Partager cet article

Religion

La fraude archéologique de Lumbini

La fraude archéologique de Lumbini

De Marion Duvauchel, auteur de La chrétienté disparue dans le Caucase (l’histoire eurasiatique du christianisme) :

Tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’Inde n’ignorent pas l’importance que l’on accorda à compter de 1801, date de la première découverte, aux fameux piliers d’Açoka, empereur de cette dynastie maurya qui unifia l’Inde pour la première fois de son histoire. Tout l’indianisme entra en émoi. Et quand un ingénieur anglais déchiffra l’alphabet inconnu dans lequel ces ordonnances étaient rédigées, cela ouvrit une perspective nouvelle de recherche : enfin, on avait une date.

Il fallut encore 50 ans environ pour qu’on publie le corpus des inscriptions de roi Piyadasi aimé des dieux. C’est Sir Cunningham qui s’en chargea à la demande de Lord Cuzon. Jules Bloch en fit une première traduction commentée, puis Émile Sénart reprit le dossier et posa les repères pour une histoire linguistique de l’Inde, que l’on s’empressa d’oublier mais qui avait du génie. On s’ingénia à établir que non content de s’’être converti au bouddhisme le roi Asoka- Piyadasi avait largement contribué à la diffusion de la « Loi » dans toute l’Asie.

Mais quand, à compter de 1897, à l’endroit où la tradition fait naître le Bouddha, on découvre un pilier dit de Lumbini, alors, l’indianisme français en sort extatique. Le roi Asoka y témoignait que «  vingt ans après son sacre, étant venu en personne, a rendu hommage (car) : Ici le Buddha naquit, l’ascète des Çâkyas. Et il a fait faire une ânesse de pierre et fait ériger une colonne de pierre (pour rappeler que): Ici le Seigneur naquit. (En souvenir de quoi), il a fait la commune de Lumbini exempte de taxe et comblée de biens. Auguste Barth, éminent sanskritiste assura la traduction de ce texte.

En bref, le roi a fait un pèlerinage au lieu-dit de la naissance du Bouddha, y fait graver sur un pilier quelques lignes et il exempte la ville de tout impôt. Tout cela fit l’objet de communications officielles par d’éminents orientalistes devant d’autres éminents orientalistes.

En 1897, l’archéologue Anton Führer organisa des fouilles (financées par le gouvernement népalais) sur le lieu même et rédigea un petit ouvrage dans un anglais dénué d’élégance – jamais traduit en français ni, à ma connaissance, en allemand et pour cause – , dans lequel il exposait le résultat de ses fouilles.

C’est-à-dire rien…

Alors qu’il fait un voyage en Inde et au Japon, Sylvain Lévi, celui qui va donner à l’indianisme français sa stature institutionnelle, visite les fouilles de l’archéologue. De retour en France, il fait de ce voyage, le 27 janvier 1899, devant l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, un rapport qui comprend quelques lignes de témoignage sur les fouilles de Kapilavastu :

«(…) une plaine de rizières unie et nue, qu’aucune tradition locale ne consacre. Un fakir sordide autant qu’ignorant servi par un enfant de rencontre a bâti sur le tas de ruines une chapelle où il adore une statue de hasard tirée des décombres. Il l’a baptisée Rupan Devi. Pourquoi ? Il l’ignore lui-même, mais la déesse ne manque pas de dévots. Impossible d’éventrer le sol ».

Si l’indianiste est si inquiet de cette dévotion à Rupan Devi, c’est que toute cette vénération a des conséquences : on asperge beaucoup le pilier et cela risque évidemment d’endommager à la longue les inscriptions et de les rendre illisibles.

En ce qui concerne les jardins de Lumbini, il n’y a tout simplement rien.

Sur quels fondements la légende s’est-elle construite ?

Sur rien. Le Lalitavistara, ou Vie de Bouddha dont on peut voir fleurir régulièrement de nouvelles éditions pour les bouddhisants ou yogatisants de nos campagnes françaises est un tissu de sottises ahurissantes et de merveilleux. On ne peut que se demander comment des orientalistes sérieux ont laissé pareille légende, fondée sur des faits ténus, voire inexistants, se diffuser et s’imposer ? car pour ceux qui se tiennent pour bouddhistes dans les régions du monde tenues pour telles, il importe peu que le Bouddha ait existé ou pas.

En 1898, sur instructions officielles du gouvernement indien, Führer est relevé de ses fonctions, ses papiers saisis et ses bureaux inspectés par Vincent Arthur Smith, un autre indianiste, qui organise une confrontation au sujet de sa publication archéologique et obtiendra, semble t-il des aveux.

En 1933, le mythe était encore vivace et lors d’une séance de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Alfred Foucher, l’homme qui inventa l’art du Gandhara et l’artiste métis de mère indienne et de père grec qui sculpta le premier bouddha, lisait la note suivante:

« L’ Académie se souvient qu’Auguste Barth l’a entretenue en 1897 d’une découverte sensationnelle qui venait d’être faite dans le Teraï népalais : le fût à demi brisé par un coup de foudre, mais toujours in situ, d’une gigantesque colonne monolithe érigée par l’empereur Açoka vers le milieu du IIIème siècle avant notre ère, portait gravée une inscription explicite : « Ici naquit le Bouddha Çàkya-mouni ». L’emplacement de ce parc Lumbinî où, nous disent les textes, la reine Mâyâ fut surprise par les douleurs de l’enfantement, était donc retrouvé de façon certaine. Sur les instructions de S. A. le mahâràdja du Népal Joudha Shumshere, le général Kaisar a repris au mois de février dernier l’exploration de ce site fameux. La saison, déjà très avancée , ne lui a permis de faire qu’une rapide reconnaissance, mais il se propose d’entreprendre cet hiver une campagne régulière de   fouilles ; et — à raison des excellentes relations d’ordre scientifique que, grâce aux missions de M. Sylvain Lévi, nous entretenons avec le Gouvernement du Népal — S. A. a bien voulu promettre que le résultat de ces fouilles nous serait aussitôt communiqué. »

Si l’on en croit les textes, et je ne vois aucune raison de ne pas les croire, il n’y eut pas de douleurs de l’accouchement. Au moment de la naissance du Bouddha, toute la nature est en quelque sorte suspendue, et cette naissance est d’une inexprimable élégance : la reine, qui va de bosquet en bosquet et regarde les arbres, saisit une branche, baille et s’immobilise. Le boddhisattva profite alors de ce moment de distraction pour sortir de son sein droit sans la blesser.

On conçoit le jugement que formula Renan :

« Ivre de surnaturel, égarée par le goût dangereux qu’elle a de jouer avec l’infini et de se perdre dans de folles énumérations, l’Inde pousse à l’extrême sa chimère, et viole ainsi la première règle de la fantaisie religieuse, qui est de délirer avec mesure et de feindre selon les analogies d’une certaine vérité ».

Grâce à la prévoyante lucidité de l’Unesco le site de Lumbini est devenu un lieu de pèlerinage bouddhiste et il fait partie du patrimoine universel. Des cars de pèlerins s’arrêtent quotidiennement avec leur cargaisons de bouddhistes ou de sympathisants qui viennent méditer sur ce grand mystère. Non contente de son site officiel, l’UNESCO organise encore des fouilles sur ce lieu supposé de la naissance d’un Bouddha dont rien au cours de trois siècles de recherche indianiste n’atteste l’existence incarnée ni l’historicité.

Ce qui, avouons-le, est quand même bien embêtant…

Partager cet article

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services