DICI a interrogé le Supérieur général de la Fraternité Saint Pie X, Mgr Bernard Fellay, pour lui demander de faire le point sur les rapports de la Fraternité Saint-Pie X avec Rome. Extraits :
"[…] il y a eu au mois de juillet dernier une nouvelle proposition, une invitation à réfléchir pour voir comment nous pourrions arriver à cette régularisation canonique. Et là aussi, ces discussions, ces réflexions font leur chemin. Il n’y a pas de précipitation, c’est certain. Est-ce qu’on avance vraiment ? Je pense que oui. Je pense que oui, mais c’est très certainement lent. […]
A côté de la question de la clarté du texte, il y a une autre question beaucoup plus profonde, beaucoup plus importante, et c’est celle-ci : quelle amplitude, quelle liberté, nous serait donnée ou nous sera donnée, dans le cas d’une régularisation ? Et, dans ce cadre, je suis parti d’une phrase, et de l’exigence pratique de Mgr Lefebvre qui la considérait comme une condition sine qua non d’une régularisation, à savoir précisément que nous soyons acceptés tels que nous sommes.
Aussi j’ai tenu à leur dire (à Rome) : ‘si vous nous voulez, nous sommes ainsi, il faut que vous nous connaissiez, que vous ne nous disiez pas ensuite que nous vous avons caché quelque chose. Nous sommes ainsi et c’est comme cela que nous resterons.’ Nous resterons comme nous sommes, pourquoi ? Ce n’est pas une volonté propre, ce n’est pas que nous pensions que nous sommes les meilleurs, c’est l’Eglise qui a enseigné ces choses, qui a exigé ces choses, il n’y a pas seulement la foi, il y a aussi toute une discipline qui est en parfait accord avec cette foi, et c’est cela qui a fait le trésor de l’Eglise, qui a fait les saints dans le passé, et cela, nous ne sommes pas prêts à le lâcher. J’ai beaucoup insisté auprès de Rome pour dire, en donnant même des exemples concrets : ‘voilà ce que nous sommes, voilà ce que nous pensons’, et si Rome estime que ces pensées, que cette attitude doivent être rectifiées, doivent être changées, alors il faut qu’ils nous le disent maintenant. Tout en leur précisant que, dans ce cas-là, nous n’irons pas plus loin. […]
Je ne serais pas étonné qu’il [le pape François] nous considère comme une de ces périphéries auxquelles il donne manifestement sa préférence. Et dans cette perspective-là, il emploie l’expression « faire un cheminement » avec les gens en périphérie, en espérant qu’on arrivera à améliorer les choses. Donc ce n’est pas une volonté arrêtée d’aboutir immédiatement : un cheminement, cela va où ça va…, mais enfin on est assez paisible, gentil, sans trop savoir ce qui pourrait aboutir. Probablement que c’est une des raisons les plus profondes.
Une autre : on voit aussi chez le pape François une accusation assez constante contre l’Eglise établie, le mot anglais est establishment, – cela se dit aussi de temps en temps en français -, qui est un reproche fait à l’Eglise d’être auto-satisfaite, satisfaite d’elle-même, une Eglise qui ne cherche plus la brebis égarée, celle qui est dans la peine, à tous les niveaux, que ce soit d’un côté la pauvreté, même physique… Mais on voit chez le pape François que ce souci n’est pas seulement, malgré les apparences criantes, un souci matériel… On voit très bien que chez lui, lorsqu’il dit ‘pauvreté’, il inclut aussi la pauvreté spirituelle, la pauvreté des âmes qui sont dans le péché, qu’il faudrait en sortir, qu’il faudrait reconduire vers le Bon Dieu. Même si ce n’est pas toujours exprimé de manière assez claire, on trouve un certain nombre d’expressions qui l’indiquent. Et dans cette perspective-là, il voit dans la Fraternité une société très active, – surtout quand on la compare à la situation de l’establishment -, très active c’est-à-dire qui cherche, qui va chercher les âmes, qui a ce souci du bien spirituel des âmes, et qui est prête à se retrousser les manches pour cela. […]
Il connaît Mgr Lefebvre, il a lu deux fois la biographie écrite par Mgr Tissier de Mallerais, ce qui montre, sans aucun doute, un intérêt ; et je pense que cela lui a plu. De même que les contacts qu’il a pu avoir en Argentine avec nos confrères, chez qui il a vu une spontanéité, et aussi une franchise, car on n’a absolument rien caché. Bien sûr, on essayait d’obtenir quelque chose pour l’Argentine où nous étions en difficulté avec l’Etat en ce qui concerne les permis de séjour, mais on n’a rien caché, on n’a pas essayé de biaiser, et je pense que cela lui plaît. C’est peut-être plutôt le côté humain de la Fraternité, mais on voit que le pape est très humain, il donne beaucoup de poids à ce regard-là, et cela peut expliquer, cela pourrait expliquer une certaine bienveillance. […] Très surprenante, car il est très clair que le pape François veut nous laisser vivre et survivre. Il a même dit à qui veut l’entendre que jamais il ne ferait de mal à la Fraternité. […]"