Paix Liturgique évoque dans une de ses lettres la figure de Paolo Pasqualucci, philosophe du droit et des idées politiques. Il a été Professeur de la faculté de droit de l’Université de Pérouse. Il a enseigné aussi dans les universités de Rome, de Naples, de Teramo, sur l’histoire des doctrines politiques. Il a écrit des livres marquants en trois domaines :
- En philosophie du droit : Rousseau e Kant (deux volumes, Guiffré, 1974 et 1976), Commento al Levienthan. La filosofia del diritto e dello Stato di Thomas Hobbes (Margiacchi, 1994). Commentaire du Léviathan. La philosophie du droit et de l’État de Thomas Hobbes ;
- En métaphysique : Introduzione alla metafisica dell’uno [ntroduction à la métaphysique de l’un](Antonio Pellicani, 1996), I Metafisica del Soggetto. Cinque tesi preliminari (Métaphysique du sujet. Cinq thèses préliminaires.. ] (Fondazione G. Capograssi, Rome 2010 et 2013) ;
- En théologie et philosophie de la religion, en se concentrant sur l’analyse critique du concile Vatican II, du point de vue de la tradition de l’Église, avec plusieurs livres : Giovanni XXIII e il Concilio Ecumenico Vaticano II (Ichthys, 2008), Jean XXIII et le concile oecuménique Vatican II, L’ambigua cristologia della redenzione universale. Analisi di Gaudium et Spes (Ichthys, 2009), La christologie ambiguë de la rédemption universelle. Analyse de Gaudium et spes, Il Concilio parallelo. L’inizio anomalo del Vaticano II [Le Concile parallèle. Le commencement irrégulier de Vatican II ](Fede e Cultura, 2014) ;
Ce fin connaisseur de la situation actuelle de l’Eglise évoque le lien entre le Concile Vatican II (1962-1965) et les « réformes » que l’Eglise mène dans la constitution de l’Église (avec la synodalité), dans la doctrine (avec la Déclaration œcuménique d’Abou Dhabi), dans la morale chrétienne (avec des concessions sans précédent – liturgiques et autres – aux couples irréguliers de tous types) et pour justifier sa lutte constante contre l’ancien rite de la messe. Le motu proprio Traditionis custodes du 16 juillet 2021 invoque « les décrets du Concile » :
« Les livres liturgiques promulgués par les saints papes Paul VI et Jean Paul II, conformément aux décrets du Concile Vatican II, sont la seule expression de la lex orandi du rite romain » (TC art. 1).
Comme il l’expliquait dans un entretien publié le 24 février 2022 dans l’hebdomadaire catholique anglais The Tablet, le Cardinal Roche, Préfet du Dicastère du Culte divin, disait que le motu proprio Traditionis custodes avait pour but de mettre en œuvre la constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium sur la liturgie.
En tant que baptisés, les membres du « peuple de Dieu » (c’est-à-dire les fidèles en tant que membres du Corps mystique du Christ) sont également prêtres, mais dans un sens tout à fait spirituel, comme le précise Pie XII dans l’encyclique Mediator Dei du 20 novembre. 1947, consacrée à la liturgie. En revanche, le Concile les exalte comme un « peuple de Dieu » doté de pouvoirs sacerdotaux effectifs, modifiant le sens de la célèbre louange de saint Pierre aux chrétiens devenus « peuple de Dieu » et « sacerdoce royal », à la place des Juifs qui nient le Messie et sont donc indignes de leurs titres d’honneur (1 P 2, 5 ; 9-10). De cette glorification symbolique, le cardinal Roche tirait la conséquence indue que les baptisés, en tant que « prêtres », participaient à la célébration eucharistique simpliciter, « concélébrant » avec l’officiant, et non plus dans une position subordonnée, « en désir », in voto, seulement et diversa ratione, sous une qualité différente, comme Pie XII l’avait précisé dans Mediator Dei.
Cette novation, d’une portée doctrinale énorme et subversive, a été introduite par Vatican II, selon les plus hautes autorités ecclésiastiques. Mais où le Concile dit-il que « tous les baptisés célèbrent avec lui », avec l’officiant ? Il le dit dans les articles 10 et 11 de Lumen gentium et d’une manière plus claire encore dans l’art. 48 de Sacrosanctum Concilium, la constitution sur la liturgie, citant avec une modification significative le passage de Mediator Dei. SC 48 dit ainsi :
« …offrant la victime sans tache, non seulement entre les mains du prêtre, mais qu’avec lui, ils apprennent à s’offrir, etc. [sed etiam una cum ipso offerentes] ».
Mediator Dei disait en fait :
« …ils offrent le sacrifice non seulement par les mains du prêtre mais, d’une certaine manière, aussi avec lui [sed etiam una cum quodammodo Sacrificium offerunt] etc. »
Le passage semble identique mais en supprimant l’adverbe « d’une certaine manière », il change de sens. En effet, selon la doctrine habituelle, l’offrande eucharistique des fidèles peut avoir lieu una cum, « ensemble » avec celle du prêtre mais seulement « d’une certaine manière » ensemble, car eux, n’étant pas prêtres et n’ayant donc pas le pouvoir de consacrer les saintes espèces, ils n’offrent que « en désir », in voto, spirituellement et symboliquement – ils offrent leurs vœux d’expiation, d’impétration, d’action de grâce, de louange. L’adverbe « d’une certaine manière » (quodammodo) a d’ailleurs été expliqué plus loin dans Mediator Dei, qui illustre précisément dans quel sens précis l’offrande des fidèles ne doit être comprise que comme « sous forme de vœu ». Au lieu de cela, le Concile a abandonné, outre l’adverbe, toutes les explications très claires de Pie XII sur le caractère purement spirituel et non sacramentel de l’offrande eucharistique des fidèles.
La variation doctrinale avait déjà pénétré le magistère officiel de l’Église avant la fin du Concile. Quelques mois avant sa fermeture, Paul VI, confronté à un désordre liturgique général croissant et aux interprétations hérétiques du sens de la transsubstantiation qui commençaient à circuler (le célèbre théologien belge Edward Schillebeecks, adepte de la phénoménologie, ne tarit pas d’éloges sur la « transsignification », réduisant le changement à un changement de sens), il dut promulguer l’encyclique Mysterium fidei, du 3 septembre 1965, consacrée à la doctrine et au culte de la Sainte Eucharistie. Dans l’incipit de celle-ci, il écrit :
« En effet, les Pères du Concile [Vatican II], s’occupant de la restauration de la Sainte Liturgie [de instauranda Sacra Liturgia agentes], dans leur souci de l’Église universelle, n’avaient rien de plus à cœur que d’exhorter les fidèles à participer activement, avec une foi totale et une piété suprême, à la célébration de ce Sacro-saint Mystère, en l’offrant avec le prêtre [una cum sacerdote offerrent] en sacrifice à Dieu pour leur propre salut et que du monde entier et s’en nourrir comme nourriture spirituelle » (Paul VI, Mysterium fidei, Vatican.va, p. 1/23).
Grâce au Concile, ce qui était pour Mediator Dei de Pie XII une « erreur spécieuse », était devenue de manière incroyable une doctrine officielle de l’Église : une fausse doctrine réitérée aujourd’hui par le cardinal Roche, qui prétend penser et agir à l’unisson avec le pape François.