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Pays : Syrie

La fin de la Syrie, le début du chaos

La fin de la Syrie, le début du chaos

D’Antoine de Lacoste dans Politique Magazine :

« Le régime de Bachar al-Assad s’est effondré » clament haut et fort l’occident, ses médias dociles à la pensée unique et sa classe politique à l’ignorance crasse. Or ce n’est pas un régime qui s’est effondré mais un pays qui, dans un acte suicidaire incompréhensible, a choisi de se livrer sans combattre à ses pires ennemis : les islamistes.

Toutefois, indépendamment du suicide syrien, un certain nombre d’acteurs ont favorisé cette tragédie. Les trois principaux sont facilement identifiables : la Turquie, Israël et les Etats-Unis.

La Turquie a joué à l’évidence un rôle majeur dans ces évènements qui sont le début de l’aboutissement de sa stratégie proche-orientale. Dès le début de la guerre de Syrie, en 2012, elle a activement soutenu les milices islamistes. Son intérêt était double : favoriser l’émergence d’un pouvoir sunnite et contrôler, pour ne pas dire plus, les Kurdes.

C’était un jeu bien périlleux d’aider les milices sunnites. L’Occident eu beau faire des efforts considérables pour les affubler des termes délicats de « rebelles », ou « rebelles modérés » voire dans les grands moments d’ « islamistes modérés » (une belle trouvaille tout de même), il s’agissait bel et bien d’islamistes. Leurs multiples exactions contre les chrétiens et les alaouites en témoignent largement.

L’Arabie Saoudite et le Qatar aidèrent également les islamistes pendant plusieurs années. Mais avec l’intervention russe et l’apparition de l’Etat islamique, issu d’une scission avec le front al-Nosra, ils se retirèrent du jeu. La Turquie continua et fit même mieux : elle envahit partiellement le nord de la Syrie pour en chasser les Kurdes. L’Occident protesta à peine et Erdogan rappela qu’après tout la Syrie avait longtemps appartenu à l’Empire ottoman. Mais il dut ensuite freiner ses ambitions sous la double pression russe et américaine. Les Russes lui intimèrent l’ordre de ne pas descendre plus au sud et les Américains s’installèrent au nord-est et à l’est créant de facto une nouvelle entité abritant les kurdes et leur milice armée YPG. Les Turcs furent fermement invités par Washington à mettre en sourdine leur projet anti-kurde.

Bien installés dans le nord, les Turcs bénéficièrent d’un cadeau inespéré des Russes : la gestion de la province d’Idleb située au nord-ouest de la Syrie. Malgré la présence des célèbres villes mortes byzantines et des somptueuses ruines de la basilique Saint Siméon le Stylite (qu’en reste-t-il ?), cette région est très majoritairement peuplée de sunnites et en particulier de Turkomans, par définition proches des Turcs. Lors de l’avancée triomphale de l’armée syrienne à partir de 2017, l’armée russe eut l’idée de permettre aux islamistes de se rendre et d’être transférés dans cette province avec leurs familles et leurs armes légères. Des milliers de combattants islamistes s’y installèrent, venant notamment des banlieues de Damas et des vergers de la Ghoutta. Plusieurs dizaines de « Français » djihadistes y trouvèrent également refuge.

L’arc sunnite

L’idée russe avait un avantage : permettre à l’armée syrienne de reconquérir son territoire (hormis les annexions turques et américaines) sans subir trop de pertes, alors que la saignée des premières années avait été terrible. Pourquoi pas ? Mais laisser une région entière aux mains d’islamistes censés être surveillés par la Turquie relevait d’un audacieux pari. La province d’Idleb fut finalement peu contrôlée. L’ex Front al-Nosra a quitté son affiliation à al-Qaïda et a changé de nom pour s’appeler Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Il a absorbé d’autres groupes islamistes pour constituer une milice de 20 000 combattants. Ce sont eux qui ont envahi la Syrie et pris Alep en trois jours, provoquant l’effondrement improbable de l’armée syrienne.

Dans le même temps, l’armée turque attaquait les Kurdes. La concordance des actions ne relève évidemment pas du hasard : tout cela était tout à fait coordonné. HTC a gagné la bataille, l’avenir dira si elle est une alliée ou une vassale de la Turquie.

Mais tout cela n’aurait pas été possible sans Israël. Après l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, le Hezbollah libanais réagit avec prudence. Au grand dam du Hamas il ne se lança pas dans une guerre totale mais de faible intensité. Israël de son côté donna la priorité à la destruction de Gaza. 45 000 morts plus tard, dont une écrasante majorité de civils, l’effort militaire hébreu se porta contre la milice chiite. Après avoir détruit le commandement du Hezbollah à Beyrouth sud, l’armée envahit le Liban pour la énième fois et de durs combats terrestres eurent lieu. Son écrasante supériorité aérienne fit rapidement la différence mais on ne sait pas aujourd’hui si le Hezbollah est encore militairement fort et pourra se reconstituer après le départ israélien.

Ce que l’on sait en revanche, c’est qu’il n’y avait plus de combattants chiites pour aider l’armée syrienne. Il faut bien se rappeler que pendant toutes les années de la guerre, l’apport des combattants du Hezbollah fut décisif. Ces redoutables combattants colmatèrent bien des brèches lorsque les soldats syriens étaient vaincus ou en fuite. Leur absence a pesé lourd.

Israël joua également un rôle néfaste important en bombardant régulièrement les combattants iraniens, irakiens, afghans, pakistanais et libanais chiites présents en Syrie. Car de même que l’offensive djihadiste sunnite contre la Syrie fut internationale, la défense chiite de la Syrie le fut aussi. La haine séculaire entre chiites et sunnites est une donnée fondamentale pour comprendre la guerre en Syrie. En protégeant Bachar al-Assad, l’Iran défendait l’arc chiite est-ouest du Proche-Orient. En faisant sauter le verrou syrien, les sunnites, qu’ils fussent turcs ou d’autres pays, permettait l’accomplissement d’un arc sunnite nord-sud.

Le jeu d’Israël

C’est pour cela que les services secrets américains et leurs valets occidentaux ont soutenu le djihad : l’Amérique est alliée aux sunnites et ennemie des chiites.

Pendant toute la guerre syrienne, Israël a prétendu ne pas choisir. En réalité, elle a constamment et discrètement aidé les islamistes sunnites dans le sud. Des milliers de combattants d’al-Nosra et même de Daech ont par exemple été soignés dans des hôpitaux israéliens.

Mais Israël n’avait que très rarement bombardé des miliciens chiites pour ne pas déplaire à la Russie avec qui elle entretenait de bonnes relations. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les bombardements israéliens ont considérablement augmenté, les priorités russes s’étant déplacées. Ils se sont encore intensifiés après le 7 octobre, désorganisant toute la logistique chiite, notamment iranienne et irakienne. Et lorsque l’offensive islamiste de HTC fut déclenchée après le feu vert turc et que des combattants irakiens et iraniens commencèrent à faire mouvement pour secourir l’armée syrienne, Israël avertit qu’ils seraient détruits en route. Ils firent demi-tour car si la puissance militaire terrestre de l’armée israélienne est discutable, sa puissance de feu aérien est irrésistible.

Depuis la chute de Bachar, Israël s’en donne à cœur joie. Bombardements massifs, y compris de groupes de soldats syriens, et invasion du sud de la Syrie. Le Plateau du Golan est annexé « pour l’éternité » a déclaré le doux Netanyahou et la Syrie sombre dans le chaos, soit un adversaire potentiel de moins pour Israël et un allié de l’Iran qui disparaît.

Les Américains ont joué aussi leur rôle mais il fut plus modeste. Après s’être installés dans le nord-est, riche en gaz et en pétrole, et en avoir confié la gestion aux Kurdes, décision fut prise d’écraser la Syrie sous les sanctions. Sans ressources, le pays ne pouvait que sombrer dans le marasme économique. Il faut être la Russie pour rendre les sanctions inopérantes. Certes, Bachar n’a pas fait preuve de beaucoup d’imagination pour surmonter ces mortifères sanctions, mais il est tellement facile d’écraser les faibles et l’Amérique aime ça.

Devant ce désastre, certains diront que puisqu’il s’agit avant tout d’un conflit sunnite-chiite, devions-nous en tant que chrétiens prendre nettement parti ? La réponse est hélas évidente et l’histoire nous l’enseigne : les sunnites sont beaucoup plus intolérants que les chiites. Pas une seule église n’a été saccagée par les chiites pendant la guerre, les sunnites en ont détruit des centaines et massacré des milliers de chrétiens.

Avec Bachar, malgré ses multiples défauts et sa pitoyable fuite, les chrétiens ne risquaient rien. Aujourd’hui, le pire est à craindre.

Antoine de Lacoste

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1 commentaire

  1. Que dire de ces chrétiens qui se réjouissent la chute du régime alaouite !
    Inconscients pour leurs frères chrétiens, et idiots utiles des Turcs, des Sunnites, du grand Israël, et de l’impérialisme US.
    Le régime Assad était un moindre mal.

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