Thomas Debesse publie un article sur la tentation du management dans l’Église. Cet article sur le management est une invitation à la réflexion et à l’étude sur ce sujet :
Le Christ, prêtre, prophète et roi
L’année dernière, je parlais avec un prêtre qui se voulait « manager ». Cette doctrine déjà bien installée dans le monde de l’entreprise séduit désormais les conseils épiscopaux, et j’étais intrigué par la volonté de ce prêtre de mettre en œuvre ces pratiques dans son ministère.
Je lui rappelais que le Christ, modèle de tout homme, est « prêtre, prophète et roi » et que le baptisé est ainsi, dans le Christ, « prêtre, prophète et roi ». Je lui ai parlé de Saint Pierre et comment on pouvait voir en lui la figure du bâtisseur et la figure du capitaine de vaisseau tout en nous rappelant que l’humilité nous réduit parfois à n’être qu’une pierre ou n’être que le simple capitaine d’une barque de pêche sur un lac.
Je demandais alors à ce prêtre : s’il vous faut être configuré au Christ et être prêtre, prophète et roi, si vous avez dans Saint Pierre une figure de bâtisseur et de capitaine, où voyez-vous la figure du manager ?
Alors le prêtre me répondit avec conviction qu’il y a bien un manager dans l’Évangile : c’est Judas.
Judas le manager
Prendre Judas pour modèle n’est pas la meilleure chose à faire, mais ce prêtre avait raison sur un point : Judas forme une véritable figure du manager tel que défini par le management moderne hérité de la Menschenführungnazie : le management du matériau humain.
Le propre d’une ressource est d’être exploitée. Le Christ, nouvel Adam, est un homme parfait. Si l’on considère l’humain comme une ressource, Judas applique la parabole des talents en livrant Jésus aux grands-prêtres : il fait fructifier la ressource humaine, et la meilleure qui soit.
La simonie au cœur du matérialisme
Ainsi Judas monnaya le Christ, le réduit à un matériau, à une ressource humaine.
Pour nous introduire à certains mystères, l’Écriture transpose souvent la relation de l’Église et de son Créateur sur les relations abusives que les hommes ont entre eux. Ainsi Jérusalem est une ingrate qui tue les enfants de sa prostitution (Ézéchiel 16), et Osée épouse une femme aimée d’un amant et adultère comme Dieu épouse son peuple (Osée 2).
Le matérialisme qui fait du Christ une ressource est une profanation et le matérialisme qui fait de l’homme une ressource transpose cette profanation sur l’homme.
La vente du sacré, en particulier des Saintes espèces, Dieu réellement présent sous des accidents visibles, est une simonie. En vendant le Christ, Judas faisait la première simonie sans le savoir. En faisant de l’homme recréé dans le Christ une ressource, le manager transpose cette simonie sur l’homme.
L’homme matériau
Ce prêtre avait autant raison de défendre le management en se comparant à Judas que Pierre Bergé avait raison de défendre la GPA en comparant une femme qui loue son ventre à un ouvrier qui loue ses bras. Celui qui disait « Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ? » chosifiait l’être humain. La comparaison fonctionne si l’ouvrier loue ses bras, mais l’ouvrier ne loue pas ses bras.
Dans cette mécanique managériale, la personne disparaît au profit de l’entreprise, du « projet », l’homme n’est plus qu’une ressource, une machine avec option « bras » ou « utérus ». Le problème de Pierre Bergé, de ce prêtre, comme de Judas, était de réduire l’homme à un matériau commerçable.
L’ouvrier ne loue pas ses bras. Le prêtre n’est pas un gestionnaire de matériau humain. Le directeur d’entreprise n’est pas un manager, il n’est pas un gestionnaire de matériau humain : il est au service de ceux qui ont besoin de lui dans cette charge, et il a des comptes à leur rendre.
L’autre erreur de Judas fut de servir le grand-prêtre quand le grand-prêtre ne servait pas Dieu. Cela témoigne aussi d’une incompréhension de ce qu’est un service : le service que Dieu attendait de Judas n’était pas de faire plaisir au grand-prêtre, mais d’être fidèle à Dieu et de faire sa volonté.