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France : Laïcité à la française

La laïcité de l’État, une atteinte radicale à la loi inscrite dans le cœur de l’homme

La laïcité de l’État, une atteinte radicale à la loi inscrite dans le cœur de l’homme

Dans Conflits, Pierre-Hugues Barré, docteur en droit, auteur de La séparation impossible (Cerf 2025), évoque l’opposition du saint pape Pie X à la loi de séparation en 1905. Extrait :

[…] Pie X était soucieux de maintenir inchangée l’organisation de l’Église catholique, d’éviter les schismes, et les conflits entre prêtres et laïcs.

Si l’épiscopat français, réuni en assemblées plénières en mai 1906, souhaitait un « essai loyal » de la loi, par le biais de l’encyclique Gravissimo officii du 10 août 1906, le pape interdit aux catholiques de constituer des associations cultuelles. La loi de séparation est moins combattue qu’ignorée par l’Église catholique. L’affrontement fut, du côté du Saint-Siège, essentiellement passif.

Le refus des associations cultuelles par Pie X crée une double difficulté : l’exercice public du culte catholique devient illégal et la dévolution des biens est impossible.

Il y eut une première tentative, à l’initiative de l’épiscopat français – réuni une seconde fois à Paris du 4 au 7 septembre 1906 – et avec le soutien du gouvernement d’assurer l’exercice public du culte au moyen de réunion publique. D’ailleurs la motion « L’assemblée décide de s’appuyer sur ce droit [le régime de réunion publique ordinaire] pour maintenir le culte public » fut votée à l’unanimité des évêques.

L’organisation d’une réunion publique supposait alors une déclaration préalable. La circulaire du 31 décembre 1906, dite « circulaire Briand » atténua la déclaration préalable avant toute réunion publique pour n’être qu’annuelle.

Cependant, l’application de la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion aurait entraîné une assimilation entre la célébration de la messe et les réunions publiques ordinaires, puisque les deux se feraient sous le même régime juridique. La chose est inacceptable pour Pie X qui, après avoir interdit la constitution d’association cultuelle, demande aux ministres du Culte de s’abstenir de toute déclaration. L’idée est de continuer à célébrer la messe comme si rien ne s’était passé. Après la loi de 1905, c’est celle de 1881 qui ne fut pas respectée. Le 11 décembre, Clémenceau, alors ministre de l’Intérieur, fit expulser Mgr Montagnini, l’auditeur de nonciature resté à Paris. Le même jour, le Conseil des ministres ordonne au Parquet de faire constater les infractions à la loi de 1881 : des circulaires sont prises pour les préfets et les procureurs généraux. Les circulaires demandent de faire appliquer les sanctions prévues par la loi du 30 juin 1881 pour défaut de déclaration.

Il devint matériellement impossible de poursuivre tous les contrevenants. Des prêtres, cependant, furent poursuivis pour « délits de messe » ; c’est-à-dire pour avoir organisé des réunions publiques non déclarées.

Le nombre parfois avancé est de 40 000 contraventions pour célébration d’offices religieux sans déclaration préalable, mais les condamnations furent souvent réduites à un franc symbolique. […]

Dans Res Novae, l’abbé Barthe qualifie la laïcité à la française de monstruosité :

Quand on évoque les atteintes législatives que les démocraties modernes font subir à la loi naturelle, on pense surtout à la morale du mariage et de la vie (non-valeur civile du mariage religieux, divorce, égalité des filiations légitimes et illégitimes, contraception, avortement, contrat civil ou « mariage » entre personnes de même sexe, gestation pour autrui, euthanasie, etc.). Mais insérés que nous sommes dans une laïcisation perçue comme irréversible, nous oublions précisément cette atteinte en quelque sorte radicale à cette loi inscrite dans le cœur de l’homme : la laïcité de l’État.

C’est principalement de ce thème, « la peste de notre époque, […] le laïcisme, ainsi qu’on l’appelle, avec ses erreurs et ses entreprises criminelles », que Pie XI traitait il y a cent ans dans l’encyclique Quas primas sur la royauté du Christ (11 décembre 1925) : elle exposait notamment comment les hommes qui gouvernement légitimement la Cité le font au nom de Jésus-Christ et qu’ils doivent se conduire comme ses représentants tout spécialement en rendant un culte public à Dieu au nom de l’État qu’ils dirigent. […]

L’encyclique Quas primas développait ainsi son raisonnement théologique : la souveraineté que le Christ-Homme a sur tous les hommes et toutes les sociétés humaines est, d’une part, la conséquence de l’union de la nature humaine et de la nature divine du Christ dans la Personne du Verbe, l’union hypostatique, et d’autre part, elle lui revient par droit de conquête, sa mort sur la Croix lui ayant acquis « à grand prix » l’âme de chaque homme (1 Co 6, 20). Ce souverain domaine, expliquait Pie XI, embrasse la totalité de tous les hommes, y compris les infidèles et les chrétiens séparés de la communion avec lui par le schisme. Et « il n’y a lieu de faire aucune différence entre les individus, les familles et les États; car les hommes ne sont pas moins soumis à l’autorité du Christ dans leur vie collective que dans leur vie privée. » De ce fait, ceux qui gouvernent légitimement les peuples, et dont l’autorité découle ainsi de celle du Christ Homme-Dieu et Rédempteur, sont revêtus d’un caractère christique qui fait prendre son plein sens au droit divin de tout gouvernant, cette dignité ennoblissant en retour les devoirs des gouvernés. […]

C’est l’horizon de la déclaration sur la liberté religieuse de Vatican II, explicitée par les textes de l’après-Concile qui traitent de politique. Ainsi la Note doctrinale sur certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi du 24 novembre 2002, présente la non-confessionnalité de l’État comme une évidence : « La promotion en conscience du bien commun de la société politique n’a rien à voir avec le “confessionnalisme” ou l’intolérance religieuse » (n. 6). Cependant, dit la Note, cette société politique doit respecter la morale : « Pour la doctrine morale catholique, la laïcité, comprise comme autonomie de la sphère civile et politique par rapport à la sphère religieuse et ecclésiastique – mais pas par rapport à la sphère morale – est une valeur acquise et reconnue par l’Église, et elle appartient au patrimoine de civilisation déjà atteint. » La société politique doit être laïque et morale, une morale qui se réduit grosso modo à la morale conjugale, dite morale de la vie.

La loi naturelle ainsi comprise est ainsi mutilée de l’obligation de reconnaître Dieu qu’a l’État et peut se conjuguer avec sa laïcité. Certes, le terme de laïcité peut avoir une acception parfaitement recevable, quoique dangereuse à utiliser, et signifier l’autonomie de l’Église et de l’État. Mais son acception stricte et habituelle est la non-confessionnalité de l’État et surtout la libre circulation de l’erreur religieuse. Lorsque Pie XII avait tenté une récupération risquée du terme « laïcité » justement dans le sens de distinction du religieux et du politique, il avait pris soin de rappeler dans le même temps qu’il s’agissait d’une « laïcité » qui impliquait l’union nécessaire de l’Église et de l’État : « Comme si une si légitime et saine laïcité de l’État n’était pas un des principes de la doctrine catholique ; comme si ce n’était pas une tradition de l’Église, de s’efforcer continuellement à maintenir distincts, mais aussi toujours unis, selon les justes principes, les deux Pouvoirs » (Discours du 23 mars 1958). Mais entendue dans le sens habituel de neutralité de principe de l’État, la laïcité non seulement n’est pas « saine », mais elle est une impossibilité de nature pour une société politique digne de ce nom, une monstruosité. […]

Le message de Quas Primas était parfaitement audible, il y a un siècle, en un certain nombre de pays dont il a consolidé ou changé le destin, mais il semble à des années-lumière de la société occidentale dans laquelle nous vivons. Alors « que faire ? » dans cette société, selon la question de Lénine. Que faire pour vivre dans une démocratie moderne, que faire pour préparer une « sortie » de cette démocratie ? Pour y réfléchir, il est peut-être bon de se comparer, toutes choses égales, avec les dissidents des sociétés communistes d’avant 1989, autre forme de la démocratie née de la Révolution. Le tchèque Václav Benda, suivi par d’autre penseurs de la dissidence, avait forgé pour eux le concept de « polis parallèle », qui recouvrait la création de structures politiques, économiques, d’informations, parallèles à celles de l’ordre établi, pour survivre et préparer le remplacement du régime tyrannique au pouvoir.

Certes, on peut discuter le concept de « polis parallèle », dans la mesure où il cherche l’organisation d’îlots prétendument autonomes (symptomatiquement, Rod Dreher, l’auteur de The Benedict Option – en français : Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus ? Le Pari bénédictin, Artège 2017, fait l’éloge de la « polis parallèle » de Benda), mais surtout discutable est l’inspiration en définitive libérale de son projet de résistance à l’oppression communiste, qui a fait que des gouvernants de l’Est de la première génération d’après la chute du Mur, Václav Havel et Lech Wałęsa, ont vu leurs projets se dissoudre dans la démocratie libérale. Il reste que la culture d’une dissidence, l’organisation d’une survie expressément non-conforme, notamment éducative et religieuse, comme la préparation lointaine d’une « sortie » de la situation présente, sont des formes d’action que peut inspirer aujourd’hui la doctrine de Quas primas.

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