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L'Eglise : Vie de l'Eglise

Jean Madiran et Mgr Lefebvre

Jean Madiran et Mgr Lefebvre

Dans son Histoire des traditionalistes (voir aussi ici), Yves Chiron évoque le dernier avis donné par Jean Madiran sur les sacres de Mgr Lefebvre, exprimé dans le film documentaire consacré à Mgr Lefebvre il y a dix ans et dans lequel le journaliste a affirmé : « Il m’est difficile de trouver qu’il avait tort » en parlant des consécrations épiscopales. Yves Chiron pensait que les propos de Madiran étaient incomplets et que le reste de l’entretien nuancerait peut-être cette présentation. Il ajoutait que seul le réalisateur du film pourrait apporter un éclairage sur ce fameux entretien. Ce dernier, Jacques-Régis du Cray, apporte des précisions sur le site de Renaissance catholique :

[…] Jean Madiran ne suivit pas Mgr Lefebvre dans l’acte le plus grave que ce dernier posa, à savoir les consécrations épiscopales de quatre évêques sans mandat pontifical, le 30 juin 1988. Évidemment, un tel geste, par son ampleur, par ses implications, méritait réflexion. Pour sa part, Jean Madiran affirma ne pas vouloir prendre position. Néanmoins, face à l’âpreté des réactions, une telle abstention, tranchant avec les années qui avaient précédé, fut très vite perçue comme une dissociation et ceux qui abandonnèrent Mgr Lefebvre se réclamèrent rapidement de Jean Madiran. Jusque là, les deux esprits avaient avancé main dans la main. « Sur l’ensemble des questions religieuses, je le suis…jusqu’en 1988, bien entendu » m’avait-il dit. L’acte des sacres avait bien constitué une rupture dans son esprit.

Le documentaire sur Mgr Lefebvre

Au cours de l’année 2012, la sortie d’un documentaire audiovisuel, Monseigneur Lefebvre, un évêque dans la tempête, marqua cependant un net changement d’attitude de la part de Jean Madiran sur le sujet. Je m’étais occupé pendant plusieurs années de la préparation de ce film à la demande de l’abbé Régis de Cacqueray, alors supérieur du district de France de la Fraternité Saint-Pie X. Au cours des réunions préparatoires, ce dernier avait personnellement suggéré d’interroger ce grand esprit qui avait particulièrement marqué sa jeunesse et cela en dépit des différences de positionnement à l’égard des sacres de 1988. C’est la raison pour laquelle j’ai contacté par téléphone Jean Madiran, grâce à l’intermédiaire de Jeanne Smits, tous deux collaborant alors à la rédaction du quotidien Présent. Très sûr de lui, l’écrivain m’indiqua rapidement qu’il n’avait jamais répondu aux caméras, qu’il en avait horreur et que ce n’était pas à son âge avancé qu’il allait changer d’attitude. Avant de raccrocher, je me permettais de le prévenir que j’allais lui écrire si, à tout hasard, il changeait de décision. Contre toute attente, je recevais, quinze jours plus tard, une courte lettre dans laquelle il disait qu’il avait bien réfléchi et que sa réponse était OUI, en majuscule et souligné, comme pour manifester un enthousiasme débordant.

Le 8 février 2011, je me suis donc présenté au domicile de Jean Madiran à Saint-Cloud où nous avons été très chaleureusement reçus, le vidéaste et moi-même, par le journaliste et son épouse. Ceux-ci nous permirent de déménager leur salon pour les besoins techniques. Nous avons donc poussé une grosse table en chêne, derrière laquelle, tout souriant, l’écrivain commença par m’indiquer qu’il avait modifié toutes les questions que je lui avais préparées. Évidemment, mon désir était de l’interroger sur la connaissance précise qu’il avait du combat conciliaire de Mgr Lefebvre et d’éviter de trop aborder les sujets qui fâchent, en particulier les fameux sacres de 1988. Pendant l’entretien, je sentais pourtant que Jean Madiran souhaitait m’entretenir de cet épisode. Je tentais précisément de recentrer l’échange sur les années de Vatican II et sur les débuts de la Fraternité pour m’épargner une polémique. Comme je revenais à la période de 1976, Jean Madiran insista pour traiter la question qui, visiblement, lui tenait à cœur. Sa volonté était plus forte. Cessant alors de me regarder, il se tourna vers le côté, observant le paysage à travers la baie vitrée qui domine la capitale, comme pour chercher l’inspiration et il entama ce long passage que je cite in extenso :

« Ce que l’on peut voir en tout cas, c’est que l’acte le plus grave, ce n’est pas celui-là [d’ordonner des prêtres en 1976 malgré la suppression de la FSSPX]. Les actes de maintenir l’existence de la Fraternité malgré le retrait de l’autorisation, si l’on veut que ce soit une faute, c’est une faute légère. La plus grave décision, c’est celle qui consiste, en 1988, à ordonner quatre évêques, non pas sans l’autorisation du pape, mais à l’encontre de l’interdiction du pape qui lui était personnellement adressée de ne pas faire ces quatre ordinations-là. Moi, à l’époque, je n’étais pas capable de porter un jugement. Aujourd’hui, il m’est difficile de trouver qu’il a eu tort. Quand on voit la régularisation qui a été faite… L’excommunication était alors automatique, latae sentenciae. C’est dans le droit canon. Même si on ne l’exprime pas, il y a excommunication. Bien. L’excommunication a été levée par Benoît XVI ! Et nous voyons que si la Fraternité Saint-Pie X existe encore aujourd’hui, c’est parce que Mgr Lefebvre lui a donné quatre évêques. Ce qui fait qu’elle a le poids qu’elle a, qu’elle est prise par le pape comme un interlocuteur, c’est parce qu’elle a des évêques. S’il n’y avait pas eu cette ordination de quatre évêques, il est vraisemblable, il est certain que cela n’aurait pas empêché les réfractaires de continuer, à être réfractaires à l’égard de la nouvelle messe, à garder le catéchisme traditionnel et à garder la messe traditionnelle. Mais la libération de la messe serait venue beaucoup moins vite, très probablement. Elle serait venue beaucoup moins vite. Cela aurait été beaucoup plus restreint. Dans l’Église, être des évêques, ça compte. Et donc, le fondateur avait bien fait. Il avait en tout cas fait une fondation durable et assuré les conditions pour que son œuvre dure. Donc c’est pour ça que je dis : « À l’époque, j’ai refusé de porter un jugement. Aujourd’hui je peux dire — mais enfin ce n’est pas moi qui suis intéressant dans votre affaire, c’est Mgr Lefebvre — mais aujourd’hui je pense qu’il est difficile de trouver qu’il ait eu tort à 100 %, et même à 50 %. »

Pas de regrets

Avant ce passage et après, Jean Madiran n’a pas parlé des consécrations de 1988 dans le reste de l’entretien. Il n’a pas abordé d’arguments théologiques ou canoniques qui auraient d’une façon ou d’une autre nuancé sa réflexion. Celle-ci va même plus loin que ne le laissent suggérer les quelques passages sélectionnés pour le film dans la mesure où il imagine même le scénario qui se serait déroulé si les consécrations n’avaient pas eu lieu. Il semblait très détendu après avoir terminé l’entretien. Je l’ai revu par la suite. Il m’a remercié pour le film et n’est plus revenu sur le contenu de ce qui, même dans sa bouche, constituait à l’évidence un changement de cap en raison des faits et de l’évolution de l’œuvre de Mgr Lefebvre. Pour ma part, je reste persuadé qu’il avait prémédité cet entretien, qui était mesuré et préparé, et dont la façon d’avancer sur ce sujet était déterminée chez lui. Une telle attitude, à un âge avancé, me paraissait particulièrement humble et courageuse. De toute façon, il est bien évident, connaissant le personnage, que si j’avais transformé sa pensée, non seulement il me l’aurait bien fait sentir après la publication du film, mais il aurait bien veillé à préciser son point de vue et démontré en quoi il aurait été altéré. Ce qui ne fut absolument pas le cas.

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