Le n° 33 de La Petite Feuille Verte d'Annie Laurent analyse la pratique de la taqiya (dissimulation) que l’on appelle aussi ketman (secret ou restriction mentale) dans l'islam. Ces agissements se sont manifestés en diverses circonstances historiques et retrouvent une certaine actualité de nos jours. En voici les sources coraniques :
"Le Coran contient deux passages sur lesquels s’appuient les théoriciens de la taqiya. Ils correspondent à deux types de situations particulières.
1°/ « Celui qui renie Dieu après avoir eu foi en Lui – excepté celui qui a subi la contrainte et dont le cœur reste paisible en sa foi -, ceux dont la poitrine s’est ouverte à l’impiété, sur ceux-là tomberont le courroux de Dieu et un tourment terrible » (16, 106).
Dans ce verset, pour notre sujet, c’est l’incise qui compte (souligné). La taqiya est donc autorisée en cas de contrainte extérieure, quelle qu’en soit la forme : persécution, menace sur la vie, absence de liberté religieuse (de conscience et de culte), etc.
2°/ « Que les croyants ne prennent pas pour alliés des infidèles au lieu de croyants. Quiconque le fait contredit la religion d’Allah, à moins que vous ne cherchiez à vous protéger d’eux. Allah vous met en garde à l’égard de Lui-même. Et c’est à Allah le retour. Dis : Que vous cachiez ce qui est dans vos poitrines ou bien que vous le divulguiez, Allah le sait. Il connaît tout ce qui est dans les cieux et sur la terre. Allah est omnipotent » (3, 28-29).
Deux membres de phrases sont importantes (soulignés). Comme ailleurs dans le Coran, Dieu recommande ici aux musulmans (eux seuls sont qualifiés de « croyants ») de ne pas entretenir de relations d’amitié ou de sujétion avec les non-musulmans (cf. 3, 118 ; 5, 51 ; 9, 23 ; 60, 13), mais il autorise des dérogations au principe lorsque le fait de s’opposer à ces derniers les met en danger. La sécurité ou le besoin de se faire accepter priment alors sur l’affirmation de la religion. En fait, dans ces situations, ce qui compte c’est l’intention du musulman ou la réalité intime de sa croyance. Peu importe alors la profession de foi publique puisque Dieu connaît les dispositions des cœurs et les pensées.
Telles sont les sources qui fondent la doctrine de la dissimulation, en matière de religion et de tout ce qui peut lui être connexe. La validité du recours à la taqiya a été confirmée et précisée par les oulémas (docteurs de la Loi) dès les débuts de l’islam, notamment par Tabarî (m. 923).
Il en résulte qu’un musulman peut abjurer extérieurement ses croyances, professer publiquement une autre religion, accepter d’être réputé non-musulman ou renoncer aux exigences cultuelles et législatives conformes à l’islam, tout cela s’il se trouve dans des conditions qu’il estime être de contrainte justifiant une telle attitude. Si l’on veut comparer avec la position chrétienne sur ce sujet, il convient de se référer à une parole de Jésus-Christ dans l’Evangile : « Qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Evangile la sauvera » (Mc 8, 35). […]"
L'analyse se poursuit avec les applications historiques et contemporaines de la taqiya puis se conclut avec deux exemples : Tareq Oubrou et Tarik Ramadan :
"Imam de la grande mosquée de Bordeaux, ancien militant de l’Union des Organisations islamiques de France (UOIF, d’obédience Frères musulmans), Tareq Oubrou préconise pour les musulmans d’Europe l’acceptation d’une « charia de minorité ». Pour lui, « il s’agit de mettre en relation la norme avec la réalité concrète, tout en restant fidèle aux méthodes qui régissent l’application de la charia à la réalité […]. Cela permet l’élaboration d’un canonisme mobile » (Profession imâm, Albin Michel, 2009, p. 37-41). D’après l’islamologue Dominique Urvoy, cette position est à comprendre comme une application de la taqiya :
Tareq Oubrou adopte constamment cette ligne d’action : il affirme qu’il est possible de tout résoudre ponctuellement par des fatouas ; si une règle démocratique va à l’encontre de la règle islamique, on peut abroger cette dernière momentanément mais on la rétablira le jour où… On met les choses en veilleuse, mais il s’agit bien de les réactiver tôt ou tard, et cela parce que le Coran est considéré comme étant la parole incréée de Dieu ; par exemple, le djihad, auquel les musulmans doivent renoncer quand ils vivent en Occident, ou auquel ils doivent donner une dimension exclusivement intérieure, mais qu’ils ont le devoir de rétablir dès que cela sera possible » (« La place du secret dans la pensée religieuse musulmane », in L’Islam en France, hors-série de la revue Cités, PUF, 2004, p. 646). […]"