Par Antoine Bordier, auteur de la trilogie Arthur, le petit prince
Le 13 avril 1975 commençaient les Guerres du Liban. Pourtant, elles n’auraient jamais dû débuter. Effectivement, en 1972, Soleimane Frangié, le Président, tente de désarmer les camps palestiniens. Le grand nettoyage a lieu. Mais, avant qu’il ne soit total, les pays arabes lui donnent l’ordre de retirer l’armée des deux derniers camps qui restent à pacifier. 3 ans plus tard, démarre la première des guerres du Liban : celle des Palestiniens de Yasser Arafat. Fouad Abou Nader et Tony Fata s’engagent encore plus pour défendre et sauver le Liban. 50 ans plus tard, ils racontent… Suite de notre trilogie : Il y a 50 ans, les Guerres du Liban.
Fouad Abou Nader et Tony Fata sont des fidèles. Fidèles de leur foi chrétienne, de leurs engagements et de leur pays si convoité. Ils portent, encore, sur eux des traces indélébiles : celles qui ont marqué leur chair, leur esprit et leur volonté. Ce sont des hommes entiers, racés. Ils n’ont jamais renoncé à sauver et servir leur pays. Les attentats, les complots, les guerres, les influences et les trahisons… ils connaissent. En 50 ans, ils ont relevé tous les défis et ont failli mourir plus de 100 fois.
Aujourd’hui, après avoir combattu pendant des années, ils ont tourné, définitivement, les pages ensanglantées des guerres de 1975, en oeuvrant pour la paix, la réconciliation et la renaissance de leur Etat souverain et indépendant.
Les deux hommes ont presque le même âge : Fouad est né en 1956, Tony en 1957. Le premier est un montagnard, originaire de Baskinta. Il est un premier de cordée. Le second, également, même s’il est né à Tripoli. Sa famille est originaire d’un petit village du Mont-Liban proche de Bikfaya : Beit Chabab.
En 1975, les deux hommes ne se connaissent pas encore. Ils sont étudiants lorsque la guerre éclate.
A 14 ans, ils s’engagent !
Ils n’ont pas attendu le « jour noir » du 13 avril 1975 pour servir leur pays, comme le raconte Fouad.
« Oui, je me suis engagé à 14 ans au sein du parti Kataëb. Mes parents ne le savaient pas. Ils l’ont su 4 ans plus tard, vers l’âge de 18 ans, lorsque la guerre a commencé. Je n’étais pas seul. Des milliers de jeunes s’engageaient. Il y avait un dynamisme, un élan, une ferveur incroyable, dans ce parti politique qui s’occupait de la jeunesse. J’avais envie de défendre l’identité libanaise menacée par l’afflux massif de Palestiniens, dont les chefs voulaient faire du Liban leur nouvelle Palestine. »
C’est le temps de l’effervescence au Liban, où les mots patriotisme et souveraineté du pays s’écrivent en lettres d’or.
Tony, lui aussi, se souvient : « Déjà, en 1969, ils ont bombardé l’aéroport de Beyrouth. » Pour Tony, c’est le bombardement de trop.
« Je me suis, alors, engagé, comme beaucoup de mes concitoyens chrétiens au Kataëb, le parti fondé par Pierre Gemayel. »
Pour bien comprendre leur engagement, il faut reculer un peu dans le temps. Et remonter au mandat français de 1920 à 1943 qui prépare le Liban à devenir indépendant. Ce qui sera effectif le 22 novembre 1943. 7 ans auparavant, en 1936, Pierre Gemayel et des proches ont fondé le parti.
Cette indépendance, les Libanais ne le savent pas encore, sera remise en question trente ans plus tard. Et, la création de l’Etat d’Israël en 1948, n’y est pas étrangère. Le nouvel Etat entre en guerre, dès le lendemain de son indépendance, pour chasser les Palestiniens de leurs terres ancestrales. Chassés « comme des chiens », ils trouvent refuge au Liban, en Jordanie et en Egypte, surtout. Puis, la guerre des Six Jours, de 1967, menée par Israël contre l’Egypte, la Jordanie et la Syrie, suivie de la guerre en Jordanie où les Palestiniens ont essayé de renverser le pouvoir royal (lors du septembre noir de 1970), inondent le Liban de nouveaux réfugiés palestiniens. Ces derniers avaient, dès lors, trois objectifs : vivre, faire du Liban leur base-arrière, et reconquérir leur terre.
« Je ne pensais pas que la guerre allait venir »
C’est ce que déclare Tony, en 2025 :
« Je ne pensais pas que la guerre allait venir. Nous étions des enfants. Nous ne pensions pas à la guerre. Nous nous entraînions au cas-où. Notre armée légale et notre souveraineté étaient bien présentes. Mais, elles se sont révélées trop fragiles, impuissantes. Comme si, en plus, certains pays arabes avaient voulu nous affaiblir, jusqu’au point de non-retour. Jusqu’à notre chute et à notre disparition totale. Je me souviens que tous les après-midis, après l’école (NDLR : qui se termine à 15h30), je me rendais au parti, dans le quartier Aïn el-Remmaneh ».
Pourtant, comme Fouad, en 1973, Tony participe à une première guerre entre l’armée libanaise et les camps palestiniens. « Nous étions chargés de défendre leurs arrières », raconte-t-il. En 1974, au Liban, les jeunes, comme Tony, sont près de 15 000 à s’engager.
Et, Fouad ?
Fouad pressent que la guerre va venir :
« Au Liban, entre l’armée nationale et les fedayins de Yasser Arafat, les clashs se sont multipliés depuis 1970, après les accords secrets du Caire de 1969. Tony a raison, 1973 est comme un premier tocsin qui sonne fort pour le Liban. »
Face à une armée libanaise composée de 10 000 militaires, les fedayins de Yasser Arafat sont 3 à 4 fois plus nombreux. C’est pour cela que l’armée reçoit le renfort des milices chrétiennes.
Premier fait d’armes
Fouad fait partie de la milice des étudiants. Certains sont très jeunes et n’ont pas 18 ans. Avec eux, il est prêt à monter au front. Il est tellement prêt qu’il sait manier la kalachnikov et qu’il a, déjà, son premier fait d’armes.
« A l’été 1974, le 30 juillet, il y a un conflit entre le camp palestinien de Tall Zaatar et nous. Je fais, alors, partie de la milice BJ, les Bejins. C’est l’élite de la milice des étudiants. Quelques mois plus tard, en mars 1975, je me retrouve face à Yasser Arafat, car je me suis fait arrêter par sa propre milice, à Beyrouth. Je me souviens qu’il a appelé le Premier ministre de l’époque, et lui a dit : “ Je t’envoie 3 petits chrétiens.” Et puis, il nous a dit : “ Vous les chrétiens, vous allez apprendre ce que c’est que vivre sous la tente…” »
Le jeune homme, les yeux bandés, a eu la première peur de sa vie. Vivre à la dure ? Il s’y est préparé.
Tony, de son côté, a remarqué une chose : « la multiplication et la position des camps palestiniens a été clef dans le déclenchement de la guerre, car ils entouraient Beyrouth, tel un verrou ». Oui, les camps de Sabra et Chatila, de Dbaych, de Tal el-Zaatar, de Jisr el-Bacha et de la Quarantaine (liste non exhaustive), forment une sorte de ceinture autour de Beyrouth qui s’est urbanisée de façon galopante.
Le 13 avril 1975
Au cours de ces guerres, Fouad, leader dans l’âme, va devenir le chef des Forces Libanaises.
« Les guerres ont commencé le 13 avril 1975. J’ai dit à mes parents : “Je descends combattre.” Les Palestiniens ont tiré le matin sur une église en pleine cérémonie d’inauguration où se trouvait Pierre Gemayel. Puis, un bus palestinien, dans l’après-midi, qui passe dans la rue, est pris en représailles. C’est le début de la guerre. »
Ah, terrible 13 avril 1975 ! Il rappelle un autre 13 avril : celui de 1919 où les colons britanniques massacrent des manifestants indiens… Ce dimanche 13 avril 1975, Tony, lui, est aux premières loges. Il assiste à la tragédie du haut de son balcon, sans pouvoir rien faire ; et, entend les coups de feu avant d’arriver sur le terrain.
« Oui, la guerre est devenue inévitable ce 13 avril 1975. Dans l’après-midi, après l’attentat avorté contre Pierre Gemayel, un bus palestinien, passant par Ain el-Remmaneh et se dirigeant vers le camp palestinien de Tal Al-Zaatar, est sous le feu des miliciens de Kataëb… »
Tony s’en souvient comme s’il revivait la scène. L’adolescent est aux avant-postes.
« J’ai pris les armes, et je me suis rendu à l’église en courant. Je suis arrivé trop tard. Les Palestiniens voulaient assassiner Pierre Gemayel. Ils l’ont loupé. Et, il y a ce bus… Ce jour-là, je fêtais mes 18 ans ! »
Trois jours plus tard, le nombre de morts a été multiplié par 15. Le conflit va durer 15 ans. On évoque même le terme de « guerres sans fin ». Entre 1975 et 1990, 150 000 à 250 000 victimes vont mourir, sans compter les blessés, les disparus et les exilés.
La paix ?
Dans la Bible, dans le Livre d’Isaïe, au chapitre 40, verset 16, il écrit : « Le Liban ne pourrait suffire au feu, ni ses animaux, suffire à l’holocauste. » Le Liban, où ruisselle l’eau, le lait, le miel, les neiges éternelles et le vin de Dionysos, recherche inlassablement la Paix !
Le 11 mai 1997, plus d’un million de Libanais, chrétiens et musulmans, accueillaient dans la ferveur et dans la joie le pape Jean-Paul II qui lançait son appel en faveur de la paix, de la réconciliation et de la souveraineté du Liban.
Les 12 et 13 août 1982, c’était mère Teresa qui s’était rendue au Liban, à Jounieh exactement, sous les bombes !
Quant à Fouad et Tony, ils se retrouvent ce jour avec 5000 personnes, et d’autres leaders comme le Président actuel du parti Kataëb, Samy Gemayel. Il est le petit fils de Pierre Gemayel, le fils d’Amine Gemayel, Président de la République de 1982 à 1988, neveu de Bachir Gemayel, le Président de la République, assassiné le 13 septembre 1982, avant son investiture officielle.
Ce samedi 12 avril 2025, ils commémorent le « dimanche noir » 13 avril 1975.
De notre envoyé spécial Antoine Bordier, consultant et journaliste indépendant. Auteur de la trilogie Arthur, le petit prince (d’Arménie, du Liban, d’Egypte).