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Histoire du christianisme

La ferveur mystique : O magnum mysterium (Tomás Luis de Victoria)

La ferveur mystique : O magnum mysterium (Tomás Luis de Victoria)
D’Aurelio Porfiri, éditeur et écrivain catholique italien, pour le Salon beige:
Nous savons bien que l’une des époques les plus glorieuses pour la musique sacrée est la Renaissance, une époque où l’art vocal atteint des sommets extraordinaires, rarement surpassés par la suite. Durant cette période, brille au plus haut niveau l’art de Palestrina, modèle de la polyphonie sacrée. Mais d’autres compositeurs ont également montré leur immense talent, souvent au service de l’Église et parfois des cours princières. N’oublions pas qu’à côté de l’extraordinaire production destinée à la liturgie, il y eut également un grand épanouissement de la musique profane, incarné principalement dans la forme du madrigal, qui trouva ses plus hauts accomplissements précisément à cette époque.
Cependant, la musique sacrée demeurait le principal domaine d’expression des compositeurs de l’époque. Parmi les plus grands, nous devons inclure le prêtre espagnol Tomás Luis de Victoria (1548–1611), encore aujourd’hui l’un des noms les plus connus et l’un des compositeurs les plus joués. Parmi les trois figures identifiées comme le sommet de l’école romaine—Palestrina, Orlando di Lasso et Victoria—ce dernier est souvent décrit comme le plus mystique, bien que l’exactitude de cette affirmation reste discutable. On m’a dit autrefois que Lasso écrivait pour les cours princières, Palestrina pour la cour papale et Victoria pour Dieu. Une synthèse sans doute imprécise, qui cherche à rendre compte d’une réalité complexe de manière quelque peu simpliste. Ce qui est certainement vrai, c’est que la musique du compositeur espagnol, entièrement consacrée au répertoire sacré, possède une qualité intensément spirituelle, un mysticisme “espagnol”, dans le sens des grands saints de cette époque qui sont des grands noms de la mystique chrétienne, tels que Jean de la Croix et Thérèse d’Avila.
Selon une certaine tradition, Victoria aurait été en contact avec Thérèse d’Avila, mais cela est contredit par un article du musicien et carme Antonio Bernaldo de Quirós Álvarez, qui déclare :
« Il a déjà été démontré que sainte Thérèse et Tomás Luis de Victoria n’avaient pas de relation directe, en raison de leur différence d’âge et de leurs chemins distincts. Thérèse est née en 1515 et Victoria en 1548. Elle était donc de trente-trois ans l’aînée de Victoria. (Peut-être que le père de Victoria et Thérèse faisaient partie du même cercle d’amis, puisqu’ils avaient à peu près le même âge, étaient coparoissiens de San Juan et ne vivaient pas loin l’un de l’autre). »
Même s’il n’y a pas eu de rencontre directe, on peut penser que le profond mysticisme de la grande Thérèse, comme celui des autres grands saints espagnols, ainsi que la spiritualité renouvelée de la Contre-Réforme catholique, avaient certainement pénétré le cœur du musicien espagnol, le rendant l’un des plus grands compositeurs de la Renaissance.
Parmi les œuvres les plus célèbres de ce compositeur figure O magnum mysterium, pour quatre voix mixtes. Ce motet est sans aucun doute l’un des exemples les plus extraordinaires des qualités évoquées plus haut : le mysticisme profond et cette intensité spirituelle qui se perçoivent de manière tangible, presque palpable, dans la musique de Victoria. Avec son extraordinaire habileté de composition, il nous fait habiter un monde surnaturel, un monde où la foi ne se limite pas à une dévotion privée mais devient un amour intense, passionnel, mais d’une manière sublime.
Dans la dédicace de son recueil Cantica Beatae Virginis au cardinal Michele Bonelli, Victoria écrivait :
« Si quelqu’un cherchait l’utilité, rien n’est plus utile que la musique, qui, pénétrant doucement les cœurs par le message des oreilles, semble profiter non seulement à l’âme, mais aussi au corps. »
En effet, cette idée selon laquelle la musique, à travers l’esprit, peut également faire du bien au corps traverse les siècles et est aujourd’hui valorisée par la musicothérapie moderne. Malheureusement, cela est peu compris à notre époque, une époque où l’on ne saisit pas que la musique peut avoir des effets bénéfiques sur le corps, mais aussi des effets néfastes si l’on promeut des styles et des genres qui ne sont pas conformes à la dignité du culte divin. Mais c’est un problème qui nous entraînerait trop loin.
Le texte du motet O magnum mysterium est tiré d’un des répons pour les matines de Noël, mais il était aussi utilisé pour la fête de la Circoncision du Seigneur :
“O magnum mysterium et admirabile sacramentum, ut animalia viderent Dominum natum iacentem in praesepio. O Beata Virgo, cuius viscera meruerunt portare Dominum Jesum Christum. Alleluia.”
(Ô grand mystère et admirable sacrement, que les animaux aient vu le Seigneur nouveau-né, couché dans la crèche. Ô Bienheureuse Vierge, dont le ventre a mérité de porter le Seigneur Jésus-Christ. Alléluia.)
Ce texte nous introduit avec une grande efficacité dans le mystère de Noël et dans la catégorie même de « mystère ». Le théologien, Père Tarcisio Stramare, décédé il y a quelques années, victime du COVID-19, a ainsi parlé de la relation entre mystère et liturgie :
« Outre la précision concernant le sens du terme “mystère”, il reste déterminant d’identifier les mystères individuels et de les rapporter aux “faits” respectifs qui les contiennent. Ici, le discours se déplace vers la Liturgie, qui en est la “réalisation” et, pour nous, le “détecteur” pour identifier le mystère lui-même et remonter au “fait” qui en est à l’origine. De la même manière que la lecture de l’Ancien Testament doit se faire à la lumière du Nouveau, c’est-à-dire du Christ, ainsi la lecture du Nouveau Testament doit se faire à la lumière de la Liturgie, dans laquelle et par laquelle le Christ continue Sa présence et Son œuvre. Cette relation étroite suppose et exige une “méthodologie” correspondante, certainement pratiquée dans la vie de l’Église, mais pas toujours perçue aussi clairement. »
Il ne faut pas oublier ce que dit le bénédictin Odon Casel dans son Das christliche Kultmysterium (1959), où il affirme entre autres :
« Le mystère est, avant tout, Dieu en Lui-même, Dieu comme Celui qui est infiniment lointain, le saint et inaccessible, à qui nul ne peut s’approcher sans mourir, devant qui tout est impur, comme le dit le Prophète : “Je suis un homme aux lèvres impures, et je vis au milieu d’un peuple aux lèvres impures ; pourtant mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur des armées.” Et cet Être très saint révèle Son mystère, s’abaisse vers Sa créature et Se manifeste à elle, mais encore “dans le mystère”, c’est-à-dire dans une révélation pleine de grâce accordée aux âmes qu’Il a choisies, humbles, pures de cœur, non aux insensés et aux présomptueux. Ainsi, la Révélation elle-même demeure un mystère, car elle ne se manifeste pas au monde profane mais se cache à lui pour ne se révéler qu’au croyant, à l’élu. »
Le motet dont nous parlons est inclus par Victoria dans une collection imprimée à Venise en 1572 : Thomae Ludovici de Victoria. Abvlensis. Motecta. Que partim, quaternis, partim, quinis, alia, senis, alia, octonis vocibus concinuntur. Cette collection a été imprimée par Gardano. Dans la dédicace, Victoria écrit entre autres :
« Mais, puisque rien ne peut jamais tromper ou décevoir celui qui agit honnêtement, il serait vraiment nécessaire pour moi – dont l’objectif n’était rien d’autre que la gloire de Dieu et le bénéfice commun de l’humanité – de comprendre profondément et d’espérer obtenir l’approbation pour atteindre tous mes objectifs, quels qu’ils soient. »
Il est très intéressant que l’auteur identifie correctement quels sont les buts d’un compositeur liturgique : la gloire de Dieu et le bénéfice de l’humanité, c’est-à-dire la sanctification des fidèles.
Le chercheur Bernhard Meier, dans son ouvrage Les Modes de la polyphonie vocale classique, classe O magnum mysterium dans le deuxième mode transposé une quarte au-dessus, avec des cadences fréquentes sur Sol et Ré. Dès l’exposition, nous sommes enveloppés dans une atmosphère profondément spirituelle, qui résonne de voix en voix. J’ai toujours été frappé par la relation entre le statique et le dynamique dans cette pièce. Parfois, la polyphonie laisse place à l’homorythmie d’une manière qui me semble très différente des autres motets du même auteur ou de la même période. C’est presque comme si la contemplation mystique cherchait à s’éterniser dans la statique des voix.
En effet, la polyphonie apporte une certaine humanité, comme dans les paroles iacentem in praesepio, où l’effusion spirituelle devient chaleureuse – une chaleur qui brûle comme un feu intérieur et se sublime dans une foi ardente. O beata Virgo est déclamé rhétoriquement en homorythmie, et on observe également un usage de la rhétorique dans la première partie de l’Alleluia, en rythme ternaire. Le rythme ternaire est associé à la danse, mais ici, il faut être prudent : certains insistent sur cet aspect de la danse comme s’il s’agissait d’une fête profane. Cependant, la danse évoquée ici est une danse sacrée, une danse spirituelle qui ne recherche pas la frénésie du corps mais la légèreté de l’esprit.
Avec ce motet, nous avons une méditation splendide sur le mystère de l’Incarnation, une méditation à faire à genoux, les mains jointes en prière.

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