« Je ne peux pas dormir la nuit. J’ai peur. La peur m’accompagne partout où je vais. » Voici l’aveux inquiétant de Nadwa, une grand-mère de Mhardeh, un village chrétien au Nord-Ouest de Homs qui vit depuis huit ans sous la menace de bombardements terroristes.
J’ai eu la chance d’avoir pu m’y rendre récemment à deux reprises, dans le cadre de donations organisées par l’association, et c’est toujours une joie d’y aller. Les gens sont accueillants et joyeux, malgré la menace constante d’un obus. Je me rappelle avoir été marquée, lors de ma première visite, par l’atmosphère étonnamment paisible du village. Dans la rue principale, les gens étaient nombreux à partager le café sur le pas de leur porte, bavardant et riant, en un mot, profitant de la vie. J’avais alors admiré leur courage, et je m’étais dit : « Je voudrai la même joie face à un tel danger ».
Mais les visites aux familles de soldats morts pendant la guerre – appelées familles de martyrs – m’ont permis de me rendre compte que sous cette apparence de normalité, nombreux sont les deuils que porte cette communauté. Nous sommes allés à la rencontre de certaines de ces familles. J’avais hâte de les rencontrer et de parler avec elles, pour écouter leur témoignage et partager, dans la mesure du possible, une partie de leur chagrin. Mais alors que nous marchions vers la maison de Nadwa Alhaj, une villageoise, le soldat qui nous accompagnait fut informé d’un bombardement à Squelbiye, un village chrétien tout proche. Il fallut aussitôt quitter la rue et chercher un refuge, car les terroristes risquaient de bombarder Mhardeh dans la foulée. Telle est la vie quotidienne des gens ici ! La menace des bombardements est permanente. Nous sommes restés trente-cinq minutes à l’abri, avant de reprendre notre route quand le danger se fut éloigné.
Arrivés devant la maison, Nadwa nous a ouvert la porte. La vieille femme était habillée en noir. Bien que notre visite n’ait pas été annoncée, elle était heureuse de nous voir et nous a accueillis joyeusement comme si nous étions de vieux amis. Mais elle semblait peinée, et son beau visage tanné par les années ne parvenait pas à dissimuler la tristesse de son regard. Elle nous conduisit au salon, où elle nous désigna la photo d’un jeune homme, accrochée au mur. C’était son petit-fils, Elias. Émue, elle ne parvînt pas à cacher ses larmes. La peine est communicative. Je regardai plus attentivement la photo. Il était si jeune quand la mort l’emporta ! Il est mort le 7 septembre 2018 au cours d’un bombardement terroriste sur Mhardeh, alors qu’il n’avait que quinze ans. Ce jour-là, il jouait au football avec des amis quand un obus est tombé et l’a tué. Treize personnes ont été tuées ce jour-là, dont une majorité d’enfants ! Ces gens ordinaires, frappés par des obus au beau milieu de leurs occupations quotidiennes, étaient pourtant parfaitement inoffensifs et ne représentaient aucune menace pour les terroristes ! Pourtant, cette attaque sur des cibles civiles était délibérée, comme toutes les autres.
Nadwa me faisait de la peine, mais je savais qu’aucune parole ne pourrai la consoler. Quand son émotion fut calmée, nous écoutâmes son histoire. Nadwa est une veuve de 75 ans. Son mari est mort d’une maladie il y a plus de vingt ans. De ses trois fils, deux sont partis en Suède, et elle vit seule désormais. Avant que la guerre ne vienne tout bouleverser, ils formaient une famille heureuse et vivaient normalement. Mais aujourd’hui, elle vit dans l’angoisse : « Je ne peux pas dormir la nuit. J’ai peur. La peur m’accompagne partout où je vais. » Ces mots me firent mal au cœur, mais je gardai le silence, tout en offrant une courte prière pour l’aider dans cette épreuve.
Alors que nous parlions, une femme entra dans la pièce et s’assit parmi nous. Elle aussi était habillée en noir. C’était une voisine de Nadwa à qui la guerre avait pris son fils et sa belle-fille, ainsi que son petit-fils. Malgré ces terribles pertes, sa foi en Dieu est restée forte, et elle nous murmure une bénédiction : « Que Dieu vous protège et reste avec vous ».
Nadwa continua : « Quand Elias a été tué, son père, mon fils, décida d’émigrer en Suède. Il ne se sentait plus en sécurité à Mhardeh. Mais je désire revoir mes petits-enfants avant de mourir ! » Sa peine me toucha beaucoup, et je tentai de la réconforter. C’est un lien fort qui uni généralement une grand-mère à ses petits-enfants, et j’imagine aisément tout le chagrin qu’elle ressent à être restée seule au pays pendant que ses petits-enfants grandissent à l’autre bout du monde. Même le soldat qui nous accompagnait était ému. Il m’avoua : « Quand je l’écoute, j’ai les larmes aux yeux. » Cela me surpris de la part de cet homme qui combattait l’ennemi depuis huit ans, et avait dû voir la mort plus d’une fois. Mais est-ce si étonnant que cela ? Peut-être sont-ce justement toutes ces injustices, ces exils, et ces femmes en deuil, qui lui donnent encore la force de se battre. « Je ne veux pas quitter Mhardeh. J’aime ma maison natale. Je ne veux pas la laisser », nous confia Nadwa. Certes, une vieille femme comme elle n’aurait de toute manière pas vraiment le moyen de partir. Pourtant, cette déclaration que j’avais déjà entendue à plusieurs reprises dans le village me témoigna de son attachement sans faille à cette terre qui l’avait vu naître, mais qui lui avait aussi apporté son lot de souffrances.
Nous terminâmes notre visite en récitant ensemble le Notre Père en arabe. Au moment de la quitter, je la serrai sur mon cœur, tant j’étais touchée par son chagrin. Alors, elle cueillit deux pomelos sur un arbre tout proche, qu’elle m’offrît : les épreuves n’avaient pas fermé son cœur. Je reparti avec sa bénédiction : « Que Dieu te protège et te donne une longue vie ! »
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Mhardeh – « Que Dieu soit avec vous. »