Analyse de Bruno de Sequins Pazzis :
Earl Stone, vétéran de la Guerre de Corée et ancien horticulteur, est aujourd’hui âgé de 90 ans. Endetté jusqu’au cou et sans perspective réelle d’emploi, il accepte un « job » particulièrement facile et lucratif : celui de chauffeur. On lui demande seulement de faire du transport de drogue avec l’aide de son pickup, pour le compte d’un cartel de la drogue mexicain : un « go fast » apaisé, pense-t-il. Mais alors que ses factures passent au rayon des mauvais souvenirs, le poids de son passé refait surface : aider la famille, et les amis… Et il va falloir faire vite, car Colin Bates, agent de la DEA (Drug Enforcement Administration), se met à traquer ce passeur efficace.
Avec : Clint Eastwood (Earl Stone), Bradley Cooper (Colin Bates, agent de la DEA), Laurence Fishburne (agent spécial de la DEA), Michael Peña (agent Trevino), Dianne Wiest (Mary, ex-femme d’Earl Stone), Andy García (Laton), Clifton Collins Jr. (Jim), Alison Eastwood (Iris, fille d’Earl Stone), Jill Flint (Pam), Ignacio Serricchio (Julio, membre du cartel qui supervise Earl Stone), Taissa Farmiga (Ginny, petite-fille d’Earl Stone), Noel Gugliemi (Bald Rob), Manny Montana (Axl), Robert LaSardo (Emilio), Katie Gill (Sarah), Loren Dean (agent Brown), bVictor Rasuk (Rico), Eugene Cordero (Luis Rocha), Joe Knezevich (Dave). Scénario : Nick Schenk, basé sur un article de Sam Dolnick dans The New York Times Magazine intitulé « The Sinaloa Cartel’s 90-Year-Old Drug Mule ». Directeur de la photographie : Yves Belanger. Musique : Arturo Sandoval.
Confession…Si on excepte le très brillant American Sniper (2014), il faut bien admettre que Clint Eastwood n’avait pas atteint son meilleur niveau depuis Gran Torino ((2009). Voici que sur un scénario de Nick Schenk, déjà auteur du scénario de Gran Torino, Clint Eastwood nous livre un de ses dix meilleurs films et l’un de ses plus personnels comme Gran Torino. Mais pourquoi le comédien et réalisateur apparaît-il à nouveau à l’écran alors qu’il avait disparu depuis Gran Torino, film testament dans lequel le héros, Walt Kowalski, s’offrait en sacrifice en réparation de sa faute ? Clint Eastwood aurait-il oublier de dire quelque chose ? Aurait-il pris conscience que le sacrifice rédempteur de Walt Kowalski, le héros de Gran Torino, n’était pas suffisant ? En effet, dans La Mule, tout porte à croire que le cinéaste détourne l’histoire vraie de Leo Sharp pour livrer au spectateur un ultime message.
Avec beaucoup d’humour donc, Clint Eastwood adapte l’histoire étonnante de Leo Sharp (1924-2016), surnommé El Tata. Cet ancien militaire devenu horticulteur, à la suite d’ennui financier, devient passeur de drogue pour le cartel de Sinaloa avant d’être arrêté par la DEA (Drug Enforcement Administration). Derrière ce récit vaguement policier qui permet de retenir l’attention du spectateur, Clint Eastwood jette un regard plein d’humour sur l’Amérique contemporaine (se moquant même de lui dans certaines séquences comme celle de la soirée au Mexique chez le chef du Cartel magnifiquement interprété par Andy Garcia) et introduit dans son récit une introspection en chargeant son héros, Earl Stone, d’une grave négligence dans ses devoirs familiaux. Au moyen d’une narration limpide, d’une mise en scène souvent elliptique et d’une mise en images lumineuse du directeur de la photographie Yves Belanger (Laurence Anyways de Xavier Dolan en 2012), le récit prend alors l’allure d’une confession, en tous les cas d’un exercice cathartique dans lequel les propres fêlures de Clint Eastwood apparaîtraient comme si le sacrifice rédempteur de Walt Kowalski dans Gran Torino n’avait pas été suffisant et qu’il fallait encore avouer haut et fort cette culpabilité (« Coupable » finit par dire Earl Stone au tribunal à la grande surprise de son avocat, se privant ainsi de toute possibilité d’acquittement) et supporter une peine de purgatoire, ici symbolisée par la prison…
Dans les dernières quarante minutes du film, le cinéaste, sans tomber dans le mélodrame, distille des propos magnifiques sur l’importance de la famille qui prime sur tout et même sur la réussite personnelle et professionnelle (ne se privant pas au passage de donner des conseils aux truands comme aux policiers…), sur l’amour conjugal et filial que son personnage a négligé toute sa vie durant, sur le temps qui passe et la vieillesse. Cela est d’autant plus poignant qu’il le fait en présence de sa fille Alison qui joue la fille d’Earl Stone (alias Leo Sharp) dans le film. Omniprésent à l’écran, Clint Eastwood utilise à l’évidence le personnage d’Earl Stone pour porter un regard sur sa propre vie, imprimant une allure métaphorique à tout son film, se questionnant sur le temps et sur ses fautes, avant, dans un magnifique dernier plan général du jardin de la prison, de traverser l’écran du coin supérieur à droite au coin inférieur à gauche et de disparaître hors-champ. Gageons cette fois-ci, que Clint Eastwood ne réapparaîtra plus à l’écran, mais souhaitons qu’il nous livre encore quelques films. Apparemment désinvolte, en réalité profondément simple et poignant : 5/5.