Le Figaro Histoire consacre son nouveau numéro à la conquête musulmane du VIIe et VIIIe siècle et à l'âge d'or du Califat. Voici l'éditorial de Michel De Jaeghere :
"Nous étions en guerre, et nous ne voulions pas le voir. Nous n'avons pas reconnu cette guerre parce qu'elle ne se présentait pas sous les mêmes couleurs qu'autrefois. La violence ne s'y manifestait que par spasmes. Elle semblait vouée à épargner notre vie quotidienne, notre territoire. Pas ici, pas pour moi. La télévision, les réseaux sociaux, Internet nous mettaient en contact avec des réalités d'un autre âge: un Etat islamique, des jihadistes, un califat. Des chrétiens expulsés de leurs terres ancestrales. Des otages égorgés par des hommes vêtus de noir. Des villages dévastés, des fillettes enlevées de leurs écoles pour être réduites en esclavage. Nous en regardions en boucle les images avec le sentiment de voyager dans le temps.
Nous pensions sans le dire que l'avancement de nos technologies, la sophistication de notre confort, la bienveillance de nos institutions, le caractère policé de nos mœurs nous mettaient à l'abri de telles tempêtes. La semaine sanglante ouverte par les assassinats du 7 janvier est venue nous rappeler qu'ils nous en abritaient aussi sûrement que ne l'avait fait la ligne Maginot face aux troupes du Reich. Qu'il suffisait à un petit nombre d'utiliser nos failles. Près de 1200 jihadistes sont aujourd'hui disséminés sur notre sol. Il est peu probable qu'ils en resteront là. Nous savons désormais que l'histoire n'a pas cessé d'être tragique parce que nous avions cessé de nous en apercevoir.
Les événements ont suscité, à travers le pays, une immense mobilisation. Reste à savoir pour quoi.
A sortir d'un unanimisme qui nous a d'abord conduits à nous abstenir de désigner clairement l'adversaire auquel on se proclamait décidé à faire face; à le réduire à une identité abstraite, née de rien, venue de nulle part: un mal sans explication, sans visage.
A dissiper le malentendu qui, devant la folie meurtrière, nous a fait considérer le droit à la dérision, à l'injure, le mépris de toutes les croyances et de toutes les fois, l'obscénité, le blasphème comme le cœur même de l'identité française et de la civilisation occidentale.
A dépasser la satisfaction quelque peu narcissique qui nous a amenés à nous rassurer devant la seule image qu'un peuple descendu dans la rue pour dire son refus de la violence et du terrorisme, son amour de la liberté, de la patrie, peut-être, nous donnait de nous-mêmes: comme si la volonté de vivre en paix avait la vertu de contaminer l'adversaire, de lui imposer, par mimétisme, l'abandon de la violence, de lui faire déposer les armes; comme si nous pensions vaincre par le seul affichage de notre désarroi.
Cela suppose que l'on s'efforce de comprendre les ressorts de la tragédie dont le monde musulman est aujourd'hui le théâtre, l'islamisme radical, l'acteur principal.
Le Figaro Histoire voudrait y contribuer ici en étudiant sans parti pris ce que furent les commencements de l'islam. Quelle place tint le jihad dans la fulgurante cavalcade qui permit aux cavaliers arabes de terrasser l'Empire perse, vaincre les Byzantins, dominer la Méditerranée, et s'imposer jusqu'en Espagne. Comment cette expansion se traduisit pour les populations annexées au fil de la conquête. Comment se développa aussi, par le remploi et la synthèse des cultures asservies, une civilisation originale.
L'histoire n'a rien, bien sûr, d'une science expérimentale. Les événements qu'elle rapporte ne se reproduisent pas à l'identique, comme dans le huis clos d'un laboratoire. Il n'en reste pas moins qu'elle constitue l'expérience des peuples. Qu'il serait imprudent d'en ignorer les leçons. […]"