Rompant
avec sa discrétion habituelle, le préposé général de la Compagnie de
Jésus, le Père Adolfo Nicolas, a critiqué fermement les Etats-Unis
et la France :
"Je n’ai pas l’habitude de commenter les situations
internationales ou les affaires politiques. Mais, dans le cas présent,
nous sommes devant une situation humanitaire qui va au-delà des limites
normales pouvant justifier le silence. J’avoue, je dois le dire, ne pas
comprendre qui a donné l’autorisation aux Etats-Unis ou à la France
d’agir contre un pays d’une manière qui, sans nul doute, ajoutera aux
souffrances d’une population qui a déjà souffert plus que l’on ne peut
l’imaginer. La violence ou les interventions violentes comme celles qui
se préparent ne sont justifiables que comme des moyens ultimes utilisés
d’une manière telle qu’ils n’atteignent que les seuls coupables. Dans le
cas d’un pays, cela est totalement impossible, et c’est pourquoi ce
recours à la force me paraît totalement inacceptable. Nous jésuites,
nous appuyons l’action du pape à 100 % et désirons du fond du cœur que
l’action punitive annoncée n’ait pas lieu.Mais le monde
n’a-t-il pas la responsabilité de faire quelque chose contre ceux qui
abusent de leur pouvoir par des actions contre leur propre peuple, comme
dans le cas d’un gouvernement qui utilise les armes chimiques?Cette question en contient en fait trois qu’il
convient de séparer clairement. La première porte sur le fait que tout
abus de pouvoir doit être condamné et rejeté. Avec tout le respect que
j'ai pour le peuple des Etats-Unis, je crois que l’usage précis de la
force qui se prépare actuellement est en lui-même un abus de pouvoir.
Les Etats-Unis d’Amérique doivent cesser d’agir et de réagir comme s’ils
étaient le ‘grand frère’ d’un quartier qui s’appellerait le monde. Une
telle attitude conduit inévitablement à des abus, à des chocs violents
et à des démonstrations de force devant les membres les plus faibles de
la communauté.La deuxième est que, si des armes chimiques ont
été utilisées, il faut encore satisfaire à l’obligation de montrer au
monde, de manière claire, que cet usage est le fait d’une partie en
conflit, et non pas de l’autre. Il ne suffit pas qu’un membre du
gouvernement du pays qui désire attaquer dise qu’il en a la conviction.
Il faut démontrer au monde qu’il en est ainsi, sans laisser quelque
doute que ce soit, afin que le monde puisse faire confiance à ce pays.
Cette confiance n’existe pas actuellement, et les spéculations ont déjà
commencé sur les visées ultérieures que les Etats-Unis pourraient avoir
dans ce projet d’intervention.La troisième est que les moyens
considérés comme appropriés pour punir l’abus commis à l’origine – une
fois que l’on a montré que tel est bien ce qui s’est passé – ne blessent
pas à nouveau les mêmes personnes, déjà victimes. L’expérience du passé
nous apprend que c’est impossible… quand bien même on désignerait les
victimes par l’euphémisme ‘dommages collatéraux’. Au final, c’est la
souffrance des citoyens ordinaires innocents et étrangers au conflit qui
augmente. Nous savons tous que le grand souci des sages et des
fondateurs religieux de toutes les traditions et cultures est : ‘comment
alléger la souffrance humaine ?’ Il est très préoccupant que, au nom de
la justice, nous planifiions une attaque qui va augmenter la souffrance
des victimes. […]Et je pourrais dire quelque chose de
semblable à propos de la France : un pays qui a été un véritable guide
pour l’esprit et l’intelligence, qui a grandement contribué à la
civilisation et la culture, et qui est maintenant tenté de conduire
l’humanité; à faire marche arrière vers la barbarie, et cela en
contradiction ouverte avec tout ce qu’il a représenté durant bien des
générations. Que ces deux pays s’unissent aujourd’hui pour une aventure
aussi horrible est l’un des éléments de la colère éprouvée en bien des
pays du monde. Ce n’est pas le fait d’attaquer que nous craignons; ce
qui nous atterre, c’est la barbarie vers laquelle nous sommes conduits."