Introït de la messe de Pâques, chantée par les moines de l’abbaye de Triors :
Resurréxi, et adhuc tecum sum, allelúia : posuísti super me manum tuam, allelúia : mirábilis facta est sciéntia tua, allelúia, allelúia.
Je suis ressuscité, et je suis encore avec Vous, Alléluia : Vous avez posé votre main sur moi, alléluia ; Votre sagesse a fait des merveilles, alléluia, alléluia.
Commentaire sur Una Voce :
C’est par la parole du Ressuscité même que s’ouvre la messe. Resurréxi. Je suis ressuscité. L’introït modifie légèrement le texte de ce verset pour rendre plus évidente la portée prophétique de ce psaume 138 et son accomplissement par le Christ. Là où les Pères de l’Église lisaient exurréxi au v. 18 et lisaient dans ce réveil la résurrection du Christ, l’introït chante plus explicitement resurréxi et on connaît ces manuscrits musicaux qui ouvrent le dimanche de Pâques par de grands R solennellement enluminés.
Mais la phrase ne s’arrête pas là ; la mélodie nous porte jusqu’à la fin du verset 18, ponctué par un premier allelúia. C’est le début de ces pièces ponctuées d’allelúia que nous retrouverons tout au long du temps de Pâques. Pendant quarante jours nous n’avons pas prononcé d’allelúia. À la vigile pascale nous l’avons retrouvé comme l’acclamation par excellence de l’évangile, puis comme antienne de communion[1]. Mais là il valait pour lui-même. Ici il est une ponctuation, il est la louange qui devient notre respiration, notre souffle, tout au long du temps pascal.
Mais revenons à notre introït. Sa première phrase se clôt de manière forte pour ce mode, par une cadence fa mi. Elle reste dans un ambitus modeste, ré-sol, là où dans la suite de la pièce il s’étend du do au la. Cela permet de la lire comme le premier volet de ce que les allelúia ponctuent comme un triptyque. Cette première phrase s’amorce avec l’affirmation resurréxi dans l’intimité de la tierce ré–fa, puis s’ouvre à la quarte sur sol en s’adressant à quelqu’un : et adhuc tecum sum. Qui connaît le psaume 138 sait que c’est une parole adressée par le croyant à Dieu. Celui qui a vécu la nuit de Pâques sait que c’est la parole que le Christ adresse au Père, dans l’intimité filiale dont le jeu caractéristique du 4e mode sur le demi-ton mi-fa rend si bien compte. Car le Verbe est venu parmi nous sans quitter la droite du Père, comme nous le chantons dans l’hymne de la fête du Corpus Christi : Verbum supérnum pródiens / nec Patris linquens déxteram…
La deuxième phrase reprend sur le fa et étend l’ambitus d’un ton en s’élevant au la[2] sur le mot posuísti qu’il accentue de ce fait : posuísti super me manum tuam. Cette main est celle qui crée, qui donne, qui venge, aussi[3]. Ici, manifestement, elle ne punit pas, mais est celle qui a libéré de la geôle de la mort, bienfaisante, comme elle s’est posée sur Moïse et les prophètes. La phrase se clôt par un allelúia qui nous laisse suspendus au fa et ouvre au dernier volet du triptyque.
Cette troisième phrase étend d’un ton supplémentaire l’ambitus, vers le bas cette fois, vers le do qui souligne la première partie de cette phrase, d’autant plus que la cadence intermédiaire en ré-do de cette phrase est appuyée par une clivis épisémée. Mirábilis facta est est la partie la plus basse de la pièce, alors que le sujet de cette phrase (postposé comme le permet le latin), sciéntia tua en est la partie la plus haute, dont les deux mots sont accentués par le la. Plus basse, plus haute : aucune descente ou montée extraordinaire, mais un dépassement de l’intimité si serrée dans laquelle cette pièce nous maintenait jusque là. Car c’est pour nous qu’il est mort et ressuscité. C’est pour nous que d’abord il s’est incarné. De la crèche à la croix il n’y a qu’un pas. C’est parce que d’abord le Fils homo factus est, qu’aujourd’hui nous pouvons chanter mirabilis facta est avec lui. Cette fraction de phrase descend, comme il est venu parmi nous, comme il est descendu aux enfers. Et comme le chant s’élevait sur posuísti, il s’élève encore sur sciéntia tua : c’est le Père qui a posé sa main sur son Fils, c’est le Père dont la science est merveilleuse. Cette élévation de sa science n’est pas une gnose mais une éducation (ex-dúcere comme ex-súrgere > exurréxi), celle du Père qui pose sa main sur moi, m’élève et me fait reposer dans la paix ; paix que chante le double allelúia final dans la tierce modale mi-sol.