L’abbé Pierre Téqui est prêtre du diocèse de Perpignan, dans les Pyrénées-Orientales, vicaire de campagne et accompagnateur spirituel dans les retraites Agape au Puy-en-Velay. Il est l'auteur de la méditation de cette semaine pour La Neuvaine.
Je vous appelle mes amis !
Pour Aristote, la vie en société requiert deux vertus : la justice, et l’amitié politique.
L’amitié politique, c’est la capacité d’établir des relations de bienveillance et de solidarité avec des personnes dont je ne partage ni le même bulletin de vote, ni le même bulletin de paye. Qu’en est-il de cette amitié politique dans la France d’aujourd’hui, assaillie de toute part par les démons de l’individualisme, du communautarisme, et du sectarisme idéologique ?
La minorité agissante des catholiques de France n’a-t-elle pas une responsabilité particulière dans la construction de cette amitié politique si nécessaire au relèvement de notre pays ? Car ils sont bien répartis dans toutes les couches et appartenances sociales, ceux et celles à qui le Christ a donné ce commandement nouveau : « aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés ! ». Là où se trouvent des chrétiens, il devrait donc se trouver de la charité, et donc de la cohésion sociale, n’est-ce pas ? Mais qu’en est-il vraiment en ce qui me concerne ?
Car des français qui aiment d’autres français, parce qu’ils les trouvent aimables, ce n’est pas très étonnant… « Les publicains eux-mêmes, n’en font-ils pas autant ? » Mais des catholiques qui choisissent la bienveillance et l’amour, simplement pour aimer, et non pas à cause d’un intérêt particulier, c’est déjà un peu plus rare, n’est-il pas ?
Il n’y a qu’à regarder dans notre Eglise de France, quelle est la qualité des relations entre fidèles, prêtres, évêques, et communautés, de charismes et sensibilités diverses, alors même « qu’à plusieurs, nous ne formons qu’un seul corps dans le Christ ».
« Ne vous surestimez pas ! » dit saint Paul à tous ceux qui se croient plus catholiques que les autres, regardant leurs frères avec mépris parce qu’ils n’ont pas la même histoire, ne sont pas attachés à la même liturgie, ou n’ont pas reçu les mêmes appels. On est loin aujourd’hui de « la multitude des croyants [qui] n’avaient qu’un seul cœur et qu’une seule âme », si bien que « le peuple célébrait leurs louanges ! » Pourra-t-on retrouver un jour une grande cohésion nationale sans que les catholiques français n’apprennent d’abord à retrouver le sens de l’Eglise, de son unité dans la communion et de sa légitime diversité ? Prier pour la France doit donc nous conduire tôt ou tard à « ressentir douloureusement l’infidélité de notre désunion » !
A toi, mon frère, qui t’imagine que pour être un vrai, ou un pur, il faudrait faire partie de ton petit milieu, ou de ta communauté ; à toi qui invite le pasteur pour prêcher dans ta paroisse, et qui détestes ton frère parce qu’il fréquente la petite chapelle d’à côté ; à toi qui a transformé en dogmes les convenances de ta sensibilité, j’aimerais te rappeler la parole du Christ : « tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses, alors qu’une seule est nécessaire ! ». Ce qui nous sépare n’est-il pas trop souvent dérisoire, à côté du trésor de la foi au Christ, notre commun héritage, que par notre faute les autres ne connaissent pas encore ?
Jeanne enfant, le soir à la veillée, entend parler de la grande pitié au royaume de France. « Elle souffre de voir la chrétienté déchirée, elle pleure au récit de la passion de la France qui la torture… Il y avait longtemps que la France demandait le salut, et le salut ne venait pas. Dieu attendait que fut pleine la coupe de prière et de larmes que tout un peuple coupable doit offrir pour sa rédemption. Or un jour il y tomba une larme d’enfant, une goutte de sang de son cœur qui combla la mesure. Et l’enfant qui avait pleuré et prié pour la France fut choisie pour la délivrer ! »
Et s’il manquait encore seulement une personne pour pleurer sur la France, plutôt que sur son propre sort ? Et si cette personne, c’était toi ?