Romancier canadien à succès, Michael O’Brien, né en 1948, auteur d’une trentaine d’ouvrages, dont Père Elijah ― Une apocalypse, a été interrogé dans Le Verbe. Extraits :
Jeune homme, vous étiez agnostique, voire athée, mais vous avez décidé d’embrasser le catholicisme à l’âge de 21 ans. Pourtant, à la même époque, une majorité de vos contemporains faisait le chemin inverse et quittait l’Église. Qu’est-ce qui vous a attiré vers la foi chrétienne?
Ma conversion a été semblable à celle de saint Paul: soudaine et totalement inattendue. À cette époque, je lisais beaucoup de romans et de philosophie existentialistes, ainsi que des livres de divers courants périphériques de la «spiritualité» New Age. Cela m’a conduit vers une obscurité intérieure croissante, parfois du désespoir — l’aspiration de ce que j’appelle «le vide». C’est une miséricorde singulière de Dieu qui a brisé le marasme de mensonges et de péchés dans lequel je m’étais enlisé depuis des années.
En un instant, j’ai rencontré un être radicalement malveillant, un démon qui m’a paralysé d’une terreur absolue et qui a cherché à me dévorer. Alors que je n’avais pas prié depuis des années, un grand cri a jailli du plus profond de mon âme: «Ô, Dieu, sauve-moi!» Le démon a reculé lorsque j’ai dit cela. J’ai alors récité toutes les prières dont je me souvenais depuis mon enfance, en particulier en invoquant le saint nom de Jésus. Plus je priais, plus il reculait.
Cette rencontre avec un mal radical a été accompagnée d’une grande grâce: la connaissance parfaite que tout ce que l’Église m’avait enseigné sur l’histoire du salut, la foi, la nature de Jésus est, en fait, la réalité. D’un seul coup, j’ai vu toutes les manières dont j’avais été trompé par le péché et l’erreur, et comment je m’étais trompé moi-même. Une lumière est entrée en moi, apportant la paix et la certitude que l’amour divin est infiniment plus puissant que le mal. C’est ainsi qu’a commencé un pèlerinage de foi qui se poursuit encore aujourd’hui, plus de 55 ans après ma rencontre sur le «chemin de Damas». […]
Les jeunes se tournent de plus en plus vers des mondes fictifs ou virtuels (Marvel, Fortnite et Minecraft, par exemple) pour échapper à la morosité ou à l’absurdité apparente du monde qu’on leur propose. Comment la littérature peut-elle leur redonner le gout du réel ― et même de la transcendance ― au lieu de nourrir une simple fuite dans l’imaginaire ou un divertissement aplanissant?
La littérature peut allumer de sains désirs en racontant des histoires qui suscitent l’émerveillement dans l’esprit et l’imagination du lecteur. Malheureusement, une grande partie de la littérature fantastique contemporaine stimule plutôt les sensations fortes à bas prix. Elle sature l’imaginaire et ne le conduit nulle part, sinon vers l’égo, l’obsession et la dépendance. Les lecteurs doivent se poser ces questions: cette histoire injecte-t-elle en moi des mensonges, alors même qu’elle me récompense par des plaisirs? Mélange-t-elle des poisons subtils avec des vérités? Redéfinit-elle le bien et le mal? Ou bien m’élève-t-elle et me rend-elle plus noble? M’ouvre-t-elle les yeux et m’aide-t-elle à vivre la dignité et l’héroïsme authentiques auxquels Dieu m’appelle? […]
Cinq de vos 17 romans se déroulent dans une ambiance apocalyptique. Comment expliquez-vous notre fascination commune pour la fin du monde?
Les films et les romans sur les catastrophes mondiales, les scénarios apocalyptiques et postapocalyptiques abondent dans notre culture. Ce phénomène est, je pense, une manifestation des intuitions profondes de l’âme, malgré l’absence de la vision prophétique plus claire donnée dans les Saintes Écritures. Privées de la lumière de la révélation divine, même les races et cultures prébibliques avaient de telles prémonitions sous des formes mythologiques.
À notre époque d’apostasie généralisée, ces histoires prennent la forme d’aventures médiatiques déformées, qui non seulement extériorisent nos peurs du futur, mais proposent des solutions. La technologie, l’intelligence, les muscles, des réflexes rapides, des pouvoirs extraordinairement effrayants et des bravades vulgaires nous sauveront, proclament-elles. Il s’agit d’un mélange explosif, surtout lorsqu’il est mêlé à la nudité. Le message sous-jacent constant est le suivant: utiliser le mal pour vaincre le mal est le chemin assuré vers la survie ou la victoire. Tuer est la solution la plus efficace à tous nos problèmes sociaux et personnels.
Avec de tels messages erronés, omniprésents dans notre culture actuelle, nous avons grandement besoin de récits alternatifs qui offrent une véritable lumière et une orientation sage concernant notre chemin à travers les temps périlleux qui s’annoncent. Je ne considère pas mes romans apocalyptiques comme des prophéties, mais ils sont ce que j’appelle des «fictions d’avertissement», qui réitèrent les questions fondamentales que chaque génération devrait se poser: sommes-nous éveillés, comme le Christ nous a exhortés à l’être? Lisons-nous correctement les signes des temps? Sommes-nous spirituellement préparés, si ce sont vraiment les temps annoncés par Jésus, les apôtres et les prophètes?
Dans une perspective chrétienne, justement, Dieu est le plus grand des romanciers. Il écrit non seulement toute l’histoire du monde, mais aussi chacune de nos histoires, comme si nous étions au cœur d’un roman dont nous sommes les héros. Cette histoire providentielle du monde est-elle écrite d’avance, de façon fataliste ? Pouvons-nous encore changer les choses?
Oui, chacune de nos vies est une histoire, une grande histoire, si seulement nous pouvions la voir! Cependant, le fatalisme du paganisme antique et du néopaganisme moderne a pour effet tragique de limiter la compréhension que l’homme a de lui-même, d’affaiblir gravement le sens de sa valeur éternelle et la véritable signification de ses choix dans ce monde.
En revanche, dans un univers providentiel, nous sommes appelés à une approche courageuse de la vie. En prenant la responsabilité de nous-mêmes, et avec l’aide de la grâce, nous pouvons devenir plus que ce que nous pensons être. Chacun d’entre nous apprend progressivement son rôle unique dans la grande histoire. En ce sens, chaque personne peut changer le cours de l’histoire en se changeant elle-même — en choisissant à chaque instant de vivre selon la vérité et l’amour, par une conversion et une prière constantes, qui sont le chemin de la liberté authentique. Personne ne peut faire cela par la force de sa propre volonté; cela n’est possible que par la grâce agissant avec notre nature.
Dostoïevski a dit que la beauté sauverait le monde. Croyez-vous que le beau possède un pouvoir salvateur plus grand que le vrai ou le bien?
Cette phrase est souvent citée, mais presque toujours à tort. Elle est sortie de son contexte, soit le roman L’Idiot de Dostoïevski. Dans cette histoire, l’auteur démontre à plusieurs reprises que la beauté, à elle seule, ne peut pas sauver le monde. Au cours de ce long récit, le personnage central, le prince Mychkine, finit par réaliser que la beauté qui sauve le monde est le pardon, lequel ne devient possible que par l’effusion de la miséricorde divine. L’idée de Dostoïevski est que la beauté, séparée de la vérité et de la bonté, devient trop facilement une idole, une idole d’une telle puissance qu’elle corrompt et détruit ceux qui lui rendent un culte. La beauté, dans sa juste mesure et son rôle approprié, est un moyen, non une fin en soi.
J’ajouterais qu’il est naturel et bon que la beauté émeuve le cœur humain. Le meilleur de l’art peut attirer ceux qui le contemplent à un moment d’immobilité et d’attention. Cela permet à l’émerveillement de naitre. Et l’émerveillement peut à son tour conduire à une révérence pour l’être. Et cette révérence, dans sa forme la plus élevée ― avec l’aide de l’Esprit Saint ―, peut conduire à une adoration authentique de celui qui est la source de toute beauté: Dieu lui-même. […]