De Elie Collin sur Le Prisme :
"[…] Auparavant, le mariage était l’institution dotée du rôle essentiel de fonder la famille, cellule de base, irréductible, de l’homme. Désormais, alors que, le plus souvent, c’est la famille qui précède le mariage, on n’a réduit ce dernier à un simple contrat entre deux individus. Dès lors que le mariage a été réduit à un contrat, qu’est-ce qui retient de l’ouvrir à plus de deux personnes ? Cette dénaturation évidente du mariage ne peut manquer de conduire à son ouverture à tout type d’union. Si la condition nécessaire au mariage est de le vouloir, d’avoir un “projet parental”, d’être consentant – sans forcément de promesses d’amour d’ailleurs -, alors la revendication des polygames n’est pas infondée. Même l’argument de l’enfant n’est pas bien solide. Dire que les enfants seraient moins bien élevés dans une famille composée de plus de deux parents peut être accusé d’être discriminatoire. Comme pour le mariage gay, il pourrait tout à fait y avoir des enfants plus heureux dans une famille polygame que dans une famille traditionnelle. La loi Taubira était appelée “mariage pour tous”. Alors, pourquoi exclure les polygames ?
La difficulté aujourd’hui réside dans l’habileté déployée par les libertaires qui ont imposé un nouveau paradigme : la neutralité éthique de l’État. Écoutons Daniel Borrillo, juriste et militant LGBT, nous l’expliquer dans un article au titre plus qu’explicite “Mettre fin à la morale au profit des libertés individuelles” : “L’idéal moral des sociétés modernes se fonde ainsi sur le postulat suivant : toutes les relations sexuelles entre adultes consentants sont légitimes […] L’État n’a plus à dire le bien ou le mal sous peine de tomber lui-même dans une attitude immorale. L’individu libre est le seul capable de déterminer ce qui lui convient.” Et encore : “En tant que manifestation de la vie privée, la liberté sexuelle implique la possibilité d’avoir des relations sexuelles avec qui nous souhaitons et dans les conditions convenues avec nos partenaires”. Chef d’oeuvre de relativisme, mais qui a le mérite d’éclairer sur les mécanismes rhétoriques mis en avant et extrêmement difficilement réfutables. Comment s’opposer à une revendication qui se réfugie derrière les Droits de l’Homme ? Comment défendre une morale qui impliquerait de limiter les libertés individuelles, à l’heure où les Droits de l’Homme ont été sanctuarisés ?
Vous m’objecterez peut-être que la polygamie est une pratique culturelle intolérable et moralement repoussante. Néanmoins, l’homosexualité n’était-elle pas tout aussi mal considérée il y a un siècle et demi ? Le relativisme culturel – que j’ai traité dans Relativisme, nihilisme et autres maux de notre société - ne manquera pas de faire son oeuvre, de légitimer la polygamie puis, probablement, nous empêchera même de juger les polygames, se réfugiant derrière l’accusation d’ethnocentrisme. La gauche islamophile n’osera peut-être pas s’opposer aux revendications islamiques.
Il est certain qu’une petite minorité d’immigrés d’Afrique subsaharienne pratique la polygamie, chiffrée à 10 000 selon une étude de l’INED en 1995/ Si il est très difficile d’avoir des chiffres précis, la polygamie n’est pas négligeable. En témoignent les déclarations de l'académicienne Hélène Carrère d’Encausse : “Tout le monde s'étonne : pourquoi les enfants africains sont dans la rue et pas à l'école ? Pourquoi leurs parents ne peuvent pas acheter un appartement ? C'est clair, pourquoi : beaucoup de ces Africains, je vous le dis, sont polygames. Dans un appartement, il y a trois ou quatre femmes et 25 enfants.” et de Nicolas Sarkozy : “Il y a plus de problèmes pour un enfant d'un immigré d'Afrique noire ou d'Afrique du Nord que pour un fils de Suédois, de Danois ou de Hongrois. Parce que la culture, parce que la polygamie, parce que les origines sociales font qu'il a plus de difficultés.”
Cependant, si ni le relativisme culturel, ni la logique libertaire ne vous ont convaincu de la légitimité de la polygamie, vous vous demandez sûrement comment la réfuter et s’y opposer.
Il est fondamental de revenir à l’intuition première qui nous pousse à considérer la polygamie comme repoussante et illégitime : celle de notre corps sexué. Notre propre expérience – que rien ne peut venir contredire – porte sur le donné biologique : je suis homme, ou je suis femme. Je ne suis pas un être indéterminé, neutre, fluctuant, comme Foucault et Butler ont cherché à nous le faire croire. Notre corps et notre esprit ont vocation à s’accorder, tout comme le naturel et le culturel devraient converger pour réaliser pleinement l’homme, dans toute son unicité. De cette différence des sexes, naît la complémentarité qui se réalise pleinement uniquement dans l’union des corps – sur un plan physique mais aussi psychique. Notre corps nous incline à nous tourner vers un individu du sexe opposé, c’est sa finalité naturelle. L’impasse des théoriciens du gender réside dans la négation du donné biologique. Pour Butler, tout n’est que construit, rien n’est naturel. Si c’est construit, pourquoi ne pas déconstruire pour reconstruire ensemble ?, demande-t-elle, avec la visée certaine de créer des êtres humains androgynes, neutres, de pures potentialités, en somme. Dès lors, ces pures potentialités, “libérées” des assignations biologiques, contraignantes et déterminantes, pourront s’adonner à tous leurs plaisirs, union à n partenaires inclue. On est bien dans le projet libertaire, tel que Daniel Borrillo le décrit. [Lire la suite]"