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"Il y a trois semaines, toute la presse titrait sur la découverte d'un papyrus ancien évoquant « la femme de Jésus ». Depuis quelques jours, on a la preuve qu'il s’agit de l’œuvre d’un faussaire du XXIème siècle. Mais pour l'instant, c'est silence radio dans la presse française.
C’est l’histoire d’une femme qui a épousé Jésus. Mais ce n’est qu’une histoire… Car c’est surtout l’histoire vraie d’une universitaire renommée qui a été trompée par un faussaire. Cette universitaire s’appelle Karen L. King. Elle enseigne le christianisme antique à l’université d’Harvard. […] Tout commence un jour lorsqu’un inconnu apporte à Karen King un vieux fragment de papyrus, avec écrit dessus : « Jésus leur dit : « ma femme ». Pour King, c’est l’occasion rêvée : elle est ouvertement féministe, elle a fait partie du Jésus Seminar, un groupe, aujourd’hui dissous, réunissant des spécialistes tentant de remettre en cause de fond en comble les connaissances historiques sur Jésus.
Bien sûr, Karen King n’est quand même pas naïve à ce point. Si c’est trop beau pour être vrai, c’est que ça ne l’est probablement pas. Alors, elle prend des précautions : elle consulte notamment des paléographes réputés, qui pensent que l’écriture indique que le fragment remonte aux années 400 après Jésus-Christ. Elle présente donc sa découverte au cours d’un séminaire universitaire. Et elle baptise le papyrus : « l’Evangile de la femme de Jésus ». Tout pour le buzz, coco ! Les médias s’en emparent, et simplifient encore plus la position de King.
Confrontés à cette éruption médiatique, les autres universitaires se montrent très majoritairement réservés, voire hostiles. De nombreux doutes surgissent : le fragment est probablement un faux, il reproduirait avec exactitude (mais avec des erreurs grammaticales) un évangile apocryphe : l’évangile selon Thomas.
Devant cette avalanche d’arguments contraires, la publication dans une revue à comité de lecture, est retardée. Jusqu’à ce jour d’avril 2014. On apprend que le fragment serait authentique. Car les datations au carbone 14 et l’étude de l’encre indiquent que le papyrus serait ancien (entre le 7ème et le 9ème siècle), la thèse du faux pouvant être écartée.
Mais patatras ! Seulement quelques jours plus tard, plus personne ne croit à l'authenticité. En même temps que l’évangile selon la Femme de Jésus, un autre fragment de papyrus a été remis à King : d’évidence, il a été écrit par la même personne, sur le même papier. Il s’agit d’un passage de l’évangile selon saint Jean.
Et là, c’est le drame… Car à chaque fin de ligne du fragment de Jean correspond la fin d’une ligne d’une édition savante de 1924 : une impossibilité statistique, déjà constatée pour l’Evangile selon la femme de Jésus, et jamais remarquée ailleurs dans la discipline. Une fois ça va, deux fois, bonjour les dégâts !
La méthode du faussaire (toujours anonyme) était donc finalement assez simple : il a acheté de vieux bouts de papyrus, il a fabriqué de l’encre « à l’ancienne », et il s’est inspiré (trop) fidèlement d’ouvrages disponibles sur internet ou en bibliothèque.
Mais le plus important n’est pas finalement l’annulation du mariage médiatique de Jésus. Non, le plus important, c’est que cette analyse s’est déroulée dans les blogs des spécialistes, au vu et au su de tous : il s’agit d’une nouvelle sorte de relecture par les pairs. Celle-ci s’est même avérée plus efficace que celle effectuée par la prestigieuse Harvard Theological Review."