Partager cet article

L'Eglise : Vie de l'Eglise

La relativité des lois liturgiques nouvelles dans la présente situation de l’Église

La relativité des lois liturgiques nouvelles dans la présente situation de l’Église

Extrait d’un article de l’abbé Barthe quant à la nécessite de maintenir la liturgie traditionnelle dans son ensemble, en regard de la volatilité de la réforme liturgique, en réforme permanente (interdiction puis autorisation des filles acolytes, tolérance puis obligation de la communion dans la main, créativité jamais sanctionnée, etc.) :

[…] Nous vivons une crise de l’Église exceptionnelle, totalement atypique, et il important de ne pas normaliser l’anormal. Ne pas recevoir la messe et la liturgie données comme catholiques par l’autorité de l’Église est en soi inconcevable puisqu’elle agit ce faisant dans son domaine propre de compétence, celui de l’enseignement et de la sanctification. Sauf si, dans la situation exceptionnelle où nous nous trouvons, ceux qui sont en charge de l’autorité promulguent des lois qui ne sont pas vraiment des lois.

Car, les pasteurs de l’Église, de même qu’ils ont émis à Vatican II un enseignement « simplement pastoral », ont voulu une nouvelle manière d’entendre le culte divin plus ou moins informelle : règle liturgique variable et peu contraignante, nombreuses options constamment proposées par les livres nouveaux, place importante laissée à l’interprétation – interprétation du sens et interprétation « théâtrale » – de la part des célébrants. Et ce culte moins « rigide » permet aussi d’assouplir le message qu’il véhicule : messe moins clairement sacrificielle, adoration de l’Eucharistie moins marquée, sacerdoce ministériel moins distingué, etc. Pour donner un message doctrinal faible, on a composé un rite flou, qui n’engage pas vraimentCette abstention mystérieuse de ceux qui ont l’autorité de dire la foi et qui n’en usent pas est le nœud de la mystérieuse crise de l’Église depuis un demi-siècle. Mais si la nouvelle liturgie n’est pas structurée comme une vraie loi, elle se veut cependant très contraignante. La nouvelle liturgie s’impose à la manière d’une idéologie.

Mais elle s’est heurtée au sens de la foi. Lorsqu’il relate L’histoire de la messe interdite[1]interdite en 1969 par la hiérarchie ecclésiastiqueJean Madiran explique comment, malgré cette interdiction formelle de conserver l’ancienne liturgie[2], l’instinct de la foi a poussé un nombre croissant de prêtres à continuer à la célébrer pour un nombre croissant de fidèles. Cette non-obéissance concernant la prière officielle de l’Église romaine et la manière de célébrer la sainte Eucharistie ne pouvait se justifier que par le fait que l’obligation qui était faite n’était pas une loi. Parce que nocive ? C’est la question posée à l’Église enseignante qui en décidera un jour. Mais présentement, du fait de son abstention présente, et par mesure conservatoire comme disent les juristes, il faut considérer que cette obligation/interdiction, obligation du nouveau/interdiction de l’ancien, n’a pas force de loi.

C’est d’ailleurs finalement ce qu’a décidé – oserait-on dire a avoué – l’autorité romaine en charge de cette obligation/interdiction. Comme l’on sait, le « grand refus » de la nouvelle liturgie par un nombre conséquent de prêtres et de fidèles a été légitimé par deux textes successifs inspirés par le cardinal Joseph Ratzinger, auquel ce dossier avait été confié par Jean-Paul II, la Lettre Quattuor abhinc annos du 3 octobre 1984 et le motu proprio Ecclesia Dei adflicta du 2 juillet 1988, et enfin par un troisième document promulgué par ce même Joseph Ratzinger devenu pape, le motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007.

« Le nouvel Ordo a été promulgué pour être substitué à l’ancien », avait dit Paul VI le 24 mai 1976, dans la constitution Missale Romanum. Malgré ce, Joseph Ratzinger ne cessa de soutenir et de faire soutenir l’interprétation selon laquelle une absolue interdiction de l’ancien missel « ne pouvait être justifiée ni du point de vue juridique, ni du point de vue théologique[3] ». Et du coup, Summorum Pontificum mentionnait comme une évidence, dans son article 1er que le missel tridentin n’avait jamais été abrogé. Pour autant, il n’en donnait aucune explication.

Cette légitimation juridique par Benoît XVI du non-usage de la réforme par un certain nombre de catholiques ne pouvait que s’appuyer sur une légitimation de fond des raisons de leur refus. Joseph Ratzinger avait en effet toujours admis, de manière minimale certes, mais très claire, que la réforme liturgique n’était pas une bonne réforme. En 1966, dans une conférence à Münster, où il était alors professeur, puis une autre à Bamberg, au Katholikentag (le rassemblement des catholiques allemands organisé tous les deux ans), il avait attaqué le « nouveau ritualisme » des experts en liturgie qui remplaçaient les usages anciens par la fabrication de « formes » et de « structures » suspectes, le face-au-peuple obligatoire, par exemple. Il s’en expliqua davantage dans La mia vita[4]en soulignant la radicalité de la déconstruction/reconstruction : « On démolit le vieil édifice pour en construire un autre[5]. »

En quoi il rejoignait le sentiment général des catholiques, constatant que tout avait été bouleversé, qu’ils soient pour ou contre. Et s’ils étaient contre, parlant de protestantisation : Mgr Marcel Lefebvre avait attaqué en 1975 dans La messe de Luther[6] ; Julien Gracq, issu d’un milieu laïque, allait d’une certaine manière plus loin encore, constatant que le protestantisme « paraît soudain – à côté de cette agape dépouillée et intimiste – moelleux, orchestré, étoffé[7] ».

Puis vint le retournement de jurisprudence du pape François : Paul VI, selon lui, avait bien voulu obliger/interdire. On se trouve donc désormais face à deux interprétations opposées de la force obligatoire de nouvelle liturgie par les papes en charge de son application : celle de François dans Traditionis custodes, art. 1 : « Les nouveaux livres liturgiques « sont la seule expression de la lex orandi du Rite romain » – contre celle de Benoît dans Summorum Pontificum, art. 1 : le missel tridentin « doit être considéré comme expression extraordinaire de la même lex orandi »Un cardinal, que nous ne nommerons pas, s’essayait à la synthèse 50/50 : « Benoît a trop permis ; François a trop interdit. »

L’obscurité juridique s’accroît :

  • Traditionis custodes permet aux évêques une concession éventuelle et très encadrée de l’usage du missel romain de 1962 et laisse entendre qu’il y a obligation de recourir aux sacrements nouveaux et autres cérémonies du rituel et du pontifical.
  • Les Responsa du Culte divin du 4 décembre 2021 précisent qu’il n’est en effet plus possible de célébrer avec le rituel romain et le pontifical romain antérieurs à la réforme de Vatican II (à savoir l’édition typique du rituel de 1952 et l’édition typique du pontifical de 1961 et 1962[8]). Il n’est donc pas permis de conférer les baptêmes, les confirmations, les ordinations, le sacrement de pénitence et d’extrême-onction, de bénir les mariages, de réciter l’Office divin, au moins en public, de célébrer les funérailles, de confectionner de l’eau bénite, de bénir les maisons, les médailles etc., selon la forme ancienne. Quoi que, curieusement, l’évêque peut accorder la licence d’utiliser le rituel interdit aux paroisses personnelles érigées pour célébrer la liturgie traditionnelle, mais pas le pontifical[9].
  • Et en outre, un décret publié le 11 février 2022 permet aux membres de la Fraternité Saint-Pierre « d’administrer les sacrements et les autres rites sacrés, et de s’acquitter de l’Office Divin, selon les éditions typiques des livres liturgiques en vigueur en l’année 1962, c’est à dire le Missel, le Rituel, le Pontifical et le Bréviaire Romain. » Le décret précise qu’ils peuvent user de cette faculté « dans les églises et oratoires propres ; partout ailleurs, ils n’en useront qu’avec le consentement de l’ordinaire du lieu. »

En attendant qu’un autre renversement de jurisprudence vienne nous expliquer que le rituel romain et le pontifical romain traditionnels n’ont jamais été abrogés. […]

Partager cet article

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services