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Culture

Jean Madiran et Jérôme Lejeune : « coopérateurs de la vérité » comme Benoît XVI

Jean Madiran et Jérôme Lejeune : « coopérateurs de la vérité » comme Benoît XVI

De Rémi Fontaine :

En lisant la nouvelle et belle biographie d’Yves Chiron sur Jean Madiran (1), j’ai aussitôt pensé à celle d’Aude Dugast (ou d’Anne Bernet) sur Jérôme Lejeune (2). Il y a chez ces deux seigneurs de l’intelligence, que j’ai eu la chance de pouvoir côtoyer, tant de similitudes malgré leurs vies, leurs métiers et leurs tempéraments si différents. Ces similitudes conduisent à un troisième gentilhomme de la pensée, plus éminent encore, qui nous donne la raison de ces ressemblances par sa propre devise : « coopérateurs de la vérité » !

Sur le cardinal Ratzinger (puisqu’il s’agit de lui), avec qui il collaborera, Jérôme Lejeune pourra écrire justement :

« Je l’ai vu et entendu lors d’une séance de travail subir il n’y a pas d’autre mot des attaques personnelles très acerbes et des raisonnements théologiques démentiels sans se départir un instant de son calme et de sa bonté ! Il a ensuite repris tout le sujet traité en quelques minutes, a remis à l’endroit tout ce qui était cul par-dessus tête, avec à chaque instant un respect des personnes que ses interlocuteurs n’avaient guère manifesté. Dans la discussion c’est l’esprit le plus clair et le plus charitable que j’aie jamais rencontré. Il ne s’incline que devant la vérité. Mais il sait la chercher. »

Avec des nuances et malgré certaines apparences trompeuses, ce portrait du « Mozart de la théologie » pourrait s’appliquer aussi bien au docteur scientifique de la vie (que fut Lejeune) qu’au docteur philosophique de la loi naturelle (que fut Madiran), les trois restant des apôtres de la piété filiale, doux et humbles de cœur.

Yves Chiron définit ainsi la personnalité de sa biographie comme un « homme de dialogue » :

« L’expression peut surprendre tant le nom de Madiran est attaché à la controverse ou à la polémique. Or, tout au long de sa vie Madiran a voulu engager un dialogue intellectuel avec ses adversaires ou supposés tels. Il aimait la confrontation des idées… Il reste une figure majeure du catholicisme français contemporain, non pas marginale mais sous-estimée ou caricaturée par ses adversaires et parfois méconnue par ceux-là même qui le lisaient. »

J’ai témoigné par ailleurs – L’Action familiale et scolaire, avril 2022 (3) – avec quelques souvenirs personnels, de l’extraordinaire délicatesse et humilité du Pr. Lejeune. Attaqué de toutes parts pour son combat scientifique, prophétique et eschatologique en faveur du respect inconditionnel de la vie humaine et innocente, il demeura toujours d’une charité remarquable, soucieux du salut de l’âme de tous. Lâché par les politiciens, par ses pairs (qui trahissaient leur vocation), il ne se consola jamais de l’avoir été par les évêques eux-mêmes. La parenthèse lumineuse que lui offrit son ami le pape Jean-Paul II à la fin de sa vie (avec la fondation de l’Académie pontificale pour la vie) ne l’empêcha pas d’avoir été un humble mais incomparable soldat de la Vie sous les horions, cela presque jusqu’à un certain martyr : « Et si fefelitur, de genu pugnat » ! Et s’il vient à tomber, c’est à genoux qu’il combat !

Dans Itinéraires de chrétienté avec Jean Madiran (Presses de la délivrance, 2018), j’ai pu saluer également le veilleur debout que fut celui-ci dans la crise de l’Eglise : « Le grand Veilleur debout sur la tranchée. » Placé par sa formation et sa vocation de publiciste en un lieu d’observation particulièrement bien situé, au carrefour entre la philosophie réaliste et la théologie révélée, à la jointure du religieux et du politico-religieux, il aura été non seulement un guetteur mais un « cibleur », un tireur d’élite, apte à réaliser des tirs de précision à l’aide d’un matériel adapté et de munitions choisies. Des tirs de légitime défense contre les indigentes démonstrations humaines des ennemis de l’Église, mais aussi et surtout contre certains membres de la hiérarchie catholique, docteurs douteux ou distraits, prévaricateurs ou apostats, commissaires de tout acabit. Selon « le devoir de charité qui est celui du soldat contre le barbare », l’argumentation et la réfutation étant ses « seules armes de simple soldat ».

Sans doute y eut-il parfois certains excès ou certaines susceptibilités. Sans juger les reins et les cœurs, l’on n’imagine pas aujourd’hui la cause de béatification de Jean Madiran s’ouvrir comme on a pu le faire pour Jérôme Lejeune ou comme on le fera peut-être un jour pour Benoît XVI. Mais même les saints ont leurs défauts ! Je me rappelle notamment d’une rare colère – sainte colère sans doute ! – du professeur à l’endroit d’un intervenant trop intrusif lors du symposium de Rome sur le linceul de Turin. Reste visiblement et sûrement une certaine héroïcité des vertus intellectuelles communes à ces deux sages laïcs : la passion pour la vérité et l’honnêteté intellectuelle ont aujourd’hui un prix à payer qui est la caricature, la stigmatisation et la relégation sociologique.

Que dire enfin de Joseph Ratzinger, devenu Benoît XVI, surnommé calomnieusement le rottweiler de Dieu ou le Panzer cardinal ? Sinon qu’il demeurera plutôt dans l’histoire ce docteur melliflu, pour qui, à l’instar de saint Bernard :

« La science n’est pas un but dernier, mais plutôt un chemin qui conduit à Dieu ; ce n’est pas une chose froide sur laquelle s’attarde vainement l’esprit… mais c’est une chose mue par l’amour, poussée et dirigée par lui. » (Pie XII).

La formule johannique « coopérateurs de la vérité » exprime bien l’intention de ces trois chercheurs de Dieu, dont l’intelligence se voulait ordonnée à Celui qui s’est présenté à nous comme la Vérité, la Voie et la Vie.  Qui dit coopération dit bien commun. Cette coopération, ils la proposent à tous, fidèles et « infidèles », à différents niveaux (scientifique, philosophique, théologique), afin précisément d’ordonner le bien commun temporel au Bien commun surnaturel qui est le Dieu de l’Évangile. Ils savent aussi, chacun à leur rang si différent, qu’il ne leur appartient pas de faire triompher la vérité mais de la confesser jusqu’à la mort.

Même dans l’obscurité qui recouvre aujourd’hui notre monde, « opera Christi non deficiunt, sed proficiunt » (les œuvres du Christ ne reculent pas mais elles progressent). Merci et honneur à ces veilleurs dans la nuit, en attente de l’aube qu’ils nous désignent, à ces artisans de paix par les œuvres de miséricorde spirituelle qu’ils ont produites !

Rémi Fontaine

(1) Jean Madiran, 1920-2003 par Yves Chiron, DMM, 2023.

(2) Jérôme Lejeune, la liberté du savant par Aude Dugast, Artège, 2019.

     Jérôme Lejeune, biographie par Anne Bernet, Presses de la Renaissance, 2004.

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