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“La liberté dominicaine n’est pas l’obéissance inconditionnelle à Rome”

“La liberté dominicaine n’est pas l’obéissance inconditionnelle à Rome”

De Jean-Pierre Maugendre sur le site de Renaissance catholique :

En ces temps de confusion et, déjà, de résistance à la Révolution postconciliaire, il existait pour nous un havre de paix : Pontcallec, à quelques kilomètres de Lorient, en bordure de la rivière du Scorff. Lassés de ferrailler avec nos aumôniers militaires ou les curés brestois nous nous ressourcions régulièrement à l’ombre du château et dans la chapelle Sainte Anne, bercés par le chœur des religieuses qui maintenaient intacte la tradition immémoriale de la liturgie romaine traditionnelle.

Une belle œuvre

En effet, par un mystérieux dessein de la Providence, la communauté des dominicaines du Saint-Esprit, en charge d’écoles de filles et d’un foyer de garçons, était parvenue, en ces années de plomb, à maintenir à la fois une situation canonique parfaitement régulière et la célébration de la messe traditionnelle. Nous avions découvert l’œuvre de l’abbé Berto (1900-1968), le fondateur de la communauté, en particulier son livre Notre-Dame de Joie, déniché le numéro d’Itinéraires écrit en hommage « au Père » (No 132, avril 1969) avec les collaborations de Mgr Lefebvre, qui avait célébré les funérailles du défunt le 21 décembre 1968, l’éditorial de Jean Madiran, les contributions du père Calmel (O.P.) et de l’abbé Dulac, plusieurs textes de l’abbé Berto lui-même.  Ancien élève du séminaire français de Rome, du temps du père Le Floc’h, l’abbé Berto fut d’abord une âme sacerdotale (« Le sacerdoce fut le bonheur inénarrable de ma vie » écrivait-il) profondément ancrée dans sa terre de Bretagne, apôtre de la jeunesse et des pauvres, un « athlète de la foi » défenseur intrépide de Rome, de l’Eglise et amoureux ardent de la vérité – il était tertiaire dominicain -. Il fut l’expert de Mgr Lefebvre au Concile Vatican II aux 2èmes et 3èmes sessions et en revint terrifié. Comme l’écrit Jean Madiran, qui le voyait régulièrement à Saint-Cloud, où se trouvait l’Institution Saint-Pie X : « Il ne reconnaissait plus Rome. Il n’imaginait pas, avant de l’avoir vu et touché, que les choses en étaient à ce point ». S’il avait déjà eu des démêlés avec certains évêques « tartuffes mitrés » ou cardinaux français « janissaires de l’oppression » à propos des nouveaux catéchismes ou de l’encyclique Humanae Vitae, l’abbé Berto n’avait pas alors réalisé à quel point Rome n’était plus dans Rome. Mort en décembre 1968, il ne connut pas la réforme liturgique de 1969 dont Mère Marie de Saint-Paul, qui fut supérieure de l’Institution Saint-Pie X à Saint-Cloud, me confia, un jour, qu’elle l’aurait certainement tué. Sans surprise, aux origines de la Fraternité Saint Pie X les dominicaines du Saint-Esprit apportèrent leur concours à la jeune communauté, formant à la vie religieuse, à Pontcallec, les premières novices des futures sœurs de la Fraternité Saint Pie X et trois sœurs assurant de 1970 à 1972 divers services au séminaire d’Ecône. Les sacres de 1988 mirent fin à cette belle entente, les dominicaines restant néanmoins fidèles à la messe traditionnelle.

De curieuses innovations

Après des années bien confuses qui ont vu la révélation de scandales autour d’une « curieuse » démarche spirituelle appelée agapethérapie, la cessation d’activité du foyer de garçons Notre-Dame de Joie en 2013, la diminution des effectifs de la congrégation, la fermeture d’une maison à Draguignan, un communiqué du 25 juillet 2024 a officialisé, cerise sur le gâteau, le passage à la nouvelle liturgie de la communauté selon des modalités tout à fait étranges et atypiques : célébration une semaine par mois dans les maisons, sauf le dimanche, de la messe selon le Novus ordo, utilisation du lectionnaire et des préfaces réformées, suivi du calendrier liturgique actuellement en vigueur. Tout cela prenant effet au 1 décembre 2024, la retraite communautaire de juillet ayant déjà bénéficié de célébrations selon le Novus ordo. Logiquement des parents d’élèves se sont émus de ces changements (communiqués des 20 juillet et 28 août), s’étonnant qu’il ait fallu 55 ans pour que la communauté découvre le vrai sens de l’obéissance aux consignes liturgiques de Rome, sans que l’on sache d’ailleurs très bien ce qui se cache derrière ce terme générique. Ce n’est en effet pas d’aujourd’hui que la messe traditionnelle est mise au ban de l’Eglise dite conciliaire. Si cet argument est imparable on peut de plus s’interroger sur le bien-fondé d’opter pour les réformes liturgiques postconciliaires en 2024. Accepter cette réforme en 1969, par obéissance ou simplement en faisant confiance à l’autorité légitime était une chose, l’adopter en 2024 en est une autre toute différente au vu des résultats, tout sauf probants, de ladite réforme. Cela paraît aussi pertinent, avec un sens très sûr des causes perdues, que de demander l’asile politique à la RDA en 1988. Le communiqué du 25 juillet évoque la nécessité de préserver « la dignité, la piété et la beauté liturgiques » des cérémonies. Certes, mais comme le notent les parents, dans leur communiqué du 28 août ce n’est pas le sujet. Le débat doit être porté sur le plan de la doctrine. Or, depuis 55 ans, ce débat se révèle impossible.

De la véritable obéissance

Dans sa notice annonçant le décès de l’abbé Berto Mère Marie de Saint-Paul évoquait l’héritage du Père : « L’amour de la Vérité qui ne peut exister sans la haine de l’erreur, la fidélité au Saint-Père, seule garantie de la fidélité à l’Eglise ». Notons que la fidélité au Saint-Père n’a jamais consisté à faire sienne la célèbre formule actualisée et si l’on peut dire catholicisée : « Je suis en votre pouvoir Très Saint-Père comme le cadavre entre les mains du laveur de morts ». Cette obéissance-là, inconditionnelle et hors du champ de l’intelligence et de la raison, n’est pas une obéissance catholique, même dans la Compagnie de Jésus, et encore moins dominicaine. En effet c’est la vérité qui libère, la recherche de la Vérité étant au cœur de la vocation dominicaine. A propos de l’obéissance au pape le père de Chivré (o.p.) (1902-1984) dans un de ces aphorismes dont il avait le secret rappelait fort opportunément : « Ainsi se tissera la trame historique de l’Eglise, fil d’or des décisions infaillibles des pontifes prolongeant Pierre, fil noir des humanités pontificales prolongeant Simon, et dans ce chevauchement incompréhensible, on sent l’aiguille manipulée par une main invisible, attentive à tracer l’anagramme du Christ Roi et du Crucifié ressuscité ».

La liberté dominicaine n’est pas l’obéissance inconditionnelle à Rome, fut-elle représentée par un prestigieux cardinal canadien. Elle peut être aussi la vigoureuse admonestation d’une fille de St Dominique, sainte Catherine de Sienne, au pape Grégoire XI à propos de la croisade : « Très saint Père, par l’amour de l’Agneau immolé, sacrifié et abandonné sur la Croix, je vous conjure, vous qui êtes son Vicaire, d’accomplir sa douce volonté ; faites ce que vous pourrez faire, et vous serez excusé devant lui, et votre conscience sera déchargée. Si vous ne faites pas ce que vous pouvez, vous serez sévèrement repris de Dieu. (…) Je m’arrête ; pardonnez à ma présomption ».

A la même époque d’autres dominicaines enseignantes firent le choix, contre la Révolution conciliaire et le cléricalisme des fonctionnaires ecclésiastiques, de la fidélité à leurs constitutions et à la liturgie romaine traditionnelle. Elles sont aujourd’hui deux communautés religieuses prospères du Saint-Nom de Jésus de Fanjeaux d’une part, de Brignoles d’autre part. Leur aventure a été narrée dans un passionnant récit : Rupture ou fidélité, écrit par sœur Alice-Marie.

Tristesse et compassion

C’est d’abord la tristesse et la compassion qui doivent nous animer. Tristesse de voir une si belle œuvre dans la tourmente. Compassion pour les sœurs qui ont fait profession sur des constitutions et avec des choix liturgiques et doctrinaux aujourd’hui remis en cause. A cet égard il reste un livre à écrire sur la manière dont, en application du décret conciliaire sur la vie religieuse Perfectae caritatis (28 octobre 1965), fut imposé à toutes les communautés religieuses, masculines et féminines, un aggiornamento de leurs constitutions, source de bien des drames de conscience, de larmes et de pleurs.

Dans le texte déjà cité Mère Marie de Saint-Paul rappelait la piété indéfectible de l’abbé Berto à l’égard de la Vierge-Marie. C’est à elle que nous confierons ses filles des dominicaines du Saint-Esprit pour qu’elles conservent, sans altération, la grâce de la fidélité à la liturgie romaine traditionnelle, à la foi de toujours  et donc …au pape.

Jean-Pierre Maugendre

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