Selon l’analyse de la revue Conflits :
Mardi 14 mai, l’Assemblée nationale adoptait un texte de loi pour réduire l’exclusion du droit de vote en Nouvelle-Calédonie. Aussitôt, les Kanaks indépendantistes ont déclenché des émeutes qui ont déjà causé la mort de deux gendarmes et l’instauration de l’état d’urgence. Dans la fumée des incendies, on pouvait alors voir des Kanaks vêtus de tee-shirts avec le drapeau de la Nouvelle-Calédonie et de l’Azerbaïdjan. Et la main turque n’est pas loin. Le 24 février dernier, des représentants du peuple autochtone se sont rendus à une conférence internationale sur la décolonisation à Istanbul. Voyage payé semble-t-il par Bakou. En bref, la Nouvelle-Calédonie est le terrain de jeu du bloc turc qui fait payer à la France son soutien pour les « séparatistes » du Karabagh, tout en concrétisant une pensée violemment anti-colonialiste et anti-occidentale.
La revue analyse :
Si l’Azerbaïdjan entretient les indépendantistes kanaks en réponse au soutien français à Erevan, la Turquie les soutient pour des raisons plus idéologiques. Elles ne peuvent se comprendre sans avoir connaissance de l’actuel chef du renseignement turc, Ibrahim Kalin, universitaire et islamiste très proche d’Erdogan. Ses ouvrages lus par de nombreux Turcs et diffusés jusqu’en Chine promeuvent la fin d’un monde occidento-centré, et par là un ordre nouveau.
Son livre le plus important est Moi, l’autre et ailleurs (2016). Son postulat est que s’il y a un « je », il existe aussi « l’autre ». Et l’Occident aurait beaucoup de mal avec « l’autre ». La désignation de l’Orient, comme le lieu « où le soleil se lève », est révélatrice de ce centralisme européen. Mais Kalin reproche surtout à l’Occident chrétien son universalisme exclusif, au sens où l’autre doit lui ressembler. Il aurait donc naturellement accouché de la colonisation. Selon lui, l’islam serait aussi universaliste, mais d’un universalisme inclusif car il respecte les cultures locales.
Lorsque l’Occident est passé du regnum dei au regnum hominis, les progrès techniques se sont multipliés et ont ouvert les portes des océans. L’opposition monde chrétien / monde musulman s’est alors effacée pour devenir l’opposition monde chrétien / monde chinois, africain, arabe, etc. L’Occident s’est alors vu en moteur de l’histoire et s’est auto-chargée d’une mission de civilisation auprès des « primitifs ». C’est ce que porte aux nues Rudyard Kipling (1865-1936) dans Le Fardeau de l’homme blanc. Kalin présente ce poème comme la quintessence de l’occident moderne
Ibrahim Kalin reproche surtout à l’Occident moderne d’avoir rendu les peuples étrangers à leur histoire. Pour lui, « Anglais, Français, Italiens n’occupent pas seulement les terres d’Islam, ils produisent des élites idéologiques et politiques coupées de la tradition classique de l’islam ». Mais, Kalin s’oppose à la « paresse victimaire ». Il appelle ainsi à un retour des traditions et à la refonte d’un ordre mondial qui reposerait sur les différences.
Les idées de Kalin se diffusent en Chine, en Russie, en Inde, partout où les peuples progressent et refusent d’échanger la décrépitude de l’occident contre leurs traditions. Elles ne sont d’ailleurs pas contradictoires avec les idées réalistes des Européens qui, déjà sous Charlemagne ou François Ier, ont su s’entendre très pragmatiquement avec les Arabes et les Ottomans.