Le général Qassem Soleimani, grande figure militaire en Iran, a été tué lors d’un raid américain à Bagdad, jeudi 3 janvier. Au micro de Boulevard Voltaire, Nicolas Dhuicq dénonce une politique américaine, qui, selon lui, « ne fait que renforcer la théocratie iranienne ». Mais n’est-ce pas le but recherché ?
Sur Twitter, Frédéric Pichon, spécialiste du monde arabe, analyse :
Téhéran n’a pas intérêt à riposter : l’élimination de Soleimani, c’est l’adieu américain au Moyen-Orient et à l’Irak en particulier, le meilleur moyen de dire que le job est fini et que le contribuable américain n’aura plus à payer pour ces guerres inutiles et lointaines. Et d’ailleurs, ce sont les Irakiens les premiers qui vont mettre dehors les Américains. Les Iraniens attendront un peu sans doute. La mort de Soleimani, en Irak comme en Iran, va avoir comme effet de marginaliser à tout jamais les modérés partisans d’un accord avec les Etats-Unis.
Antoine de Lacoste, sur Boulevard Voltaire, interroge :
Lorsque les milices irakiennes pro-Téhéran ont détruit des installations pétrolières saoudiennes, il n’a pas bronché. Lorsque les Iraniens ont abattu un drone américain à 100 millions de dollars, il a rappelé ses avions partis pour punir l’Iran.
Ces derniers jours, les milices chiites irakiennes avaient franchi un nouveau palier en frappant une base américaine, tuant un contractant. La riposte n’avait pas traîné et 25 miliciens pro-iraniens ont été tués par plusieurs frappes à la frontière syro-irakienne. Des manifestations d’ampleur ont alors eu lieu à Bagdad, menaçant dangereusement l’ambassade américaine, mais sans faire de victimes.
Depuis que l’Amérique est sortie de l’accord nucléaire avec l’Iran et que Trump a choisi une politique de « pression maximum » sur son ennemi numéro un, il a toujours pris soin de ne jamais franchir le Rubicon. Récemment, à l’initiative du Président Macron, il s’était même montré disposé à avoir un entretien téléphonique avec le président Rohani. La conversation n’eut finalement pas lieu, mais par la faute des Iraniens.
En donnant son feu vert à l’exécution du général Soleimani, Trump a, d’une certaine façon, brûlé ses vaisseaux. Soleimani était, officieusement, le numéro trois du régime iranien. Surtout, il était le stratège de la mise en place et de la préservation de l’axe chiite est-ouest : Irak, Syrie, Liban. Il avait deux ennemis : l’Amérique et les fondamentalistes sunnites. Ce dernier point l’avait d’ailleurs parfois rapproché des Américains, avec qui il avait travaillé pour renverser le régime des talibans en Afghanistan ou lutter contre Al-Qaïda en Irak, après l’invasion américaine.
Mais en sortant de l’accord nucléaire, auquel l’Iran tenait beaucoup, Trump a choisi de remettre l’Iran au cœur de « l’axe du mal ». Les deux pays s’étaient, certes, affrontés en Syrie, mais indirectement, car si les Iraniens avaient des milliers d’hommes aux côtés de l’armée syrienne, les Américains soutenaient l’insurrection islamiste sans présence officielle sur le terrain.
C’est d’ailleurs Soleimani qui avait rencontré Poutine à Moscou, cartes en main, pour le convaincre que sans intervention russe, al-Nosra et Daech finiraient par l’emporter.
Pour l’Iran, le coup est rude. Son stratège en chef a disparu, et il ne sera pas facile à remplacer. Une vengeance semble inéluctable. L’acte de guerre voulu par Trump (car c’en est un) en appellera d’autres en retour. L’Iran ne voudra pas perdre la face en ne réagissant pas, même si cela doit prendre du temps.
Trump a-t-il bien mesuré les conséquences de sa décision ? On ose l’espérer, mais alors, pourquoi avoir claironné à de très nombreuses reprises que les interventions lointaines et coûteuses devaient prendre fin ?
Selon Thomas Flichy de La Neuville, professeur d’histoire des civilisations orientales et chercheur associé à Oxford, interrogé sur LCI, la mort du général Soleimani renforcera la régime iranien :
Le Président Trump est soumis depuis plusieurs mois à la pression de groupes d’intérêts l’appelant à une frappe aérienne sur le sol iranien. Or le président américain – conscient des désastres générés par l’interventionnisme militaire à outrance – souhaite à l’inverse retirer les États-Unis des affaires du monde. C’est la raison pour laquelle il a demandé à ce que ses forces spéciales quittent la Syrie et a obtenu que l’essentiel des troupes américaines se retirent d’Irak. Le commandement militaire américain a résisté autant que possible aux ordres de la maison blanche en retardant la décapitation finale de Daech. Mais les pressions constantes auquel est soumis Donald Trump, l’ont amené à faire quelques concessions d’ordre symbolique. Celles-ci concernent essentiellement la question iranienne. En lieu et place d’une intervention armée en Iran, qui aurait mécaniquement débouché sur un nouvel échec militaire, Donald Trump s’en est tenu à l’assassinat ciblé du général iranien le plus emblématique. Surnommé le fantôme, Soleimani apparaissait régulièrement sur les divers théâtres moyen-orientaux où l’Iran était présent. Cette frappe a été calculée de façon à saisir l’opinion mondiale de stupeur, juste après le nouvel an, c’est à dire à un moment où la couverture médiatique des éléments internationaux est faible.
Quel est l’effet de cette frappe en Iran ?
Depuis le 15 novembre dernier, l’Iran est en proie à des troubles épisodiques. Ces derniers ont été déclenchés par la décision du président iranien de réduire les ruineuses subventions qui assurent un prix dérisoire à l’essence et au gaz alors même que les exportations iraniennes se sont effondrées. Les catégories populaires, qui ne peuvent plus acheter de viande ou de médicaments ont été les premières à manifester. Le régime a étroitement contrôlé le débit internet afin d’éviter tout débordement. Quant aux principaux opérateurs iraniens de téléphonie mobile : MCI, Rightel, et IranCell, ils ont suspendu leurs services. L’assassinat du général Soleimani se présente comme une occasion inespérée pour le régime de rassembler la population autour d’un nouveau martyr. C’est en effet le culte des martyrs qui fédère les fidèles chiites. Quant au général, éliminé, non à la faveur d’un combat honorable et régulier mais d’une frappe télécommandée, il a été immédiatement assimilé aux javanmardi, ces preux dont les prouesses parsèment la littérature persane, et qui sont prêts à offrir leur vie afin de protéger les déshérités. Ce renforcement du régime iranien actuel satisfait en fin de compte les opposants géopolitiques de l’Iran, qui n’ont guère à craindre d’un État confiné d’un point de vue financier, discrédité sur le plan médiatique, et maintenu au seuil du nucléaire par des menaces quotidiennes.
Quelles sont les suites à attendre de cet événement ?
Conformément à ses habitudes diplomatiques, l’Iran va tout faire pour éviter de tomber dans le piège de l’escalade militaire. Il réagira sans doute en temps et en heure par une frappe symétrique comme ce fut le cas lorsque ses savants nucléaires furent assassinés. En réalité, la diplomatie iranienne est bien consciente que l’acte de bravade du jour masque une défaite de l’intelligence politique américaine. En effet, jamais l’Iran n’aurait réussi à s’implanter dans le sud de l’Irak, si l’État irakien n’avait été préalablement détruit par l’inconséquence américaine.
Samedi 4 janvier, l’Iran a répliqué par des attaques symboliques. Une roquette de type Katioucha est tombée samedi près de l’ambassade américaine à Bagdad. Elle n’a fait aucun blessé. Deux roquettes du même modèle sont tombées le même jour sur une base aérienne abritant des forces américaines stationnées à 80 kilomètres au nord de Bagdad.