Louis-Marie Bonneau, chercheur associé à l’European Centre for Law and Justice (ECLJ), rapporte pour la revue Conflits les prises de positions récentes de la communauté internationale à propos du conflit du Tigré en Éthiopie :
[…] Le 14 janvier, Liz Throssell, la porte-parole du Haut-commissaire aux droits de l’homme s’est dite alarmées par les multiples rapports sur les pertes civiles et la destruction de biens civils résultant de frappes aériennes dans la région du Tigré en Éthiopie. Elle a annoncé qu’au moins 108 civils avaient été tués et 75 autres blessés depuis le début de l’année, à la suite de frappes aériennes menées par l’armée de l’air éthiopienne. Elle a fermement appelé les autorités éthiopiennes et leurs alliés à assurer la protection des civils et des biens civils, conformément à leurs obligations en vertu du droit international. Elle a également voulu dénoncer la situation de centaines d’opposants détenus arbitrairement sans procès, même si récemment plusieurs personnes de premier plan, y compris des personnalités clés de l’opposition, ont été libérées. Rappelons que si l’Éthiopie a bien signé le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (CCPR) en 1993, elle n’a jamais signé la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (CED). Dans le camp tigréen opposé, des exactions sont aussi à dénoncer. La journaliste Maria Gerth-Niculescu, spécialiste de l’Éthiopie, rapportait dans Le Figaro que l’armée Tigréenne a évacué récemment la ville de Lalibela de la région Amhara, dans le nord de l’Éthiopie. Même si les onze églises creusées dans la roche troglodytes classées au patrimoine mondial de l’UNESCO ont été épargnées, les habitants relatent la mort de nombreux jeunes. Au moment de la prise de la ville par le TPLF, l’UNESCO s’était dite « sérieusement préoccupée par la protection » du site.
Catastrophe culturelle et humanitaire
Après s’être mobilisée contre la catastrophe humanitaire suscitée par ce conflit, la communauté internationale s’inquiète également aujourd’hui des menaces qui pèsent contre le patrimoine culturel et religieux du Tigré. La région du Tigré est chrétienne depuis le Ve siècle. Selon les traditions éthiopiennes, la ville d’Axoum, un centre religieux de l’Église éthiopienne orthodoxe au Tigré, aurait accueilli l’Arche de l’Alliance déposée à l’église Sainte-Marie-de-Sion par Ménélik, le fils légendaire du roi Salomon et de la reine de Saba. Cet héritage chrétien explique la richesse actuelle du patrimoine orthodoxe dans la région où se trouve un grand nombre d’anciennes églises et de monastères parfois perchés sur de hautes falaises. La région possède également un patrimoine et une tradition scripturale très importante. Lors d’une conférence organisée au Parlement européen en octobre dans le cadre de l’Intergroupe « Chrétiens d’Orient », Henri Adam de Villiers, spécialiste des liturgies orientales et du patrimoine éthiopien ainsi que de l’histoire des chrétientés orientales, alertait sur les menaces pesant sur cet héritage. D’anciens monastères et églises, disséminés dans tout le pays, détiennent des milliers de manuscrits précieux. Pourtant, pour la plupart, ces trésors culturels sont conservés dans des conditions précaires. En novembre, le député européen Mariani, alertait la Commission européenne de la disparition de précieux livres anciens depuis que le conflit armé a éclaté au Tigré en novembre 2020, ainsi que sur le fait que des centaines de documents d’une valeur culturelle inestimable alimentaient le marché noir. En réponse, la Commission a annoncé qu’elle avait financé des programmes visant à préserver les sites classés au patrimoine mondial en Éthiopie. Par exemple, le programme PROHEDEV a permis de préserver des sites classés et d’améliorer leur gestion, notamment dans les vallées de l’Omo et de l’Aouache. D’autres États membres financent la protection et la restauration de sites importants pour la culture éthiopienne. L’Union européenne continue également de financer l’aide d’urgence et appelle les parties à un cessez-le-feu pour mettre un terme à la guerre actuelle. Il faut noter le programme de l’UNESCO PROHEDEV, en Éthiopie, date de 2017, bien avant que la guerre ne fasse peser de nouvelles menaces sur le patrimoine. […]