Dans Valeurs Actuelles le père Danziec donne une petite leçon de civilisation française :
« Qu’est-ce qu’être français ? ». Alors que l’agitation autour de la mort de Georges Floyd aux Etats-Unis se répercute dans l’archipel français, entre émeutes, heurts et manifestation illégale, la question pourrait sembler un brin provocante. À dire vrai, poser des questions n’a de sens que pour résorber des difficultés, non pour rajouter de la complexité aux problèmes. Est-ce donc bien opportun de réfléchir en ce moment sur le sens de notre appartenance à la France ? Remettre le couvert d’une réflexion sur l’identité nationale, ne serait-ce pas prendre le risque de voir des assiettes voler dans la maison France ?
Mardi 2 juin dernier au soir, une foule impressionnante n’a pas hésité, en effet, à répondre à l’appel du collectif Vérité pour Adama, du nom du jeune homme noir de 24 ans – Adama Traoré – mort en 2016 après son interpellation. Rassemblées sur le parvis du tribunal judiciaire de Paris dans le 17e arrondissement, surfant sur le mouvement américain #BlackLivesMatter (littéralement “La vie des noirs compte”), plus de 20 000 personnes ont ainsi fait entendre leur voix contre les violences policières. Auraient-elles été aussi loquaces pour répondre à la question « Qu’est-ce qu’être français ? » ? Les slogans « révolte » ou « Tout le monde déteste la police », les jets de projectiles et les barricades dressés en marge du cortège porte de Clichy laissent songeur.
Fillon et l’identité française
Le 4 décembre 2009, lors d’un colloque organisé à Paris par l’Institut Montaigne sur la question « Qu’est-ce qu’être français ? », François Fillon avait pris soin d’apporter sa pierre à l’édifice dans le cadre du grand débat sur l’identité nationale. Dans son discours, l’ancien premier ministre s’était appuyé sur l’historien, journaliste, conteur et critique Jacques Bainville. A la fois attachée à l’Action Française et successeur de Poincaré à l’Académie, cette haute figure intellectuelle du début du siècle dernier a bâti une oeuvre littéraire considérable. Notamment un petit bijou d’Histoire de France qui fait aimer la France, et mieux encore : qui l’explique.
« Bainville disait que ce qui était remarquable chez Jeanne d’Arc, ce n’était pas d’avoir délivré Orléans, mais d’avoir reconnu le Dauphin, et d’être tombée à genoux devant lui. Je crois que l’identité française se reconnaît à ce dialogue de l’orgueil et de l’abnégation, à cette alternance entre les guerres intestines et les élans d’unité, à ce tiraillement bien Français, et finalement fécond, entre la passion du “je” et la nécessité du “nous” ».
Mediapart s’empressa alors de remarquer dans ces propos un relent de chauvinisme et de nationalisme, et d’évoquer un virus dans la République. Déjà.
Être incapable de dire qui nous sommes, c’est prendre le risque de s’entendre dire qui nous devons être
En dépit du fait que le combat mené autour d’Adama Traoré repose sur quatre contre-vérités, la densité du rassemblement de mardi dernier matérialise avec éloquence cette tension entre les revendications du “je” et l’impérieuse nécessité du “nous”. Etre incapable de dire qui nous sommes – ce que signifie être français -, c’est prendre le risque de s’entendre dire qui nous devons être. Et de finir par devoir battre sa coulpe sur la poitrine de ses ancêtres… Le discours antiraciste a consisté pendant des années à expliquer que les races n’existent pas, pour finalement affirmer qu’il y en a une qui porte sur elle tous les malheurs du monde et que les Français en seraient les premiers coupables. Le philosophe Raphaël Enthoven note avec à-propos le danger d’une telle posture : « Que des blancs s’agenouillent devant des noirs en tant que blancs, c’est détestable. Aucun blanc ne saurait être tenu comme responsable, en tant que blanc, du crime d’un blanc ! ».
Excès de langage, relectures historiques : le fourre-tout du “vivre-ensemble”
La subtilité de la position victimaire, c’est justementqu’elle invite au sentiment de culpabilisation. Camélia Jordana n’hésite pas ainsi à évoquer « les hommes et les femmes qui vont travailler tous les matins en banlieue et qui se font massacrer pour nulle autre raison que leur couleur de peau ». La militante Rokhaya Diallo estime de son côté injustifié etproblématique de parler de racisme anti-blanc. Depuis sa résidence à Los Angeles, Omar Sy lance un appel dans L’Obspour dénoncer le racisme généralisé des forces de l’ordre. L’ancien footballeur et candidat LFI à Paris Vikash Dhorasso, présent à la manifestation en soutien de la famille Traoré, reprend à son compte le discours de ceux qui veulent « rompre avec un système policier hérité de la colonisation et de Vichy, qui a pour fonction de limiter la liberté de manifester ». Où quand les excès de langage se disputent aux relectures historiques.
Un humanisme teinté de christianisme considère que l’union des hommes entre eux est en mesure, à elle-seule, de les conduire à l’union au Christ : sorte de vivre-ensemble spirituel édulcoré. La chrétienté procède du schéma inverse : c’est l’union au Christ qui unit les hommes entre eux, et cela s’appelle la civilisation chrétienne. Pour l’identité française, il en va de même. Pour beaucoup, la prédication du vivre-ensemble suffirait à permettre d’unir des hommes et desfemmes d’horizons différents sur un même sol, de façon à ce qu’ils constituent une nation. Pour autant, le résultat semble être loin du rendez-vous : pourquoi vivre en commun si l’on ne partage pas la même culture ? Être français réclame un travail délicat. Et conséquent. La civilisation est d’abord un capital, un héritage reçu. Un état social dans lequel chaque individu qui vient au monde trouve incomparablement plus qu’il n’apporte. Débiteurs insolvables, nous recevons les richesses d’une langue, les saveurs d’un terroir, les beautés d’une région. Pour qu’une oeuvre se prolonge, elle doit être aimée, et transmise dans la vertu de reconnaissance. Le devoir de réception comme le devoir d’intégration participent du même ordre, celui de la paix civile et de la préservation des racines. « Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore », voilà les conditions essentielles pour constituer un peuple selon la formule célèbre d’Ernest Renan.
En avril 2017, lors de la dernière ligne droite de la présidentielle, Guillaume Meurice s’inquiétait, dans l’une de ses chroniques sur France Inter, de la montée du conservatisme en France. « Dans le pays des Lumières, il serait peut-être temps de remettre le courant » concluait-il avec un trait d’esprit. Trois ans après, étant donné les pannes récurrentes, on serait surtout tenté de suggérer de changer rapidement de compteur. Et de logiciel.