Un lecteur du SB nous partage l’analyse statistique suivante sur le nombre d’avortements induits par la pilule contraceptive. Diffusion en 7 parties.
5. Le regard de la démographie historique
L’étude de démographie historique The Decline of Fertility in Europe since the Eighteenth Century d’Ansley Coale (Princeton, 1986) s’intéresse à la fécondité des Françaises comparée à celle des autres populations d’Europe à partir des années 1750. Elle nous rappelle un enseignement bien connu des démographes et historiens des XVIIIème et XIXème siècles. La fécondité des Françaises chute dès la Révolution. Cette révolution démographique, qualifiée de « transition » démographique, se produit près d’un siècle avant les autres pays européens.
Cette comparaison met en évidence une mentalité et une pratique contraceptives qui se répandent massivement en France dès la fin du XVIIIème. Vers la fin de l’Ancien Régime, la fécondité des Françaises se rapproche encore de la fécondité des Huttérites, population de référence pour l’indice de fécondité naturelle maximale. Si les Anglais ont théorisé la mentalité et la pratique contraceptives avec le malthusianisme, c’est bien la France révolutionnaire qui a été la grande praticienne de la contraception14.
Vers 1750 les taux de fécondité des femmes françaises et allemandes15 sont voisins. Elles ont entre 5 et 6 enfants en moyenne. Mais dès la fin du XVIIIème, la limitation des naissances se répand en France et la fécondité recule de 5,4 enfants par femme dans la décennie 1750 à 4,4 dans la décennie 1800, avant de descendre à 3,4 dans la décennie 1850. L’Allemagne, elle, maintient son taux de natalité jusqu’à la fin du XIXème (Source INED, Population & Société, Mars 2012, France-Allemagne : histoire d’un chassé-croisé démographique).
On comprend mieux le lien entre le phénomène révolutionnaire et le développement de la mentalité contraceptive : « La révolution est l’application politique de l’incroyance » (Groen Van Prinsterer). Cette mentalité contraceptive trouvera une traduction politique lorsque la pilule sera mise au point. De Gaulle, pourtant réticent au départ, en sera le promulgateur. S’il déclarait en 1965 à Alain Peyrefitte : « La pilule ? Jamais ! (…) On ne peut pas réduire la femme à une machine à faire l’amour ! (…) Si on tolère la pilule, on ne tiendra plus rien ! Le sexe va tout envahir ! (…) C’est bien joli de favoriser l’émancipation des femmes, mais il ne faut pas pousser à leur dissipation (…) Introduire
la pilule, c’est préférer quelques satisfactions immédiates à des bienfaits à long terme ! Nous n’allons pas sacrifier la France à la bagatelle ! », il finira par l’autoriser en 1967 sous l’influence de sa femme et de Lucien Neuwirth.
Évelyne Sullerot, co-fondatrice du Planning familial en France, résume l’enjeu : « la véritable révolution de mai 68 est la dissociation de la sexualité et de la procréation » (La Croix, 3 mai 2008). Pierre Simon, ancien président de la Grande Loge de France, le disait à sa façon dans son maître ouvrage de 1979, De la vie avant toute chose : « Pour inverser une formule célèbre : nous avions gagné la guerre (sur la contraception), il ne nous restait qu’à livrer une bataille (sur l’avortement) ».
A suivre
13 New Estimates of Nuptiality and Marital Fertility in France, 1740-1911, David R. Weir, Population Studies, Vol. 48, No.2 (Jul., 1994), pp. 307-331 (25 pages).
14 https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/18719/pop_et_soc_francais_346.fr.pdf