Partager cet article

Pays : Arménie

La femme vue d’Arménie, avec Lala et Tatev

La femme vue d’Arménie, avec Lala et Tatev

Première partie de notre trilogie : Le F de la Femme, de la Foi, et, de la Francophonie

Elles ont toutes les deux 21 ans. Etudiantes avec des situations familiales différentes, Lala et Tatev s’expriment pour la première fois sur le sujet. Entre les traditions et le modernisme, elles privilégient les traditions. Entre l’émancipation et l’interdépendance, elles choisissent l’interdépendance. Très matures, elles déclarent que « la femme arménienne est l’héroïne de 2020 ».

Ce dimanche 7 mars, la veille de la Journée Internationale de la Femme, à Kanaker, dans le quartier nord d’Erevan, la capitale, une quinzaine de jeunes filles âgées de plus de 18 ans, sortent de la paroisse Saint Grégoire de Narek où a été célébrée la Messe. « Nous allons toutes à la Messe sans exception, expliquent quelques-unes. Et, nous y allons avec le cœur ». Du cœur, elles en reçoivent beaucoup au Centre de Jeunesse Annie Bezikian, où elles vivent. Dans ce centre, les sœurs s’occupent de 23 jeunes filles, qui ont eu des vies familiales très dures. Certaines sont orphelines, de père et de mère. Ici, le paradis a posé ses fondations. « Sans les sœurs, nous ne savons pas ce que nous serions devenues », expliquent Lala et Tatev.

« La gardienne des traditions et des valeurs »

Lala a une sœur, Ala. A la mort de leur père en 2016, elles ont décidé de venir vivre en Arménie. Nées dans le Caucase, en Georgie, à Javakhk, près de la frontière avec l’Arménie, ses jumelles d’origine arméniennes sont redevenues heureuses. Elles qui étaient tristes depuis 2016 ont commencé à écrire de nouvelles pages de joie sur leurs vies. Pour Tatev, les difficultés n’étaient pas les mêmes. Sans les sœurs, elle aurait eu du mal à faire ses études supérieures, et, aurait dû commencer à travailler à 17 ans. Matures, les deux étudiantes ont un avis bien pesé sur la question du féminisme. Pour Tatev,

« la femme en Arménie a un rôle très important, car c’est elle qui s’occupe de l’éducation des enfants. Les femmes sont le pivot de la famille. Elles ont un rôle social et politique. Elles ont un sens du sacrifice pour garder leur famille, et, la protéger de tous les maux qui frappent à la porte. Par exemple, la division, l’égoïsme, l’individualisme, la paresse, le chômage, etc. »

Pour Lala,

« la femme arménienne a une très forte personnalité, c’est la tête de la famille. C’est elle qui aide à prendre les décisions les plus importantes dans la famille, par exemple dans l’éducation des enfants. Elle est, aussi, la gardienne des traditions et des valeurs. Elle a, enfin, un sens très développé de son rôle au sein du pays. Par exemple, pendant la guerre contre l’Azerbaïdjan, les femmes sont venues en aide aux soldats, et, à leurs familles. »

Une féminité au service de la société

Tatev est née à Tashir, dans le nord du pays, une petite ville de 5 000 habitants. Etudiante, elle est francophone. Elle est, aujourd’hui, en quatrième année à la Faculté de Finances, à l’Université Française (l’UFAR). « Je travaille, aussi, dans une compagnie d’assurance, explique-t-elle ». Lala est étudiante à la Faculté de Communication et des Langues Européennes. Elle parle le russe et l’arménien couramment, et, apprend l’espagnol et l’anglais. « Pour moi, c’est important d’apprendre ces langues pour communiquer avec les populations étrangères qui viennent en Arménie. » Tatev se souvient des difficultés qui ont frappé sa famille : « mon père a dû partir à l’étranger pour gagner davantage. C’était une période triste, qui a forgé mon caractère, qui m’a endurci. » Consciente de son rôle futur dans la société, Tatev est une battante. Il en est de même avec Lala qui est très reconnaissante auprès des soeurs de l’avoir accueillie avec sa jumelle.

« Je suis consciente de tout ce que j’ai reçu depuis 4 ans. En tant que femme, je veux montrer que c’est possible de respecter sa foi, ses valeurs traditionnelles, et de développer son pays. Je suis heureuse, car je suis en train de me réaliser en tant que femme. Toute mon énergie et ma motivation, je les dois à ma foi, aux sœurs, et, aux moyens que met à ma disposition ce centre. »

« La femme arménienne, héroïne de 2020 »

Ici entre les mois de septembre et de novembre 2020, les mères ont perdu leurs fils de 18, 19, 20 ans. Plus ou moins 5 000 sont morts au combat. Elles ont été touchées en plein cœur. Mais, comme l’explique Lala, « j’ai rencontré des femmes qui sont fières d’avoir accepté que leurs fils aillent défendre nos terres ancestrales en Artsakh. Ce sont des héroïnes, car, après avoir pleuré la mort de leurs fils, elles se sont remises debout. » La femme arménienne est forte, éduquée, et indépendante. En même temps, elle sauvegarde ses valeurs. Quand Lala parle d’indépendance, elle parle surtout des pressions et des peurs qui sont véhiculées, actuellement, dans la société.

« Indépendante, ne veut pas dire contre les hommes, c’est surtout vis-à-vis de soi-même. Je parlerai surtout d’interdépendance, de cette capacité à être soi-même, pleinement femme, et, en même temps d’être loyale et respectueuse dans la relation avec les autres. Pour moi, la femme arménienne, héroïne de 2020, c’est celle de l’Artsakh, qui pleure son enfant mort au combat, mais, aussi, celle qui est fidèle et qui défend les valeurs traditionnelles familiales. Elle donne sa vie à son mari et à ses enfants, ensuite, à son pays. Elle veut être éduquée, instruite et donner le meilleur d’elle-même. »

Les droits des femmes pour la famille

Mai 68 est évoqué. Elles en ont entendu parler. Elles trouvent l’émancipation de l’ouest excessive. Elles parlent des valeurs traditionnelles, qui ont façonné l’Arménie depuis toujours.

« Les valeurs traditionnelles sont notre force, et, nous devons les sauvegarder. C’est une question de balance, d’équilibre. Si, par exemple, j’oublie toutes ces valeurs pour m’émanciper, j’oublierai mon histoire, mon identité, ma personnalité. Je perdrai ma face. Les valeurs traditionnelles ne sont pas mauvaises. Elles sont vitales. »

Lala est sur la même longueur d’ondes que Tatev. Elle ne comprend pas ces « droits » à l’émancipation de la femme qui sont contre les valeurs familiales traditionnelles.

« En fait, explique-t-elle, nous ne voulons pas de ces valeurs dites modernes d’émancipation qui sont contre nos traditions. Je veux garder mes valeurs familiales traditionnelles. Je ne veux pas lutter contre l’émancipation ou quelque chose d’autre, je veux lutter pour mes valeurs. Je veux vivre avec elles, car je les aime beaucoup. Elles sont notre avenir. »

Les deux jeunes femmes se projettent dans l’avenir, quand elles auront charge d’âmes et de leur famille. Leur priorité : la famille, puis, leur vie professionnelle. Elles n’envisagent pas, non plus, d’avoir une vie de famille qui change tous les 5 ou 10 ans.

« C’est très difficile d’aimer une deuxième fois quand on s’est donnée à son mari, et, réciproquement. Nous avons un poète qui a écrit : ‶ On ne peut pas aimer une deuxième fois, mais on peut aimer deuxièmement. ″ Et, la confiance est très difficile. »

Des modèles de femmes

Lala souhaiterait ressembler à Angelina Jolie, pour son côté philanthropique. Mais elle parle surtout des sœurs, qui sont un exemple d’abnégation et de don de soi. Pour Tatev, le modèle de femme par excellence est « celui de la Vierge Marie. Elle a consacré toute sa vie pour nous. Ici, les sœurs ont ensemencé en nous les semences de l’amour ». Toutes les deux sont conscientes de leur rôle de femme « éducatrice » et de leur rôle dans les moments difficiles. Après avoir été malade pendant son enfance, Tatev a développé des qualités indéniables, qui la rendent forte psychologiquement. Elles sont prêtes à affronter les difficultés de la vie. Elles regrettent la culture actuelle de l’individualisme et des rapports de futilité, d’utilité. A l’unisson, ou presque, elles affirment que « nous devons nous aider, nous soutenir les unes et les autres. Car nous nous aimons les uns et les autres. » Au sujet des regrets, Lala en a un, elle qui aime tant la France, « celui de ne pas parler le français. Ici, la Francophonie est très développée. » Lala et Tatev sont des femmes d’action et d’esprit. Alors qu’une vague de départs d’Arméniens a été constaté depuis la fin de la guerre, les deux jeunes femmes « veulent rester et construire l’Arménie de demain ». En somme, elles sont déjà, des femmes leaders, amoureuses et respectueuses de leurs traditions. De futures héroïnes.

Reportage réalisé par notre envoyé spécial Antoine BORDIER

Partager cet article

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services