De Thibaud Collin dans L’Appel de Chartres :
La panthéonisation de Robert Badinter est riche d’enseignement sur notre société. Ce rite est une sorte de canonisation laïque effectuée par la République proposant ainsi des modèles incarnant ses valeurs. Le motif invoqué pour justifier une telle cérémonie est qu’il aurait été porteur d’une « vision humaniste de la justice », référence faite à sa lutte pour l’abolition de la peine de mort.
Or celle-ci apparaît comme l’arbre qui cache la forêt du laxisme judiciaire. Celui-ci repose sur l’idée que l’institution judiciaire a pour principale finalité de permettre au criminel de s’amender afin de se réinsérer dans la société. Dans un débat en 1977 avec le philosophe Michel Foucault et le psychanalyste Jean Laplanche, Robert Badinter à la question provocante de celui-ci le poussant dans ses retranchements : « On pourrait même se demander pourquoi il faut absolument punir certains criminels si l’on est sûr qu’ils se sont amendés avant d’être punis » répond ceci : « Il ne le faudrait pas. Mais le public réclame le châtiment. Et si l’institution judiciaire n’assouvissait pas le besoin de punition, cela produirait une frustration formidable, qui se reporterait alors sur d’autres formes de violence. Cela dit, une fois la dramaturgie judiciaire accomplie, la substitution du traitement à la punition permet la réinsertion sans toucher au rituel. Et le tour est joué (1) ». Badinter considère ainsi que le désir de justice est réductible à une pulsion malsaine qu’il s’agit de contrôler socialement en lui concédant le minimum de ce qu’elle exige. La justice serait censée par-là casser le cycle de la violence. Cela présuppose que la punition infligée au coupable serait de même nature que la violence qu’il a fait subir à sa victime. Cette conception utilitariste et pragmatique de l’institution judiciaire est une négation de l’authentique sens de la justice. Il convient de redécouvrir celui-ci, principe de toute institution judiciaire digne de ce nom.
La justice avant d’être une institution est une vertu morale par laquelle il s’agit d’attribuer ou de rendre à chacun ce qui lui est dû, sa juste part (jus en latin qui se traduit en français par droit). Dans le cas d’un conflit entre deux individus, le juge cherche la vérité des faits afin de discerner comment rétablir l’ordre que le crime ou le délit a rompu. Le symbole de la justice est la balance car elle cherche à rétablir l’équilibre entre les deux plateaux. Cela passe par le fait de punir le coupable. Punir, c’est-à-dire frapper d’une peine celui qui a commis un crime ou un délit, d’ une peine proportionnelle à l’acte injuste posé. Considérer la peine non pas comme une punition mais uniquement comme un moyen de corriger le coupable n’honore pas la totalité de l’ordre de la justice. Le déni de la punition engendre l’impunité, inspirant une indignation légitime.
D’aucuns objecteront, à la suite de Badinter, que punir est un acte de régression satisfaisant un désir cruel de vengeance. Or il faut distinguer deux sens au mot vengeance. Aujourd’hui, dans le langage courant, celui-ci est connoté péjorativement et signifie le désir et la jouissance de voir souffrir l’autre en lui faisant immédiatement subir ce qu’il nous a infligé. C’est dans cette acception que des parents vont apprendre à leur enfant « à ne pas se venger ». Mais le sens premier du mot est « dédommagement moral de l’offensé par punition de l’offenseur » (Le Petit Robert). Ainsi le désir de vengeance est le désir de justice ; désir qui ne doit pas être satisfait par la victime elle-même, car personne ne peut être juge et partie. C’est au juge impartial de déterminer, après une enquête et un procès contradictoire, où les droits de l’accusé sont honorés, si l’accusé est réellement coupable et si oui quelle est la peine qu’il doit subir en réparation. La justice repose sur la connaissance des faits et des biens engagés dans le litige opposant les parties. Sans vérité, pas de justice. Sans justice pas de paix. La crise de l’institution judiciaire participe de la crise de notre civilisation ayant perdu son fondement moral et anthropologique.
