Médecin et pionnier de la génétique moderne, le Pr. Lejeune a consacré sa vie au soin des personnes porteusesde trisomie 21, à la recherche d’un traitement contre la déficience intellectuelle et à la défense de leurs droits. Lesdernières avancées de la recherche médicale montrent la pertinence de ses intuitions scientifiques qui ont permis des avancées majeures en génétique.
Quand il accepte en 1952, un poste dans le service du Pr. Turpin qui avait mené, 25 ans plus tôt, des recherches sur l’origine du mongolisme, Jérôme Lejeune est persuadé qu’il y a “quelque chose à trouver chez ces patients et qu’il estpeut-être possible d’améliorer la vie de milliers d’êtres”.
Le jeune médecin a fait connaissance avec les personnes porteuses de trisomie 21 à une époque où rien n’était démontré des aberrations chromosomiques. Les patients étaient nombreux, de morphologie particulière, présentaient une déficience intellectuelle, et à ce titre n’étaient pas vus d’un œil clément par la société. Leur espérance de vie était très courte et la question de savoir comment les guérir n’était pas posée. C’est donc en médecin attentif et attentionné, que Jérôme Lejeune a rapidement compris que pour aider ses patients, il devrait être “Médecin par vocation, et chercheur par nécessité”.
Ébloui par la beauté de chaque vie humaine, Jérôme Lejeune consacre le reste de sa vie à ces patients blessés dans leur intelligence. Il se fie toujours en la capacité de la science à améliorer leur sort, certain que la recherche médicale parviendra un jour à corriger la déficience intellectuelle.
Toutes les hypothèses avaient été émises pour expliquer les causes de la trisomie 21 : hérédité récessive, dominante, anomalie chromosomique… Jérôme Lejeune pensait qu’il pouvait s’agir d’une anomalie, et c’est au microscope qu’il a pu attester de la présence d’un chromosome 21 surnuméraire. Cette découverte atteste de la nature pleinement humaine des personnes porteuses de trisomie 21, qui était questionnée par une partie de la communauté médicale. En effet, ces personnes possèdent les 46 chromosomes du patrimoine génétique humain, et se distinguent par la présence d’un 47e chromosome humain, le chromosome 21 surnuméraire. Cette découverte revêt une importance également considérable puisqu’elle a ouvert la voie à une science nouvelle, la cytogénétique, science qui étudie les phénomènes génétiques au niveau des chromosomes contenus dans le noyau des cellules pour identifier les anomalies du nombre ou de la structure des chromosomes.
Les découvertes de Jérôme Lejeune en cytogénétique s’enchaînèrent rapidement : la description de la maladie du Cri-du-Chat, due à une délétion du bras court du chromosome 5 ; de nombreuses aneusomies partielles (anomalies liées à des fragments supplémentaires de chromosomes).
L’observation de ces patients a été une véritable source d’inspiration. Vers 1972, Jérôme Lejeune remarque que lespatients homocystinuriques (HCU) sont grands, minces, avec de nombreux plis dans les mains. Cette description des signes morphologiques est à l’opposé de celle des patients porteurs d’une trisomie 21 qui sont typiquement plus petits,ronds et avec des paumes lisses. Il imagine que ce qui éloigne ces patients des valeurs moyennes (plus grand, plus petit) peut être un même gène touché différemment, de façon opposée dans les deux cas. Il est si frappé de cette opposition qu’il parle alors de type et contretype. En revanche, ces patients ont en commun une déficience intellectuelle.
Il note alors que chez ces patients HCU, le gène de la cystathionine bêta synthase (CBS) ne fonctionne pas normalement. Cela suppose-t-il que les patients porteurs d’une trisomie 21 ont un gène CBS qui fonctionne trop fort ?C’est en 1975 qu’il pose cette question et émet l’hypothèse que le gène CBS est situé sur le chromosome 21. Le développement des techniques de biologie moléculaire permettra d’en faire la démonstration 9 ans plus tard.
Dans le cas de personnes avec trisomie 21, l’enzyme CBS est donc produite à partir, non pas de deux, mais de trois chromosomes 21. Elle est par conséquent produite en quantité excessive et le Pr. Lejeune imagine déjà que limiter son activité, par un médicament, pourrait apporter un bénéfice. En 2003, le Pr. Pierre Kamoun (Hôpital Necker-Enfants malades, ancien président du Conseil scientifique de la Fondation Jérôme Lejeune), émet l’hypothèse que le retardmental pourrait être lié à une lente intoxication des cellules par le gaz H2S fabriqué par la CBS en excès.
Ce sera confirmé en laboratoire par le Pr. Csaba Szabo, qui a démontré au niveau cellulaire le rôle du gène CBS dans la production du gaz H2S, et que la toxicité du gaz était réversible, validant l’idée originale du Pr. Lejeune du bénéfice potentiel pour les personnes avec une trisomie de réduire l’activité de CBS.
Aujourd’hui, la Fondation est engagée pour accompagner le développement d’un inhibiteur de CBS. Les recherches progressent, car de nombreuses molécules ont été criblées en laboratoire, et la sélection se poursuit pour caractériser la molécule qui sera la plus pertinente. La prochaine étape consiste à tester une molécule inhibitrice d’abord chez l’animal, avec la perspective d’entrer en phase clinique pour tester la sécurité puis l’efficacité chez l’homme, en vue deproposer un traitement de la déficience intellectuelle liée à la trisomie 21.
D’autres projets de recherche sur d’autres gènes localisés sur le chromosome 21 ont bien avancé, comme celui sur legène DYRK1A. En effet, après plus de 10 ans de recherche portée par le Dr Laurent Meijer, une molécule a été optimisée pour inhiber cette protéine DYRK1A trop exprimée chez les personnes avec une trisomie 21. La phase d’essai clinique chez l’homme a commencé en janvier 2024 pour étudier la sécurité du médicament, avec l’espoir, in fine, d’améliorer leur autonomie en réduisant les troubles de mémoire observés chez ces personnes.
Visionnaire et précurseur, le Pr. Lejeune voulait guérir les personnes porteuses de trisomie 21. Trente ans après sa mort, l’évolution de la recherche médicale tend à valider son intuition majeure : des avancées considérables laissent espérer à terme un traitement possible de la déficience intellectuelle dans la trisomie 21. A la suite du Pr. Lejeune, la Fondation Jérôme Lejeune vise l’amélioration des capacités cognitives et l’accès à une réelle autonomie des personnes porteuses de trisomie 21.
Guillaume de Thieulloy (propos recueillis auprès de la Fondation Jérôme Lejeune)
margot
Merci pour cet article présentant une vue synthétique de la question de la trisomie 21 et de la direction de la recherche pour guérir les malades. Guérir plutôt que tuer, une pensée prophétique pour notre temps.