Ancien officier parachutiste de la Légion étrangère, François Bert a créé en 2011 le cabinet de conseil Edelweiss RH pour accompagner les dirigeants au discernement situationnel. En 2019, il fonde L’École du discernement. Auteur en 2016 de l’essai Le temps des chefs est venu, il a publié en 2018 un roman de management sur la Grande Guerre, Cote 418 (Edelweiss Éditions).
Il a bien voulu répondre nos questions :
L’Ecole du discernement : pour quoi faire ? A qui s’adresse-t-elle ?
L’Ecole du discernement est née d’un constat simple : il existe aujourd’hui pléthore de formations pour alimenter en savoirs multiples les dirigeants et managers mais pas une seule, à ma connaissance, ne se penche sur la disposition d’écoute intérieure qui leur permet de trier ces informations dans un contexte précis pour savoir décider (justement). On pourrait dire, selon une métaphore culinaire, que ce n’est pas parce qu’on a plus d’ingrédients qu’on fait une meilleure recette. La « bonne recette » trie l’essentiel du superflu, prend en compte les moyens, l’atmosphère, le public, l’appétit, la saison, le contexte et apporte ce qui est « bon au bon moment ».
Cette structuration intérieure de la prise de décision est d’autant plus cruciale que les disfonctionnement constatés en entreprise autant qu’en politique ne viennent pas tant d’un manque de connaissances – nous avons beaucoup de « premiers de la classe » dans les instances dirigeantes – mais d’une incapacité à voir les priorités.
Notre formation s’adresse donc à tous les décideurs publics et privés désireux d’installer durablement une bonne prise de décision dans leur entité.
Que révèle la crise du COVID quant à la capacité de discernement de nos gouvernants ?
La crise du COVID est hélas un très fort marqueur de l’absence de discernement qui règne au sommet de l’Etat. Conduire la politique, ce n’est pas se focaliser sur le danger le plus visible médiatiquement et l’investir indéfiniment pour se mettre en avant mais, au contraire, écouter la globalité d’une situation en étant précisément capable de saisir ce qui est invisible ou caché, en péril ou en ferment, afin de concentrer ses efforts au bon endroit. J’ai eu la chance, pendant ma formation d’officier, de faire un stage chez les pompiers. En arrivant sur les lieux du premier accident, je n’ai pas oublié le précieux conseil du chef d’agrès de Montpellier qui nous supervisait : « Vous entendez les cris de cette femme ? Ce n’est sûrement pas là qu’il y a le plus grand danger ; les victimes les plus graves sont silencieuses. » Nous avons investis les véhicules accidentés et il y avait, effectivement, un blessé très sévère (et muet) que nous avons pris en compte avant la femme bruyante, qui avait des blessures superficielles.
Ainsi en est-il de la France. Ramené aux nombres de morts réels (c’est-à-dire ceux dont il est la seule cause), le COVID est un phénomène certes sujet à vigilance mais marginal dans la liste des urgences françaises. La crise économique et sociale qui gronde, les fragmentations multiples de la communauté nationale, la perte de confiance de la population dans le gouvernement (et dont les policiers sont le défouloir) envoient des signaux qui nécessiteraient d’urgence un changement de braquet de la politique, en resoudant la nation, en concentrant les efforts de protection (et de présence) sur les personnes à risque et en remettant à grande vitesse par un réel déconfinement du lien, de la coordination et du soutien à tous les autres. Nous aurons peut-être plus de suicides en 2020 que de morts réels du COVID. Surtout, un peuple se redresse avec un esprit combattant, avec le goût du sport et du risque, avec la confiance donnée aux plus entreprenants plutôt que de faire des Français des écoliers demeurés retenus à l’école et sommés de brandir un mot d’excuse pour sortir quand dans le même temps nombre de voyous et casseurs sont impunis dans la rue.
Si le Pr Salomon, Olivier Véran ou Jean Castex venaient faire un stage à l’école du Discernement, que leur diriez-vous ?
Je rêverais d’avoir le trio dans mes classes ! Je leur ferais d’abord découvrir qui ils sont et les amènerais peut-être au passage à prendre en compte que la politique n’est pas un métier de communicants et d’experts mais d’abord de chefs naturels : ce pourrait même être pour eux l’occasion d’une reconversion. A défaut, je leur donnerai dans un deuxième temps la vision des entourages dont ils ont besoin. Il est urgent que les hommes politiques comprennent qu’ils n’ont pas d’abord besoin de conseillers en communication et en expertises de toutes natures mais de bras droits conseillers en discernement, c’est-à-dire de chefs naturels capables de se mettre à l’écoute de leur contexte pour y apporter leur clairvoyance. Ce fut l’apport lumineux de Jeanne d’Arc à Charles VII (de Du Guesclin à Charles V, de Bayart à François Ier) mieux que les errements prétentieux d’Attali ou de Minc sur des présidents successifs et les expérimentations d’un Gantzer, mieux aussi, il faut le dire, que les idées sans mode d’emploi de l’action de Buisson à Sarkozy. Enfin je leur donnerai l’ensemble des réflexes comportementaux leur permettant de se rapprocher de l’écoute de la réalité : se taire, s’imprégner de la réalité, loin du prisme des médias et des consanguinités attachées au pouvoir, distinguer les décision stratégiques des décisions courantes, laisser, pour les premières , « agir la facilité du bons sens » (Louis XIV), considérer les secondes comme des points dans une trajectoire et se préparer donc sans cesse à rebondir, sans ego déplacé sur une erreur potentielle, car la vie opérationnelle est par nature imparfaite, entrer, en somme, au prix d’une certaine solitude, dans l’écoute de l’évidence qui nous vient du terrain (et non de nos idées).
Pourquoi notre époque manque-t-elle de chefs en capacité de discerner ? Qu’est-ce qui manque dans l’éducation ?
Le système scolaire donne la prime aux « meilleurs dictionnaires », c’est-à-dire aux gens qui savent tout sur tout sans s’embarrasser des contraintes humaines et opérationnelles d’un contexte : une feuille de note valide des connaissances pures et repose sur un mythe, celui qui consiste à dire « qu’être bon, c’est être bon partout ». Cela veut dire en réalité qu’« avoir la bonne réponse théorique sur un sujet », c’est le maîtriser. Dès qu’on entre dans la vie opérationnelle, on prend conscience qu’être chef ce n’est pas de tout savoir mais d’entrevoir ce qui est possible avec les moyens qui nous sont donnés à l’instant T. Il faut pour cela une disposition naturelle au discernement, peu visible sur un carnet de note, mais procédant d’une présence aigüe aux personnes et aux événements. En ce sens, on produit, même s’il y a de notables exceptions, une mauvaise élite. Les « premiers de la classe », auxquels le système donne les postes de direction, sont généralement des experts dont le sens de l’exhaustivité produit des merveilles quand il s’agit de produire un contenu dense mais génère paralysie et aveuglement quand il s’agit de décider. L’obsession du détail par primauté sur l’essentiel crève les yeux dans le dispositif COVID : on s’obstine à rentrer dans des précisions absconses (30 personnes dans une église par exemple ou masque dans la rue) alors que des manifestations bondées et ultraviolentes peinent à être contenues, tellement les policiers sont sursollicités par ailleurs sur des missions secondaires.
En politique, une chance est donnée à une autre catégorie de s’exprimer : les professionnels de la communication et de la relation. Les médias dictant en effet la vie politique sur la base de séquences émotionnelles à même de momentanément susciter l’adhésion, ils attirent par conséquent les meilleurs vendeurs sur le devant de la scène. On peut dire qu’il y a un surinvestissement de la conquête du pouvoir et une mise au placard de l’exercice du pouvoir. Les chefs naturels sont sanctionnés par les faits et, comme la plupart des vrais dirigeants révélés dans les crises, ils ont besoin que l’événement les convoque pour se sentir légitime. Ils sont donc le plus souvent en retrait de la vie politique. Les vendeurs ne font pas le service après-vente et donc n’ont pas de mal à se mettre en avant. Les experts énoncent des vérités absolues, hors contexte, et ils n’ont donc pas de mal à s’exprimer à tout propos, sans se fatiguer à réduire leur propos à ce qui est opérable et pertinent au moment où ils parlent.
Notre éducation doit intégrer, plus que la manière de « bien penser » (mieux déjà que de rien penser), la manière de savoir « bien décider » et donc faire des pas résolus à chaque étape de notre vie. Entre Henri IV, Louis XIV et Louis XVI, la différence n’est pas les idées, mais l’intelligence des priorités. Les deux premiers ont montré, mais sans doute était-ce lié à leur personnalité, une plus grande clairvoyance du danger et une vision naturelle de l’action. A la fin de son (très long) règne, Louis XIV s’est montré trop influençable par les « ultras » : la révocation de l’Edit de Nantes fut une erreur proportionnellement aussi grande que la signature de l’édit par Henri IV fut une avancée courageuse. Il y a donc pour moi trois choses à transmettre (notamment car le sujet est immense) dans l’éducation : apprendre à se connaître (pour choisir le métier et le rôle où l’on sera fécond), résister aux effets de bande pour savoir écouter la réalité de chaque situation, être courageux quand on y voit clair, car ce sont ces petits pas déterminés qui changent le monde.
Heracles
Atrocement paradoxal !
Voilà quelqu’un qui enseigne le discernement, mais qui est incapable de discerner que le gouvernement est tout à fait lucide, déterminé, et en pleine capacité de discernement, pour atteindre SES OBJECTIFS.
Pour évaluer le discernement de quelqu’un, il faut d’abord connaître ses objectifs, sans quoi on n’évalue rien du tout…
Ermort
“absence de discernement qui règne au sommet de l’Etat”
Bien naïf.
En voilà un qui croit encore que ce gouvernement est au service du pays… et serait donc maladroit pour ce faire.
Je rejoins tout à fait Heracles… Monsieur Bert manque vraiment de discernement lui-même. Pourtant, les signes sont clairs. Ces gens sont là pour faire le mal et détruire le pays.
Heracles
@Aplanos : Pour reprendre votre image, il tire la sonnette d’alarme d’un train qui fonce vers un ravin, mais juste pour s’assurer que le conducteur discerne bien le ravin. Une fois rassuré, le train pourra reprendre son chemin vers le ravin.
Gaudete
ca c’est sur que les pieds nikelés au pouvoir sont là pour détruire le pays et Macron avait déjà commencé sous porcinet sudoripare
DUPORT
La crise du COVID (sic)
Quelle crise ??
L’absence de discernement c’est déjà de voir une crise là ou il n’y a qu’une manipulation.
Meltoisan
Citations : « L’École du discernement est née d’un constat simple … » puis « … la politique n’est pas un métier de communicants et d’experts mais d’abord de chefs naturels » François BERT
Or, être un « chef naturel » ne se décrète pas ni ne s’enseigne puisque c’est « naturel » !
On peut enseigner à mieux discerner mais pas à des chèvres !
Il faut plutôt apprendre aux Français à mieux voter la prochaine fois. Cela dit, on peut enseigner à mieux voter mais pas à des mouton !
philippe paternot
j’espère que les catholiques se souviendront de tout ça avant d’aller voter