’al-Joulani qu’elles interprètent chaque signe de sa part comme étant un geste d’ouverture en vue d’une Syrie nouvelle. De l’ayatollah Khomeiny en passant par le reis Erdogan jusqu’aux talibans d’Afghanistan, l’Occident n’a jamais rien vu venir. Chaque fois, les leçons de l’histoire ont été aussi vite oubliées que les anciens régimes en place.

31 décembre 1977. Le président Carter et son épouse Rosalynn sont éblouis par le dîner de réveillon chez les Pahlavi. Sourire vissé aux lèvres et chignon impeccable, l’impératrice Farah demande à l’un des valets du palais de placer un disque du roi Elvis dans un lecteur vinyle dernier cri. La cour du shah d’Iran résonne aux sons de Love Me Tender. Jimmy Carter prend une grande inspiration avant de lâcher que l’Iran incarne un îlot de stabilité dans l’une des régions les plus troublées de la planète. Deux ans plus tard, la dernière statue de Reza Pahlavi tombe aux cris de « Fils de chien. Tu iras en enfer ».

À des milliers de kilomètres, à Neauphle-le-Château, un homme au visage sombre et aux traits vengeurs savoure sa victoire. Khomeiny a fait chuter le shah et réussi à duper les états-Unis. D’une pierre deux coups dans un pays où la lapidation à coups de gros cailloux deviendra la norme.

Naïveté ou calcul ?

27 mars 1994. Verbe haut et taille fine, Recep Tayyip Erdogan intrigue l’Occident. Tout juste âgé d’une quarantaine d’années, l’homme vient de rafler la mairie d’Istanbul avec ses 12 millions d’habitants. Tandis que les milieux kémalistes se méfient de ce jeune tribun populiste, la diplomatie européenne voit en lui le nouveau visage de l’islamisme progressiste, très loin de se douter qu’il prononcera bientôt cette phrase glaçante : « Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes et les croyants nos soldats. » Le maître de la capitale turque, loué par une partie de la presse française comme un islamiste bon teint, ne tardera pas à montrer son vrai visage et à délaisser le masque de gouvernant modéré.

Obéissant à une idéologie conjuguant nationalisme et islamisme, il structure la nation turque autour du rapport au religieux et à la morale, répondant en partie aux aspirations de la population. Il s’inspire en particulier de la stratégie des Ottomans pour importer un nouveau modèle unificateur fondé sur l’islam en tant que force de mobilisation sociale et politique. Un nouveau champion islamiste éclot au nez et à la barbe des Occidentaux.

15 août 2021. L’Occident fait la même erreur en misant sur les talibans dits « modérés ». Tandis que la capitale afghane tombe en quelques heures, les nouveaux maîtres de Kaboul promettent paix et sécurité aux 38 millions d’âmes du pays. On connaît la suite. Les femmes n’ont plus désormais le droit de parler en dehors de chez elles sous peine de châtiments corporels. Une interdiction qui vient compléter une longue liste de règles sur le vice et la vertu toutes plus effrayantes et archaïques les unes que les autres.

8 décembre 2024. Le chef du groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Cham est passé du statut de djihadiste à celui d’homme d’État rebelle syrien. Ex-leader de la branche syrienne d’Al-Qaïda, Abou Mohammed al-Joulani tente de montrer un visage rassurant pour prendre la suite de la terrible dynastie des Assad. Une nouvelle fois, l’Occident veut y croire. Iran, Afghanistan, Turquie et maintenant Syrie. Pourquoi un tel entêtement à se tromper ? Par naïveté ou bien par calcul ?

Personnellement, je n’ai jamais cru à la thèse d’un Occident bêtement crédule. N’oublions pas que lorsque Carter, Giscard d’Estaing, Schmidt et Callaghan lâchent le shah d’Iran, tous suivent la doctrine des renseignements américains : plutôt les islamistes que les communistes. Depuis cette époque, nombre de dirigeants occidentaux ont estimé qu’il valait mieux favoriser des régimes islamistes dans les pays arabes, pensant ainsi atténuer le risque terroriste sur leur propre sol. Je me souviendrai toujours de la déclaration de la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton au lendemain de la victoire des islamistes d’Ennahdha en Tunisie, en 2011. Elle avait lancé devant un parterre de militantes des droits des femmes médusées : « Les islamistes ne sont pas tous les mêmes. » Entendez par là : il existe des islamistes modérés.

Les États-Unis ont vu d’un bon œil l’arrivée de l’islam politique au pouvoir en Tunisie, oubliant au passage la résistance d’une société pionnière sur les droits des femmes. Les calculs des élites font rarement bon ménage avec l’aspiration des peuples.

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1 commentaire

  1. Quelle clairvoyance! Remarquable. Ce qu’elle ne dit pas jusqu’au bout, cependant, c’est que L’Occident répète la même erreur pour contrer l’axe autour de la Russie. Estimant que, quand on a 2 ennemis, il faut bien s’allier avec l’un pour éliminer l’autre comme il s’est allié à Staline pour éliminer Hitler. Le problème est que l’islamisme ne se réforme pas et pense avoir Dieu et l’éternité pour lui. Qu’est-ce qui a fait tomber le communisme 45 ans après les Nazis ? (Il faut être honnête, un peu d’islamisme en Afghanistan quand même). Mais surtout, Reagan, Solidarnosc, les pasteurs de Leipzig et St Jean-Paul II. Seul le christianisme, et peut-être bien seul le catholicisme, viendront à bout de l’islamisme, mais aussi des régimes proches de Poutine. Ce que les élites occidentales déchristianisées refusent d’admettre. Avec la disparition de biens des chrétiens d’Orient, on est loin d’y arriver. Un espoir : la jeunesse iranienne, largement désislamisée et en partie christianisée clandestinement (on parle de 2 millions de chrétiens clandestins, difficile, par définition, d’avoir un chiffre)

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