Mgr Jean-Louis Bruguès, secrétaire de la Congrégation pour l'éducation catholique, a publié une tribune dans l'Osservatore Romano sur la laïcité à la française. Extraits de la traduction de Benoît-et-moi :
"Les Français aiment à croire que le monde entier a les yeux fixés sur eux. […] Ils sont convaincus qu'ils ont développé, souvent au prix de larmes et de sang, mais aussi avec des initiatives d'une générosité incontestable, un art de vivre ensemble, une philosophie sociale que les autres nations devraient admirer, pour ne pas dire copier. La laïcité ferait partie de cette richesse que les Français voudraient partager avec le plus grand nombre possible. Ayant dû participer à des rencontres européennes et internationales sur le thème de l'éducation, j'ai pu constater que les délégations françaises promeuvent à chaque occasion la nécessité de faire de la laïcité, comme nous l'entendons ici, un principe constitutif de la mission éducative universelle. Seront-elles finalement entendues? Est-il vrai que la conception française de la laïcité est enviée par d'autres pays et qu'elle finira par s'imposer demain ?
[…] Aujourd'hui, de nombreux nuages s'accumulent sur la liberté de culte dans les sociétés dites postchrétienne. En effet, à partir du moment où le «politiquement correct» fait de la philosophie des droits de l'homme une sorte de substitut à la religion, devant éliminer toutes les formes de distinction entre les personnes, dénoncées comme des discriminations, l'opposition avec le catholicisme devient inévitable. La France, cependant, adopte des positions plus modérées que celles des pays anglo-saxons, bien que, pour des raisons inexpliquées, le ministère de l'Éducation vient de rendre pratiquement obligatoire l'enseignement de la «théorie du genre». […] Enfin, la séparation de l'Église et l'État. Le mot «séparation» en lui-même n'apparaît pas dans le texte de la loi, mais il en résume bien la philosophie. […]
Alors que les dirigeants américains continuent de prêter serment sur la Bible et d'échanger des billets de banque portant l'inscription «In God We Trust», alors que la télévision italienne insère quelque nouvelle sur l'Eglise catholique dans chacun de ses journaux quotidiens, que le chef de l'État britannique est toujours le chef de l'Église nationale et qu'une bonne vingtaine d'évêques sont toujours membres de la Chambre des Lords, qu'un concordat régit les relations entre l'Église catholique et les Lands allemands, que les nouvelles démocraties d'Europe de l'Est restituent à l'Eglise une partie des biens confisqués par les régimes communistes et leur demandent de remplir ce que nous devrions appeler un service public dans les écoles et les hôpitaux, les Français sont en train de développer, ces derniers temps, une logique de privatisation des croyances religieuses qui, en tant que telle, a peu à voir avec la laïcité prévue par la loi.
[…] [C]ette même séparation peut être ressentie de différentes manières, et même agressive. C'était la conviction de base de la plupart des rédacteurs de la loi de 1905: la séparation inaugurait, à leurs yeux, une ère nouvelle dans laquelle les religions finiraient par s'épuiser jusqu'à former des restes sociaux de peu d'importance. Cette croyance remontait, en fait, au siècle des Lumières, pour lequel l'avènement de la modernité entraînerait nécessairement un déclin des religions, une «sortie de scène des religions», comme l'aurait dit Marcel Gauchet (1946-), les confinant dans l'espace de la vie privée et de la conscience individuelle. Après avoir prétendu contrôler les habitudes et les esprits pendant un millénaire et demi, le christianisme serait devenu une simple question de vie personnelle. Mais la réalité nous dit tout autre chose."