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France : Société

La nécessaire reconquête sémantique

Article proposé par un marin :

"Dans son roman le montage Vladimir Volkoff montre comment vaincre militairement et idéologiquement son ennemi en utilisant des armes non létales : les armes sémantiques. Elles sont un levier d’action puissant à manier avec précaution. Un long processus de renoncement fait qu’aujourd’hui elles sont employées contre la Marine Nationale.

Pour créer une arme sémantique, plusieurs conditions sont nécessaires. Tout d’abord, le ou les mots qui la composent doivent être maîtrisés. Leurs sens étudiés en amont, leurs définitions forgées patiemment. Ils ne doivent s’appliquer qu’aux domaines limités auxquels il sont destinés. Pouvoir être synonyme des mots qu’ils remplacent, sans que ceux-ci ne le puissent. Leur emploi doit être calculé. Leur contradiction impossible. Leur expression devra être naturelle. La première personne à les professer sera choisie avec soin. Leur formulation aisée sera répétée jusqu’à devenir universelle. Si toutes ces conditions sont réunies, ces mot deviendront des armes sémantiques. Des Mots.

Alexandre Psar –héros du montage- devait censurer un Mot, tant que l’URSS n’en aurait pas acquis la maîtrise. Une fois correctement révélé, le seul usage de ce mot permettait à l’Union de jeter le discrédit sur tout adversaire et d’orienter la discussion dans un domaine idéologiquement maîtrisé. Il garantissait la victoire politique dans un débat.

Dans 1984 de Georges Orwell, la dernière édition du dictionnaire doit terminer de faire de la novlangue la langue des Mots. Grâce à ce dictionnaire, les idées contraires à l’ordre établi ne peuvent plus être exprimées. Il ne peut y avoir de révolte si les révoltés n’ont pas de Mots pour s’exprimer.

La crise de l’immigration en mer méditerranée a aussi eu droit à son Mot. Le clandestin, l’émigrant et l’immigrant, ainsi que le réfugié sont devenus des migrants. Migrant a acquis une définition proche de celle du réfugié. Sa migration a tout à la fois une origine naturelle, économique, écologique, sociale et sanitaire. Le migrant fuit. Il ne peut donc pas venir pour combattre. S’il migre, c’est qu’il le devait. Le bloquer, c’est mener une action contre nature.

Un Mot mal préparé n’est qu’un mot. La transformation du parti UMP en  « les républicains » en est un exemple. Ce nom devait être un Mot. Une arme permettant d’affirmer et de s’approprier un corpus idéologique tout en prévenant d’éventuelles attaques. Mais il fut communiqué trop tôt, trop vite. Et sa diffusion fut déléguée à l’ensemble des médias, et non pas à un organe de presse unique et maîtrisé.

Des recours purent donc être tentés contre lui. Une contre-attaque priva Nicolas Sarkozy de la maîtrise de la formulation de son Mot. Le « parlementaire républicains », tout comme le « parti Républicain » n’eurent pas d’existences médiatiques. « LR » et « le Parti Les Républicains » sont les mots qui les remplacèrent. « LR » donna un poids égal à l’article et au Mot sans les utiliser. La deuxième expression enferma le sens du Mot dans un carcan taillé pour le tuer. Ce qui devait affranchir un parti de son passé fut l’arme qui permit de le détruire.

Bien forgé, mal diffusé, ce Mot a été repris par Emmanuel Macron. Son mouvement En Marche, est devenu « La République En Marche ». A la fin de son mandat, ce sera probablement le Parti Républicain.

Les Mots sont des armes de persuasion massive. Ils n’ont pas vocation à convaincre un contradicteur, mais à le réduire au silence. Ils doivent répandre subrepticement l’idéologie de celui qui les a forgés, et se faire accepter comme des évidences. Leur premier emploi doit être volontaire et étudié. La maîtrise de leur diffusion est indispensable.

La Marine Nationale française a forgé des Mots qui ne la servent pas. Elle a un « format juste suffisant ». Elle « remplit 130% de son contrat opérationnel ». Elle est aujourd’hui capable de « faire mieux avec moins ». « L’objectif Marine 2025 » lui permettra d’avoir un ensemble de moyen cohérent et à même de relever de nouveaux défis. Elle « optimise ses équipages ». Et toute voix dissonante est bloquée par le « devoir de réserve ».

Les FREMM françaises sont immatriculées DXXX (Destroyer). Elles sont pourtant très semblables aux FREMM Italiennes, immatriculées FXXX (Frigates, ou Avisos en français). Les Frégates F70 ont été la réalisation du programme Corvettes 70. Les « Frégates type La Fayette » sont connues comme « Frégates Légères Furtives », et ont des limites d’armement inhérentes à leurs tonnages. Les FTI, où « Frégates de Taille Intermédiaires », sont un autre de ces renoncements, une Frégate pouvant n’être, par définition, que de fort tonnage.

La Marine annonce encore qu’elle aura ses 15 frégates de premier rang en 2025 et pourra remplir toutes ses missions. Elle n’alignera pourtant que 6 FREMM, 2 FREDA, 2 FDA, 3 FTI et 2 FLF rénovées. Sur ces 15 frégates, seules les 2 FDA peuvent être considérées comme de vraies frégates. Et il lui faudra de plus encore remplacer ses Frégates de Surveillance.

Alors que les coupes budgétaires et les reniements politiques lui interdisent la tenue de ses objectifs, la Marine continue à affirmer en public que ses difficultés temporaires ne font que préparer un avenir meilleur. Elle espère ainsi engager le politique sur son avenir, refuse de commenter son présent en gage de loyauté envers l’Etat, et s’interdit toute forme de pessimisme public. Mais son renoncement sémantique est le poignard qui la saigne. Il acte sa défaite sur les plans idéologique et politique. Et prépare ses perte capacitaires.

L’Armée Française est connue pour être la « Grande Muette ». Ses plus grandes hontes furent causées par l’abandon des politiques, la faiblesse de ses moyens et le silence de ses chefs. Ses plus grandes gloires par le panache de grands soldats défiant l’ordre établi, et portant le destin de la France à bout de bras.

La Marine doit retrouver une expression publique forte et indépendante. Imposer ses problématiques dans l’inconscient français. Marteler la définition d’une frégate. Faire voir l’ineptie que représentent pour elle les FTI.  Rappeler l’étendue du territoire maritime français et l’insondable écart entre ses missions et ses moyens. Recentrer, grâce à l’Outre-Mer, la France au milieu du planisphère. Mettre en lumière et en public son besoin de renouvellement. La France est pour l’Europe la porte des Océans. La Marine le véhicule de ses ambitions. Elle doit être le reflet de sa puissance.

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