Dans Le Figaro, Frédéric Rouvillois, professeur de droit constitutionnel, souligne que, dans sa décision du 24 juin, la Cour suprême des Etats-Unis a inversé et non pas renversé la jurisprudence Roe v. Wade. Si ces juges l’avaient renversé, ils auraient entendu déduire du texte de la constitution l’interdiction de l’avortement – laquelle n’y figure pas plus que son contraire, le droit à l’avortement inventé de toutes pièces dans la décision de 1973 :
[…] On a évoqué plus haut la théorie du «droit vivant», qui sous-tendait l’activisme jurisprudentiel à l’œuvre dans la décision Roe ; de leur côté, les conservateurs désormais majoritaires à la Cour suprême défendent la doctrine inverse, dite «originaliste», selon laquelle le juge, lorsqu’il interprète la constitution, doit s’en tenir strictement à l’intention originelle des auteurs de celle-ci, c’est-à-dire à la signification qu’ils ont entendu donner au texte qu’il lui revient maintenant d’appliquer. En vertu de cette approche, le juge se dépouille volontairement du pouvoir créatif et proprement politique que lui attribue la théorie du «droit vivant» : il entend se situer, autant que possible, dans une stricte neutralité idéologique. Or, telle est bien la position de la Cour suprême lorsqu’elle constate, dans sa décision du 24 juin, qu’un «droit à l’avortement» ne figure pas dans le texte constitutionnel ; que par conséquent la décision de 1973 était manifestement erronée ; qu’il est donc légitime de revenir sur celle-ci ; et qu’enfin, il est conforme au droit de rendre aux États le pouvoir démocratique qui leur avait été enlevé en la matière.
Ceux qui se scandalisent de la décision du 24 juin ont ainsi le choix entre trois reproches, susceptibles d’être combinés les uns avec les autres: l’accusation de populisme, qui implique qu’une question de cette importance ne saurait être abandonnée à la décision du peuple, et surtout, du peuple des États supposés incultes et arriérés du sud et du centre des États-Unis ; l’accusation de conservatisme, la décision Dobbs étant censée opérer un «retour en arrière» de cinquante, de cent, voire de cent cinquante ans, intolérable rechute dans les ténèbres du passé ; et enfin l’accusation de complot, le président Biden faisant comme monsieur Jourdain du conspirationnisme sans le savoir, évoquant dans son allocution solennelle du 24 juin un attentat contre la jurisprudence Roe ourdi de longue date par des extrémistes manipulés.
Des reproches qu’explique peut-être l’émotion suscitée par la décision Dobbs mais qui, à leur tour, suscitent de nouveaux problèmes, notamment au regard du principe démocratique, du rôle attribué aux juges ou de la notion d’État de droit.
« La décision d’aujourd’hui », observe le juge Brett Kavanaugh dans l’explication qu’il donne de sa propre position, « replace la Cour dans une position de neutralité juridique sur la question de l’avortement, et restitue au peuple le pouvoir de trancher cette question à travers les procédures démocratiques établies par la constitution » ; « D’après mon jugement, sur cette question de l’avortement, la constitution n’est ni “pro-life”, ni “pro-choice”. La constitution est neutre, et de la même manière, cette Cour doit être scrupuleusement neutre. La Cour aujourd’hui se doit de respecter strictement le principe constitutionnel de la neutralité judiciaire, et renvoyer la question de l’avortement au peuple et à ceux qu’il a élus comme ses représentants par un processus démocratique. »
En démocratie, c’est en effet au peuple de se gouverner lui-même, et de déterminer à quelles normes il entend se soumettre : il n’y a pas de raison juridique pour que la question de l’avortement fasse exception à la règle. C’est tout ce que la Cour suprême a entendu dire dans sa décision du 24 juin. Rien de plus, rien de moins.
AFumey
Ce qui ressort est bien que cet arrêt est un premier pas mais qu’il ne faut pas baisser la garde. Comme une bataille-clef remportée mais la guerre est loin d’être terminée: la contre offensive a commencé, elle aussi préparée depuis longtemps en prévision de cette ‘défaite’ (pour eux).
S’ils savaient que leur propre salut est conditionné par la victoire de ceux qu’ils combattent…