Dans L'Homme Nouveau, Yves Chiron
"Selon la légende devenue vérité historique, la création de la Sécurité sociale par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945, trouve son origine dans le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) […].
En fait, sans parler des systèmes d’entraide et de prévoyance mis en place, dès le XIXe siècle, par des mutuelles le plus souvent catholiques, une généralisation de l’assurance sociale a commencé à se mettre en place dans l’entre-deux-guerres. Notamment par la création, dès 1928, des assurances sociales, même si elles ne concernent que le secteur privé et fonctionnent par la capitalisation.
Puis il y aura, sous le régime de Vichy, l’institution de « la retraite des vieux » à partir de 60 ans (l’expression, à l’époque, n’était pas péjorative). En mars 1941 est créée l’Allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS), fondée sur le principe de la « solidarité », comme le système actuel de retraite. […]
L’historien Jean-Pierre Le Crom a relevé que « la quasi-totalité des textes pris (par Vichy) en matière d’assurances sociales, notamment celui relatif à l’Allocation aux vieux travailleurs salariés qui marque le passage de la capitalisation à la répartition dans les systèmes de retraite, d’allocations familiales et d’accidents du travail sont purement et simplement validés à la Libération de même que ceux relatifs à l’assistance aux vieillards, infirmes et incurables ».
En 1945, la mise en place d’un système de protection sociale unique et obligatoire va néanmoins au-delà de ce qui avait commencé à se mettre en place dans la période 1940-1944. La tutelle de l’État sur le système, qui n’a cessé d’être plus pressante jusqu’à aujourd’hui, a rencontré dès le départ des oppositions.
Des craintes fondées
Il y a eu celle des catholiques sociaux. On ne citera que deux noms, ceux d’Édouard Leriche, qui fut le grand organisateur des mutuelles chrétiennes autonomes dans le Nord dans l’entre-deux-guerres, et de Gaston Tessier, un des fondateurs de la CFTC et qui était en 1945 le secrétaire général de l’Union nationale des caisses familiales d’assurances sociales. Les deux hommes se retrouvent avec d’autres organisations catholiques en mai 1945 pour contester la création d’une caisse unique de Sécurité sociale. Un volume collectif sera publié, Faut-il bouleverser les assu- rances sociales ? (2). Bien sûr, ces catholiques sociaux ne contestaient pas la nécessité d’assurances sociales fondées sur le principe de cotisations (individuelle et patronale), mais ils craignaient la dérive étatiste d’un système unique. Ils souhaitaient le maintien des principes de mutualisation, de capitalisation et de décentra- libation. […]"
Une dérive étatiste dont on connaît aujourd'hui le résultat.