A l'occasion de la sortie de son Roman de Jeanne d'Arc, Philippe de Villiers a accordé un entretien au FigaroVox. Extraits :
"Mon livre est en quelque sorte une cinéscénie littéraire. J'écris à la première personne comme s'il s'agissait des mémoires imaginaires de Jehanne d'Arc. Je veux mettre à la portée des nouvelles générations qui voient la France s'abîmer, des figures emblématiques qui ont illuminé notre histoire, pour que les jeunes Français aient le goût de les connaître et d'aller les découvrir. Avec «Le roman de Jehanne d'Arc», j'ai voulu rendre à la plus grande héroïne de notre Histoire son humanité, retrouver la vérité de ses émois, de ses éblouissements, de ses désarrois devant l'innommable. Depuis mon enfance, comme beaucoup de Français, je regarde Jehanne d'Arc tout là-haut, accrochée aux tentures sacrées, lointaine, séraphique comme une sainte d'enluminure. Avec ce livre, j'ai voulu dépasser le mythe, aller au cœur du mystère, déposer la tapisserie pour la regarder de plus près, essayer de saisir et de traduire ses fragilités, ses doutes et ses vraisemblances. […]
Mais j'ai pu tirer une leçon de son histoire: la vérité ne triomphe jamais, mais ses ennemis finissent toujours par mourir. Jehanne d'Arc connaît les ardeurs ignorées de la petite pastoure à son ouvrage que personne ne remarque en ses humilités, puis l'extraordinaire popularité du chef de guerre qui triomphe, et finalement la déréliction christique du cachot. Quand elle est trainée dans une charrette cahotante qui la conduit au bûcher de la place du Marché, elle croise sur son passage le regard furtif des femmes qui, dans leurs jupes, enveloppent leurs enfants et leurs glissent à l'oreille: «Regarde la sorcière!». Jehanne, en elle-même, se dit «quelle honte!». Elle comprend qu'il ne s'agit pas seulement de la faire mourir, mais de la déshonorer aux yeux du monde et dans le cœur des plus petits pour que jamais elle ne renaisse. Il ne s'agit pas seulement de tuer son corps, il faut détruire son âme. Ajouter à la mort la flétrissure. Ainsi a-t-elle connu et enduré l'insupportable. Un jour, Soljenitsyne m'a ainsi parlé d'elle: Jehanne d'Arc incarne le courage dans l'épreuve des totalitarismes que nous vivons et qui sont fondés sur le mensonge: «la vérité conduit au martyr et au déshonneur». Il faut accepter d'être déshonoré lorsqu'on hurle la vérité."
"J'ai pris des coups et des coups bas. Car aujourd'hui, on ne peut plus faire de politique en France sans obtenir l'agrément de la «Société de Connivence». Et si cet agrément vous est refusé, alors tous les coups sont permis, tous les moyens sont bons, aucun ne vous est épargné. Il y a un va-et-vient consciencieux dans le processus d'élimination des adversaires, entre la justice médiatique et la justice tout court, enchaînées aux mêmes fantasmes et aux mêmes complicités. Le «Mur des Cons» est là pour le rappeler. On donne aux juges une mission de salut public. De tous temps, les hommes qui ont eu du pouvoir se sont attaqués les uns les autres. Mais ce qui est nouveau aujourd'hui, dans la société médiatique, ce sont les armes qu'on utilise. Elles sont plus meurtrières, plus performantes et plus sournoises. Ce sont des poisons qui ne laissent aucune trace de leurs auteurs ou de leurs alchimies. Nous sommes devant une crise qui n'est pas seulement politique, mais qui est désormais métapolitique, c'est une crise des valeurs, des valeurs fondatrices de la civilisation. Le pouvoir n'est plus un sacrifice, il est devenu une consommation. Nous sommes passés de l'âge des Services à celui de l'hédonisme politicien. Le pouvoir n'a plus le pouvoir et quand il n'y a plus la notion du Bien Commun, comme du temps de Jehanne d'Arc, parce qu'on a liquidé le pouvoir, il ne reste que les caïmans et les crocodiles qui se mangent entre eux dans la piscine sanguinolente.
Que nous apprend Jehanne d'Arc sur notre époque?
Elle nous apprend d'abord une grande leçon: quand tout est désespéré, rien n'est désespéré. Elle nous apprend qu'il faut Souffrir pour Espérer. Elle nous apprend que la part du visible de la vraie vie est infiniment plus confinée, même si elle est plus voyante que la part de l'invisible de celle-ci. Elle nous apprend que le visible est tramé dans l'invisible et que l'invisible affleure dans le visible. Que la nature et la surnature vont ensemble. Jehanne n'est pas une mystique, mais une petite fille de tous les jours. Elle aime rire, chanter, danser. Elle a de l'entrain dans le caractère, elle est coquette, elle aime les toilettes, les tissus et les laines rares. C'est une fille de l'eau, une fille des champs qui court dans la vallée des couleurs de Vaucouleurs. Elle est aussi une fille de piété. Elle est les trois à la fois. Aucune des trois filles qui la composent ne l'emporte sur l'autre. Jehanne est le plus formidable trait d'union que l'histoire ait jamais inventé entre le Ciel et la terre. Mais, chez elle, l'extraordinaire vient se tramer dans l'ordinaire.
Elle nous apprend aussi qu'un pouvoir qui n'est pas établi sur la pérennité et la sacralité est dénué de vraie légitimité. C'est la raison pour laquelle elle veut emmener le Dauphin à Reims. […] La potestas est le pouvoir de gouverner et de légiférer tandis que l'auctoritas signifie l'aura, le symbole. Quand un pouvoir a beaucoup d'auctoritas, il n'a pas besoin de la potestas. Quand il n y a plus de mœurs, on fait des lois. Une société qui a encore des mœurs, ne fait pas de lois. Un monarque assure son autorité par l'auctoritas. Un monarque qui fait des lois est faible. Aujourd'hui, on a perdu la potestas et l'auctoritas: la potestas est partie à Bruxelles et l'auctoritas dans les médias. Le roi est nu, il ne reste que le casque et le scooter!"