Depuis le début de l’attaque meurtrière du Hamas du 7 octobre 2023, la désinformation s’est répandue massivement dans l’espace numérique. Dans Conflits, Jean-Baptiste Noé analyse ce narratif orienté :
[…] Le caractère fondamentalement passionnel des conflits entre Israël et les mouvements nationalistes palestiniens fait de la désinformation un outil stratégique d’orientation des émotions, permettant de déshumaniser l’adversaire et, surtout, de renforcer sa propre posture victimaire au sein d’une dichotomie « agresseur – agressé », que chacun des camps revendique. L’une des dernières en date ? Les affirmations, relayées le 24 janvier sur le réseau social X par le média palestinien Times of Gaza, accusant Israël de dissimuler des explosifs dans des boîtes de conserve alimentaires destinées aux populations civiles palestiniennes. « L’idée sous-jacente est d’assimiler Israël à un État terroriste, dont les modes d’action peuvent être aisément qualifiables de crimes contre l’Humanité » analyse Matthieu Anquez.
Une approche que l’on peut retrouver ponctuellement du côté israélien. Au tout début du conflit, le Hamas a été accusé d’avoir décapité une quarantaine de nouveau-nés dans le kibboutz de Kfar Aza, situé à proximité de la frontière gazaouie. Si l’existence d’un massacre à grande échelle dans ce kibboutz, ayant fait environ 70 victimes, est depuis largement documentée, le meurtre de bébés s’est révélé, plus tard, une affirmation infondée, reprise parfois au plus haut niveau politique dans les pays occidentaux et en Israël. « Israël comme le Hamas visent un objectif finalement simple : attirer les sympathies, diaboliser l’ennemi, agir sur les émotions, afin d’obtenir le soutien des opinions publiques », explique Matthieu Anquez.
Cette approche participe de « la construction de l’ennemi » et s’inscrit dans une forme de « diplomatie de l’émoi », capitalisant sur une capacité à influencer les émotions des spectateurs extérieurs au conflit et cherchant à justifier ses propres actions. La création a posteriori de cas de crimes de guerre n’est pas nouvelle, l’avènement des nouvelles technologies de l’information et des télécommunications leur accordant simplement une capacité de viralisation plus puissante. « Citons entre autres l’affaire des cadavres de Timisoara lors de la Révolution roumaine de décembre 1989 ou celle des couveuses débranchées par l’armée irakienne lors de son occupation du Koweït en 1990 », souligne Matthieu Anquez.
L’autre face de la même pièce est la négation des pertes de l’adversaire. Plusieurs dirigeants du Hamas, dont Bassem Naim, l’un des porte-paroles du mouvement dans ses relations internationales, ont ouvertement nié la responsabilité du groupe islamiste dans la mort de civils israéliens. En Israël, c’est le hashtag « Pallywood », au sous-narratif complotiste marqué, qui s’est diffusé au sein des extrêmes-droites, accusant les Palestiniens d’utiliser des mannequins en plastique pour simuler des morts civils. Avec pour objectif d’instiller le doute, alors qu’Israël fait face à de puissantes accusations de crimes de guerre, dont l’un des points d’acmé est sans doute la requête de l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de Justice (CIJ).
La capacité de mobilisation des milieux militants en Occident, dont le soutien à la Palestine se double d’une posture anticapitaliste assumée, a fait des entreprises privées des cibles particulièrement privilégiées des campagnes de désinformation. « Leur objectif est d’inverser la balance bénéfices – risques d’un investissement en Israël en faisant passer un message sous-jacent : si vous vous implantez en Israël, vous perdrez non seulement des clients en Occident, mais aussi sur l’ensemble de vos marchés arabes et musulmans. Êtes-vous certain que c’est économiquement rationnel ? À terme, l’objectif est d’affaiblir économiquement Israël ».
Ces modes d’action militants sont portés par des mouvements structurés, très en lien avec des groupes de gauche radicale, comme « Action Palestine », « Boycott Désinvestissement Sanction » ou l’association « France Palestine solidarité ». « Plusieurs enseignes ont été visées par des campagnes de désinformation : Carrefour, Zara, Puma, Starbucks… À chaque fois, il s’est avéré qu’elles avaient été victimes d’actes malveillants qui tendaient à montrer que ces entreprises avaient pris fait et cause pour Israël », souligne Matthieu Anquez. Les groupes ciblés ont ainsi quasi-systématiquement une attache historique dans un pays occidental, un actionnariat en grande majorité européen ou américain et des intérêts économiques, directs ou indirects, réels dans le monde arabo-musulman.
En France, c’est l’enseigne Carrefour qui en a récemment fait les frais. Partant d’une simple photo diffusée sur le réseau social Instagram, montrant un employé présumé du groupe distribuant de la nourriture à des soldats israéliens, le groupe a fait l’objet d’un appel au boycott massif. « Il apparaît en fait que cette initiative est celle d’un salarié isolé d’un franchisé du groupe en Israël et que Carrefour ne l’a en aucun autorisée et n’a jamais été au courant. Le contraire aurait relevé de l’absurde, le distributeur étant implanté dans de nombreux pays musulmans », détaille Matthieu Anquez. Dans la foulée, le groupe a aussi été accusé, par la voix de plusieurs députés français notamment, d’être implanté dans les Territoires palestiniens occupés, ceux-ci étant définis à partir d’une résolution de l’ONU de 1967 comme n’appartenant pas au territoire souverain d’Israël. Une information là encore infondée, à en croire la carte officielle des implantations du groupe en Israël.
Le groupe a d’ailleurs tenu à clarifier ce point : « Le Groupe Carrefour n’exerce aucune activité directement en Israël et n’a aucune participation capitalistique dans notre partenaire franchisé Yenot Bitan. Le contrat de franchise est limité au territoire d’Israël et exclut la présence de tout magasin à l’enseigne Carrefour dans les territoires occupés. Aucun magasin Carrefour n’est présent dans les territoires occupés ».
De fait, les accusations d’implantation de Carrefour en Cisjordanie occupée semblent procéder d’un malentendu, voire d’un raccourci volontairement emprunté pour accabler l’enseigne. Ainsi, la « Plateforme Palestine », passerelle militante pro-Palestine, écrivait-elle, dans une note intitulée Carrefour intensifie ses liens avec la colonisation illégale de la Palestine datée du 6 octobre 2023 : « Yenot Bitan, le partenaire de Carrefour détient des magasins dans 8 colonies, au lieu des 3 annoncées au moment de la publication (d’un précédent) rapport », avant de préciser : « le partenaire de Carrefour exploite des succursales, sous ses marques Mega et Mehadrin MarKet dans d’autres colonies que les trois déjà identifiée et mentionnées dans le rapport qui sont Ariel, Maale Adumim et Alfie Menashe. Les nouvelles colonies identifiées par Who Profits sont Beit El, Kokhav Ya’akov, Modi’in-Maccabim-Re’ut et Modi’in Illit, ainsi que Neve Ya’akov à Jérusalem Est ». Problème, ces magasins Mega et Mehadrin MarKet n’ont aucun lien, d’aucune manière, avec Carrefour. […]
zongadar
Comme par hasard, la lutte contre la “désinformation” est la priorité annoncée comme n°1 à Davos et ce, bien évidemment, avant la lutte contre la prochaine pandémie X. Trois années de ‘sûr et efficace’ et de morts subites nous ont bien enseigné à prendre du recul face à la parole officielle et de rechercher ‘à qui profite le crime’.