Suite à l’attaque de la Commission européenne contre la réforme de la justice en Pologne, Patryk Regalski, explique pour l’ECLJ les tenants de cette réforme polonaise :
Le point de friction le plus explosif entre les institutions européennes et la Pologne aujourd’hui porte sur les réformes de la justice votées en 2017 par la majorité parlementaire conduite par le parti Droit et Justice (PiS) de Jarosław Kaczyński. Trois grandes lois ont en effet été adoptées par le parlement polonais au cours de la législature précédente (2015-2019), quand la coalition Droite Unie constituée du PiS et de deux petits partis conservateurs avait la majorité absolue à la Diète et au Sénat :
- la loi du 12 juillet 2017 réformant les tribunaux ordinaires,
- la loi du 8 décembre 2017 réformant le Conseil national de la magistrature (Krajowa Rada Sądownictwa, KRS),
- et la loi du 8 décembre 2017 sur la Cour suprême (Sąd Najwyższy, SN).
La Cour suprême polonaise est en fait une cour de cassation, le contrôle de la conformité des lois à la Constitution étant assuré par le Tribunal constitutionnel (Trybunał Konstytucyjny, TK). Les lois sur le KRS et la SN de décembre 2017 ont été adoptées sur la base de deux projets de loi présentés par le président Andrzej Duda qui avait opposé son veto à la version proposée par le parlement en juillet 2017. C’est juste après l’adoption de ces deux dernières lois que la Commission européenne a demandé au Conseil européen, le 20 décembre 2017, d’enclencher contre la Pologne la procédure de sanction de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne. Puis, devant l’impossibilité d’obtenir au Conseil une majorité suffisante pour « constater qu’il existe un risque clair de violation grave par [la Pologne] des valeurs visées à l’article 2[1] », la Commission européenne a introduit en octobre 2019 un recours devant la CJUE contre la réforme de la Cour suprême polonaise ayant institué deux nouvelles chambres, dont une chambre disciplinaire.
Pourquoi ces réformes ?
Le programme du PiS publié en 2014 prêtait une attention particulière à la nécessité de réformer en profondeur le système judiciaire polonais 25 ans après la chute du communisme. D’une part, le programme du PiS promettait le rétablissement d’un certain degré de contrôle démocratique sur un troisième pouvoir auquel il était reproché de n’être soumis à aucun contrôle extérieur alors qu’il était lui-même chargé de contrôler les deux autres pouvoirs. On trouve donc dans ce programme un passage rédigé ainsi :
« L’institution judiciaire ne peut pas être ‘un État dans l’État’. Sans préjudice des garanties constitutionnelles fondamentales d’indépendance et d’impartialité, les citoyens ne peuvent pas être privés d’influence sur le fonctionnement du ‘troisième pouvoir’. Celui-ci doit servir la société, les gens, et non pas lui-même. Il doit y avoir des mécanismes efficaces de contrôle pour empêcher que des maillons de l’institution judiciaire se détachent de leur rôle de serviteurs de la société et pour corriger les erreurs. »
D’autre part, il était reproché au système judiciaire d’être incapable de lutter lui-même contre ses propres déficiences et les problèmes affectant notamment le comportement de certains juges (incompétence, corporatisme, corruption, soumission informelle au pouvoir politique apparue dans certaines affaires…) qui l’affectaient depuis la transition démocratique de 1989-90. Le programme du PiS pour les élections de 2015 promettait donc une « tolérance zéro pour les pathologies dans l’institution judiciaire » en affirmant par ailleurs que « l’institution judiciaire doit être une sphère d’action de l’État totalement libre de corruption, de népotisme et de liens d’affaires ».
Ces deux reproches faits au système judiciaire étaient à l’origine d’une défiance profonde de la population, accentuée par certains scandales. On pouvait lire également dans le programme du PiS pour les élections de 2015 : « Les tribunaux en Pologne traversent une crise profonde. Ils fonctionnent mal, ils perdent la confiance de la société, et sont sérieusement menacés par la corruption et le népotisme, et aussi par une dépendance politique ‘silencieuse’, ce qu’ont montré certaines affaires comme dans le cas du « juge décrochant le téléphone » à Gdańsk[2] ».
Tout l’enjeu de la réforme polonaise consiste à rééquilibrer la relation entre ces deux pouvoirs, pour rendre au peuple une part de sa souveraineté, et au pouvoir politique une marge de manœuvre. À travers ce conflit, c’est la question des relations entre le pouvoir démocratiquement élu, et celui des juges qui est en cause. Une réforme similaire devra être réalisée en France, si nous souhaitons retrouver nos libertés, grignotées par une jurisprudence, comme l’a montré Eric Zemmour dans Le Suicide français :
Le Conseil constitutionnel, depuis quarante ans, c’est le coup d’État permanent. Un coup d’État discret. Un coup d’État béni par les professeurs de droit qui encensent son audace, et par les médias qui glorifient sans cesse les ‘Sages’ du Palais Royal”. Sur tous les thèmes qui séparent, non la droite et la gauche, mais les classes populaires et les élites, les juges européens et français ont érigé un mur juridique pour contenir des assauts qu’ils jugent populistes, alors qu’ils ne sont le plus souvent que populaires.