Lu dans Conflits cette analyse sur un swing state en phase de sinistrisation :
[…] À la fin des années 1980, 70 % des Géorgiens étaient blancs non hispaniques. Cette catégorie ne représente plus que 51 % aujourd’hui. Les Latinos quasi absents sous Reagan dans cet État forment aujourd’hui 10 % de la population. En l’espace de dix ans à peine, le Peach State a gagné un million d’habitants principalement dans les grandes agglomérations. Toute bataille électorale se gagne désormais dans les comtés pourpres où les gens qui sont identifiés, au moment du recensement, comme blancs sont les cibles de toutes les convoitises politiques.
En 2020, Donald Trump a sans doute payé son langage outrancier à l’égard des femmes et des minorités dans cet État, l’obligeant en 2024 à corriger le tir s’il veut, cette fois-ci, sécuriser le gain des 16 grands électeurs de Géorgie. Les femmes de banlieue (le fameux segment des suburban women, aussi appelées soccer moms, de ce surnom qui moque les mères de famille au service de leurs enfants au volant de leur minivan) sont inquiètes sur des sujets tels que l’avortement ? Trump fait marche arrière et laisse les États libres de décider de la législation en la matière. Elles craignent qu’on enseigne la théorie du genre à leurs enfants ? Le même Trump promet une chasse au wokisme dans les manuels scolaires et du nettoyage idéologique dans les salles de profs et les toutes puissantes associations de parents d’élèves. Les minorités, qui pèsent davantage aujourd’hui dans ce coin d’Amérique de l’est du Mississippi, autrefois place forte de l’esclavage, que jamais auparavant, peuvent faire et défaire des carrières nationales. Si les républicains courent autant – et avec de très notables succès, jamais vus depuis Nixon – derrière le vote des Noirs, la Géorgie y est pour beaucoup. Stacey Abrams, vedette du Parti démocrate, Afro-Américaine de type enragée contre le trumpisme, s’était lancée dans la course gouvernatoriale en 2022 face à George Kemp, un républicain peu compatible lui-même avec l’ex-président des États-Unis. Il faut remonter à 1994 pour qu’un maire blanc soit élu à Atlanta. Toujours en 2022, la course sénatoriale a opposé pour la première fois de l’histoire de la Géorgie deux noirs, Raphael Warnock, le sénateur sortant démocrate, mis en ballottage par une ex-star du football afro-américaine, totalement novice en politique et lancée par Trump lui-même, Herschel Walker… Au deuxième tour, seules 100 000 voix les ont séparés (encore ce nombre fatidique !), alors même que Walker avait mené une campagne dont l’amateurisme était si risible qu’il a embarrassé jusque dans les rangs républicains. De la participation de la population noire aux élections et notamment des jeunes Afro-Américains nouvellement installés en Géorgie (ce que les Américains appellent The New Great Migration, soit le retour de descendants de noirs immigrés au début du xxe siècle de la Géorgie vers la Californie ou les États du Nord sur la terre de leurs ancêtres) dépendra en grande partie le sort de l’Amérique.
Le meurtre d’Ahmaud Arbery, en 2020, un jeune Noir de 25 ans, tué dans un quartier de Brunwsick, dans le sud de l’État, par trois Blancs, au cours d’une chasse à l’homme filmée, qui l’avaient pris pour un cambrioleur, avaient incité la jeunesse noire à se mobiliser… Depuis, les républicains qui gouvernent l’État ont radicalement changé les règles de vote, parmi les plus drastiques en Amérique…. La loi, connue sous le nom de SB202, rend plus compliqué le processus, imposant un strict contrôle des pièces d’identité des électeurs, mais également des dispositions aussi limitatives que l’interdiction de donner aux citoyens de l’eau ou de la nourriture à moins de 8 mètres de la queue devant les bureaux de vote. Un détail qui pourrait être amusant, mais ces files d’attente peuvent être gigantesques dans les comtés suburbains où la population noire est la plus importante, de quoi décourager certains électeurs : il fait encore chaud en Géorgie en novembre. Suffisant peut-être pour racler, ici et là, les 12 000 voix qui ont manqué à Donald Trump il y a quatre ans. Autre mécanisme prévu par la SB202 : une hotline pour dénoncer, en direct, des fraudes potentielles. Ce numéro gratuit pourrait ralentir les décomptes et créer un suspense supplémentaire dans un État qui, en matière d’incertitude, est déjà autosuffisant.