« Il est temps que les chrétiens renoncent à leur fantasme d’influence et de puissance, ces illusoires mondanités », écrit Jean-Pierre Denis dans son hebdomadaire, La Vie, à propos de la révision de la loi de bioéthique. Que la génération de Jean-Pierre Denis ait perdu tous les combats, c’est une chose. Que ce dernier souhaite publiquement que les générations suivantes continuent sur cette ligne de défaite en est une autre. C’est une manière pour lui d’appliquer sa doctrine d’un christianisme anti-identitaire et de prendre une posture de repli. C’est une position en forme de claque pour les gens de ma génération. (…)
La foi n’est pas destinée à finir dans les catacombes. « Le but n’est plus de peser, de compter ou de marchander, mais de privilégier l’exemplarité, l’espérance, la charité », écrit Jean-Pierre Denis. C’est beau. Mais l’exemplarité, l’espérance et la charité ne s’opposent pas au fait de peser, de compter et de marchander. Il n’y a pas de dissociation entre les bonnes œuvres de la foi et les bonnes œuvres du monde. Jean-Pierre Denis ne peut pas enjoindre le chrétien à remplacer sa nature – calculatrice, comptable, négociatrice – par la grâce. La grâce ne supprime pas la nature, mais la perfectionne, écrivait saint Thomas d’Aquin. Le rôle du chrétien n’est pas de laisser le monde suivre son cours et de faire le clown, de loin, sans se salir les mains, mais de mettre la main sur le gouvernail du monde pour le rediriger vers le Bien. Jean-Pierre Denis a les mains propres parce qu’il n’a pas de main.
Cette dissociation entre la vie du monde et la vie de foi n’est pas corroborée par les Pères de l’Église. La vie du chrétien est un combat spirituel, une négociation permanente entre la grâce et la nature, l’esprit et la chair, la cité céleste et la cité terrestre. Que faisaient les premiers chrétiens, comme saint Justin, qui écrivaient des « Apologies » en forme de lettre au pouvoir Romain pour s’expliquer, se montrer et faire pression ? Que faisait saint Augustin en écrivant la Cité de Dieu, sinon entrer de plein pied dans la grande négociation entre les deux cités – terrestre et céleste – que doit entreprendre tout chrétien en son for intérieur ? Que faisait saint Thomas d’Aquin en écrivant la Somme contre les Gentils, sinon confronter la foi surnaturelle du chrétien avec la raison naturelle des païens, de peser, négocier et calculer avec et contre eux ?
Si, comme l’écrit Finkielkraut, « le champ de débat contemporain est un face-à-face terrible et dérisoire entre le fanatique et le zombie », Jean-Pierre Denis joue bien le rôle du zombie et essaye de faire endosser aux autres le rôle du fanatique. De manière plus diplomate, on pourrait dire que s’affrontent ici deux visions de la vie chrétienne : l’une qui pense que le monde se soumettra à la grâce de lui-même, l’autre pour qui la grâce est une aide fournie au chrétien pour soumettre le monde aux transcendantaux (Bien, Beau, Vrai)."