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L'Eglise : Vie de l'Eglise

« La messe à l’envers »

« La messe à l’envers »

Paix Liturgique est revenu sur le colloque du Centre International d’Études Liturgiques (CIEL) qui s’est tenu en février à Rome. Lors de ce colloque, l’abbé Claude Barthe a évoqué l’histoire de la célébration versus populum au XXe siècle, montrant que ce mode de célébration s’est imposé de manière quasi universelle dans le rite romain sans qu’il y ait jamais de législation pour le rendre obligatoire :

L’idée d’une célébration « à la romaine », c’est-à-dire pour imiter les messes solennelles du pape, elles-mêmes censées être le dernier témoin d’un antique usage, s’est assurément retrouvée dans l’aménagement de certaines cérémonies pontificales. Ainsi, en 1927, Mgr Harscouet, évêque de Chartres, très favorable au Mouvement liturgique, obtint un indult lui permettant de célébrer pontificalement, lors de certaines fêtes solennelles, à la croisée du transept, versus populum.

Il faut mentionner aussi la messe pontificale célébrée par le nonce Angelo Roncalli, futur Jean XXIII, à Notre-Dame de Paris, le 24 avril 1948, pour célébrer la récente canonisation de sainte Catherine Labouré. Le nonce décrivait l’aménagement dans ses souvenirs : « Trône au fond de l’autel comme à Rome. Autel face au peuple » (Journal de France I 1945-1948, Cerf 2006, p. 494). On peut supposer qu’on avait voulu ainsi offrir une sorte de messe papale au nonce, plus que sacrifier à une nouveauté archéologisante, sachant que le chapitre et les cérémonies à Notre-Dame étaient des plus traditionnels.

En revanche, la messe pontificale versus populum célébrée le 20 août 1953 par Mgr Haas, évêque de Grand Rapids, État de Michigan, aux États-Unis, au Civic Auditorium, à l’occasion de la Conférence Liturgique Nationale, est assurément de style Mouvement liturgique : l’autel est placé sur la scène de l’auditorium face au peuple, le trône de l’évêque est derrière, mais à quelques mètres seulement de l’autel, du fait de l’étroitesse du lieu.

Les traces, dans les articles et conférences relevant de la mouvance, par ailleurs assez complexe, de ce Mouvement liturgique, sur l’aspiration à une célébration versus populum sont relativement rares. Cependant, un article important du chanoine Maurice Michaud, professeur aux facultés catholiques de Lyon, est publié dans le deuxième numéro de la revue La Maison-Dieu, organe du Centre de Pastorale liturgique, un article sur « La célébration de la messe face au peuple » (La Maison-Dieu, 1945 – 2), qui rapporte l’idée commune à l’époque que la célébration versus populum était majoritaire jusqu’au VIe siècle.

Retour à l’antique, donc. « Entre les années 1930 et le Concile, remarquait le cardinal Jean-Marie Lustiger, les spécialistes de la liturgie ont généralement donné en modèle la liturgie basilicale de la belle époque, entre le IVe et le Ve siècle : c’était l’idéal qu’il fallait reconstituer ! Et on a fait de la reconstitution » (Le choix de Dieu. Entretiens avec Jean-Louis Missika et Dominique Wolton, Le Livre de Poche, 1987, p. 429. Dans les séminaires de France, un texte a joué, à cet égard, un grand rôle : la glose de l’Ordo romanus primus donnée par Dom Henri Leclercq, dans le Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie, reprise ensuite dans L’Église en prière, manuel composé sous la direction d’Aimé-Georges. Martimort (Desclée, 1961), extrêmement répandu dans les séminaires. L’Ordo primus décrivait, à l’usage des pays francs, une messe stationnale du pape, celle du matin de Pâques à Sainte-Marie-Majeure, vers la fin du VIIe siècle, qui témoignait, avec des retouches franques, du rite romain en son état antique. La glose de Dom Leclercq fournissait ainsi une sorte de rituel que les clercs du XXe siècle rêvaient naïvement de reproduire, non pas dans la splendeur écrasante du culte des basiliques antiques, mais passé au filtre du goût religieux des années trente et cinquante. Au détail près cependant : le texte de l’Ordo primus, parce qu’adapté aux besoins francs, ne décrit pas une célébration versus populum, mais « vers le Seigneur »…

On vit ainsi se développer des expériences de « face au peuple » dès avant la seconde guerre mondiale, spécialement en Belgique, en Allemagne et en France, qui se fondaient sur le désir de reproduire la messe papale antique et, juridiquement, sur la mention de la célébration versus populum existant dans le Ritus servandus. « C’est à l’évêque seul qu’appartient dans son diocèse la direction et le contrôle d’un mouvement tendant à la célébration face au peuple », affirmait, sans autre explication, Maurice Michaud. Mais les évêques y étaient généralement peu favorables. Certains prêtres demandaient pourtant avec insistance des permissions, ou célébraient ainsi en omettant de les demander.

Parce que la célébration face au peuple nécessitait la mise en place d’un autel détaché du mur, les expériences eurent surtout lieu dans le cadre de messes célébrées sur un autel aménagé pour la circonstance, dans les haltes de pèlerinages, dans les activités champêtres des mouvements de jeunesse, spécialement au sein du scoutisme, ou encore, à partir des années 50, dans de nouvelles églises où l’autel était détaché du mur de l’abside de telle sorte que soit possible  – assez souvent, mais pas toujours – cette forme de célébration.

La recherche d’une « participation active »

Maurice Michaud, dans l’article précité, intégrait aussi ce type de célébration versus populum dans l’ensemble des mesures destinées « à rendre vie dans l’esprit de nos “chrétiens moyens” à la sainte messe. » Il liait ainsi le développement possible de la messe face au peuple à celui de la messe dialoguée : « Actuellement, la tendance est de faire participer plus activement les fidèles à la “messe basse”. C’est la messe dite “dialoguée”. Ce genre de messe achemine plutôt à la célébration face au peuple, si certaines conditions sont réalisées. »

Pour la mise en œuvre pratique de cette forme de célébration, Maurice Michaud insistait sur la plus grande prudence à adopter, car « aux yeux des fidèles, eu égard à l’usage quasi universel de l’autel disposé pour la célébration dos au peuple, le retour à la discipline antique a l’aspect d’une innovation. » On connaît à ce propos la réaction de Paul Claudel, dans un article célèbre du Figaro littéraire, le 29 janvier 1955 : « La messe à l’envers ». Il protestait contre « l’usage qui se répand en France de plus en plus de dire la messe face au public », et dont la paroisse Saint-Séverin, à Paris, donnait l’exemple.

En outre, dans les nouvelles églises dont la revue L’Ars sacré diffusait les photos, on faisait en sorte de « revenir » à l’autel unique (ou presque : elles comportaient généralement, un maître-autel et un autel du Saint-Sacrement pour des messes de semaine), aménagement dont on pensait qu’il avait été de règle avant l’époque de la multiplication des messes privées. L’autel permettant la célébration face au peuple, sans gradin supportant les chandeliers et la croix, s’harmonisait aussi tout naturellement avec la concélébration. Ainsi furent conçues des églises emblématiques comme celle d’Aron en Mayenne (1955), du Plateau d’Assy (1946), de Lyon-Vaise (1955), etc.

Lors de grands rassemblements, comme celui de la JAC, en 1950, au Parc des Princes, réunissant 70.000 participants, on prit l’habitude de placer l’autel au centre de l’assemblée. De même, dans la basilique souterraine Saint-Pie-X à Lourdes, conçue par Pierre Pinsart, qui fut achevée et dédicacée en 1958, l’autel avait été édifié au milieu de la nef, ce qui instaurait nécessairement une célébration face au peuple pour une partie de l’assistance. En outre, la nouvelle basilique ne comportait que deux autels, l’autel central et un autel dans la chapelle du Saint-Sacrement.

Conjointement, on assistait à des tentatives dans le sens de la concélébration qui supposaient. un autel face au peuple, ou même au milieu du peuple. Ainsi, furent célébrées des messes synchronisées, par exemple au cours de pèlerinages ou de grandes réunions d’Action catholique : pèlerinage des prisonniers et déportés, à Lourdes, le 8 septembre 1946 ; pèlerinage de la ligue féminine d’action catholique, à Lourdes, en août 1952 ; pèlerinage étudiant à Chartres, à partir de 1945 ; rassemblements à l’occasion de la pérégrination de la statue de Notre-Dame de Boulogne à Colombes et à Rouen, en 1946. Dans ces messes synchronisées, un certain nombre de prêtres disaient individuellement la messe sur divers autels rassemblés in unum, ou en tout cas très proches, en « synchronisant » leurs gestes avec ceux du célébrant principal, en position centrale. Mais cette pratique fut interdite par l’instruction De Musica sacra du 3 septembre 1958.

Le face au peuple s’impose dès l’ouverture de la réforme liturgique

De la mort de Pie XII, en 1958, au début de la réforme liturgique, en 1964, les célébrations face au peuple devinrent extrêmement nombreuses. J’ai assisté, pour ma part, à une première messe célébrée face au peuple dans un bourg du diocèse d’Auch, en octobre 1958. En suite du décès du pape, un immense catafalque avait été dressé dans le sanctuaire, qui masquait l’autel majeur. Un autre autel provisoire avait alors été dressé à la hauteur de table de communion, où les célébrations, durant le deuil, furent versus populum.

Lors du couronnement de Paul VI, le 30 juin 1963, pour la première fois, la messe a été célébrée sur le parvis de Saint-Pierre (jusque-là, la messe était célébrée dans la basilique, suivie du couronnement proprement dit à la loggia). La configuration interne de la basilique avait été reproduite à l’extérieur, avec le trône sur le haut des marches d’entrée de la basilique et l’autel face au peuple plus bas.

Pour continuer à relater mon expérience propre, entré en 1964, c’est-à-dire un an avant la fin du Concile, au séminaire Pie XI attaché à l’Institut catholique de Toulouse, j’y ai connu en 1964, la messe face au peuple tous les jours de semaine, la messe solennelle dominicale, avec diacre et sous-diacre, se déroulant encore au maître-autel, le célébrant tourné vers l’abside. Puis, en 1965, l’autel fut placé au centre du chœur des séminaristes.

La réforme conciliaire n’aura de ce fait même pas à traiter du versus populum, la célébration face au peuple s’étant imposée au sein même du mouvement de transition vers la nouvelle liturgie.

L’instruction Inter œcumenici du 25 septembre 1964 porte en son n. 91 : « II est bien de construire l’autel majeur séparé du mur, pour qu’on puisse en faire facilement le tour et qu’on puisse y célébrer vers le peuple ». Ce que reprendra la Présentation générale du Missel romain :

« Il convient, partout où c’est possible, que l’autel soit érigé à une distance du mur qui permette d’en faire aisément le tour et d’y célébrer face au peuple » (n. 262 dans l’édition typique 1970 du nouveau missel, n. 299 dans l’édition typique de 2002).

L’engouement fut tel, que certains évêques tentèrent – bien inutilement – de le réfréner. Ainsi Mgr Garrone, un des artisans majeurs de Vatican II, mettait en garde ses prêtres dans La Semaine catholique de Toulouse du 28 février 1965 : Il apparaît clairement, d’après ces articles [les nn. 91 et 95 d’Inter œcumenici], que la célébration de la messe face au peuple n’est pas cependant requise. Il peut en effet se présenter des cas où la disposition matérielle du chœur et l’architecture la déconseillent expressément. » Et de citer Mgr Jenny, évêque auxiliaire de Cambrai et membre du Consilium pour l’application de la Constitution conciliaire sur la liturgie : « Le prêtre se tourne maintenant délibérément vers les fidèles au cours des lectures et des appels qu’il leur adresse : il n’est pas sans intérêt qu’il soit à l’occasion tourné comme eux vers le Seigneur que l’on adore et que l’on prie ».

De même, la Commission diocésaine d’art sacré du diocèse de Paris, dans un document du 20 juillet 1965 émettait cette remarque : « Si le prêtre doit pouvoir célébrer face au peuple, il n’est pas indispensable qu’il le fasse tous les jours. Quand il célèbre, en semaine, sans assemblée il peut légitimement souhaiter célébrer sans avoir sous les yeux une nef vide. Aussi convient-il de prévoir des deux côtés de l’autel un marchepied assez vaste pour qu’on puisse célébrer dans les deux positions. »

Certains ont même cru pouvoir défendre que les indications de la Présentation généralepouvaient s’interpréter comme considérant le versus populum comme une exception. Mais en fait, au total, on est ainsi arrivé à une situation règle/exception inversée par rapport à l’ancienne législation : alors que le ritus servandus ancien évoquait la messe face au peuple comme une possibilité, l’instruction Inter œcumenici du 25 septembre 1964 et la Présentation générale du Missel romain du 3 avril 1969 supposent comme une possibilité la célébration face au Seigneur.

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