De l'abbé de Tanoüarn dans le journal de l'AF :
"La France était une cause perdue, neuf ans après le honteux traité de Troyes (1420). Le Petit Roi de Bourges se terrait à Chinon. Les Anglais avaient mis le siège devant Orléans. C'était une question de quelques semaines et on n'entendrait plus parler des Valois. La France pourrait devenir anglaise ; son prince Henri VI serait l'enfant à la double couronne. Quant à Charles, fils de Charles et petit- fils de Charles, il pensait fuir en Aragon ou en Écosse. Et Jeanne, dix-sept ans, pucelle et chef de guerre, en quelques semaines d'une campagne éclair, délivrant Orléans et anéantissant l'armée anglaise à Patay, rétablit la situation de son Prince.
En France, on a l'habitude des causes désespérées et les Français ne sont jamais si performants que quand tout a l'air fini pour eux. On peut dire de Jeanne d'Arc qu'elle est l'emblème, qu'elle est le symbole de cette espérance politique. Elle a pu renverser le match qui opposait la France à l'Angleterre, en utilisant le temps additionnel : les arrêts de jeu. En trois semaines, elle a changé le visage d'une guerre de cent ans. Avant la Pucelle, dit un chroniqueur du temps, cinq cents Anglais pouvaient l'emporter sur toute l'armée française. Après la Pucelle, trois Français mettaient en danger cinq cents Anglais. Mystère de ce que l'on appellera plus tard la Furia Francese ! Il y a en Jeanne, sur le champ de bataille, quelque chose d'une passionaria. Mais elle sait s'arrêter et réfléchir. Elle a plus de sens politique que tous les capitaines qui l'entourent. Elle comprend que le sacre de Charles VII à Reims est plus important que quelques places fortes regagnées sur la Loire. Elle devine les Français : ce dont ils ont besoin, c'est de se reconnaître dans quelqu'un. Et ce quelqu'un, ce n'est pas elle, bien sûr, c'est le roi. Symbole de l'espérance politique, Jeanne est aussi celle qui a su réfléchir aux conditions concrètes, à la stratégie à mettre en oeuvre.
Mais aujourd'hui, direz-vous ? Maurice Barrès avait bien vu la modernité de Jeanne. Sainte de la patrie, elle est avant tout la sainte d'un compromis nationaliste à la française, qui regroupe toutes les familles spirituelles du pays dans un même élan. Il écrit dans ses Cahiers : « Il n'y a pas un Français dont Jeanne ne satisfasse les vénérations profondes. » Et d'énumérer le royaliste, le césarien, le républicain, le révolutionnaire : « Aucun parti n'est étranger à Jeanne d'Arc et tous les partis ont besoin d'elle. Pourquoi ? Parce qu'elle est cette force mystérieuse, cette force divine d'où a jailli l'espérance. » Reste aujourd'hui à réinventer « les vénérations profondes » qui nous ont fait ce que nous sommes. Reste à ressaisir l'héritage que chaque Français trouve dans son berceau en se donnant seulement la peine de naître. Nous sommes fiers – trop fiers ? – de notre liberté revendiquée. Mais quelle liberté est possible si nous n'apprenons pas à respecter ensemble ce qui est respectable ? Dans la grande décérébration de l'Aujourd'hui, n'oublions pas ce respect, sans lequel aucune vie sociale n'est seulement possible. Les seuls compromis qui vaillent, c'est sur le respect qu'il faut les édifier."