Les réactions consternantes (ici et ici par exemple) qui ont suivi le voyage de quatre parlementaires français en Syrie donnent l'occasion à Renaud Girard, grand reporter depuis trente ans, d'offrir une leçon de diplomatie à ceux qui n'en connaissent pas l'art. Dans le FigaroVox :
"La rencontre à Damas de quatre parlementaires français avec Bachar el-Assad fait polémique. Que cela vous inspire-t-il?
(…) Ils ont eu raison de faire ce voyage, ne serait-ce que pour se rendre compte de l'état de la route entre la frontière libanaise et Damas, de l'état de la capitale. Il faut bien comprendre que la diplomatie ne se fait pas avec ses amis. C'est l'art de parler à ses adversaires ou à ses rivaux. On peut reprocher beaucoup de choses à Bachar el-Assad, mais ce n'est pas une raison pour ne pas lui parler. Car Bachar el-Assad incarne la Syrie: il n'incarne certainement pas 95% de la population, mais rien ne prouve qu'en cas d'élection réellement libre, il n'emporterait pas la majorité. Il a suscité une opposition considérable dans le monde sunnite contre lui, mais y conserve, malgré tout, des alliés: sa femme est sunnite, de même que son chef du renseignement intérieur. Par ailleurs, il a toutes les minorités, chrétiennes, druzes, alaouites, kurdes en sa faveur.
Est-ce vraiment le rôle des parlementaires de discuter avec des dictateurs étrangers?
Je suis pour la liberté des députés. Lorsque la politique étrangère est mauvaise, ce qui est le cas, pourquoi ne pas essayer d'autres pistes. Les députés, comme les journalistes d'ailleurs, ont le devoir de critiquer les dirigeants.
Cela a déclenché la colère du gouvernement français …
Nicolas Sarkozy et Alain Juppé ont fait l'énorme erreur de fermer l'ambassade, qui était pour nous la place où nous pouvions parler au régime et surtout obtenir des renseignements. Le gouvernement français par la voix de Laurent Fabius traite la Syrie comme si elle était l'ennemie de la France. Bachar el-Assad n'est pas l'ennemi de la France. Il n'a jamais pris un Français en otage. Son père, Hafez el-Assad, qu'affectionnait François Mitterrand, que Laurent Fabius a servi, a fait assassiner notre ambassadeur de Beyrouth, Louis Delamare. Cela aurait pu être considéré comme un motif de guerre. Ce n'a pas été le cas et Laurent Fabius n'a rien dit à ce sujet. Lorsqu'Hafez el-Assad a bombardé les chrétiens en avril 1989 à Beyrouth, la France aurait pu venir en aide à ces civils instruits par des soeurs qui leur faisaient chanter: «notre mère la France». Cela n'a pas était fait. Pire à la conférence de Taëf en Arabie saoudite, toujours en 1989, nous avons donné le Liban en esclavage à la Syrie. Laurent Fabius qui était président de l'Assemblée nationale à l'époque n'a pas protesté. Bachar el-Assad, lui, ne s'est jamais attaqué aux intérêts français. Au contraire, il a une épouse francophone et francophile et il a ré-ouvert le lycée français Charles de Gaulle à Damas."
Et Renaud Girard de rappeler la situation en Libye et en Irak, où la chute des dictateurs a non seulement desservi les intérêts français, mais aussi entraîné le chaos et une détérioration des conditions de vie pour la population.